Qu’est-ce qui peut valoir un prix Nobel ?
Prenons l’exemple du prix Nobel de physique 2014. Cette année-là, c’est une invention liée à une source d’éclairage économe en énergie qui a été récompensée : la diode bleue. Dans ce bref article, nous verrons de quoi il s’agit et pourquoi c’est une invention très intéressante.
- Présentation des personnages
- Vous avez dit diode ?
- Pourquoi c'est si dur de faire du bleu ?
- Des diodes bleues « efficaces »
Présentation des personnages
Avant toute chose, rendons à César ce qui est à César : voici les heureux lauréats du prix Nobel de physique 2014. Akasaki et Amano ont travaillé ensemble à l’université japonaise de Nagoya, tandis que Nakamura faisait cavalier seul dans la petite entreprise Nichia Chemicals. Ces trois personnages ont en commun d’avoir persévéré dans une voie que presque tous les autres membres de la communauté scientifique de l’époque avaient laissée de côté1.
Ils ont reçu le prix Nobel pour une invention qui a permis un mode d’éclairage plus économe. Cette invention, c’est la diode bleue. Avec des diodes bleues (et d’autres diodes qui existaient déjà), on peut refaire de la lumière blanche beaucoup plus efficace que les autres sources de lumière comme l’ampoule classique ou le tube à néon. Cela permet d’économiser l’électricité, donc l’énergie.
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Avant la publication de leurs résultats, quelques dizaines d’articles sur le sujet étaient publiés par an dans le monde. En 2000, ce nombre était passé à plus d’un millier… (Fait mentionné par Akasaki pendant sa conférence.) ↩
Vous avez dit diode ?
Les diodes dont on parle ici permettent de transformer de l’électricité directement en lumière, grâce à un matériau spécial appelé semi-conducteur. On les appelle donc logiquement des diodes électro-luminescentes (les fameuses DEL ou LED que vous avez peut-être déjà utilisées).
Une ampoule classique, elle, transforme l’électricité en lumière et en chaleur. La chaleur est perdue, c’est donc moins efficace : n’oublions pas qu’on veut économiser l’électricité, pas la perdre en réchauffant les insectes du coin. Par contre, cette ampoule produit de la lumière blanche. Avec une diode, on peut avoir du rouge, du vert, du bleu… mais pas directement du blanc. Pour ça, il faut mélanger le rouge, le bleu et le vert1. Le problème, c’est qu’à l’époque on savait faire le rouge et le vert, mais pas le bleu.
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Précisons tout de même que la lumière blanche obtenue de cette façon n’est pas tout à fait identique à celle du Soleil ou d’une ampoule classique : dans les deux derniers cas, on mélange beaucoup plus de couleurs. ↩
Pourquoi c'est si dur de faire du bleu ?
C’est entièrement la faute du matériau de la diode, mon capitaine ! Il n’est pas le même suivant la couleur qu’on veut obtenir. Pour comprendre comment ça marche, penchons-nous plus précisément sur lui : le semi-conducteur. Il porte ce magnifique nom parce qu’il peut être conducteur (c’est-à-dire laisser passer l’électricité), ou pas (vous ne l’auriez jamais deviné, n’est-ce pas ?). Tout dépend de l’énergie qu’on lui donne. Si on lui en donne trop peu, il est isolant. Si on lui en donne assez, il est conducteur.
Un semi-conducteur peut fonctionner dans les deux sens : soit on l’illumine et il produit de l’électricité (comme dans les cellules solaires1), soit on l’alimente en électricité et il produit de la lumière, qui a une couleur bien précise. C’est ce dernier cas qui nous intéresse.
En fait, pour obtenir une diode, le semi-conducteur ne doit pas être identique partout. Il doit avoir deux parties différentes qui, en se touchant, vont former la diode. Fabriquer ces deux parties a été particulièrement difficile dans le cas du semi-conducteur qui sert pour la lumière bleue. C’est un peu comme si on cherchait à obtenir un gâteau moelleux et croustillant sur le dessus. La mise au point de la recette a été délicate. Il a fallu :
- Trouver la bonne pâte : dans le cas de la lumière bleue, c’est le semi-conducteur étudié par Akasaki, Amano et Nakamura qui a gagné2.
- Trouver la bonne consistance pour la pâte : si elle est pleine de grumeaux, ça n’est pas bon. Pour notre semi-conducteur, la méthode de fabrication n’était pas au point et laissait beaucoup trop de défauts dans le matériau. Nos lauréats ont trouvé le moyen d’obtenir un matériau de meilleure qualité.
- Obtenir une belle croûte caramélisée. Pour ça on rajoute du sucre et on chauffe. Dans les semi-conducteurs aussi, on peut ajouter des éléments et chauffer.
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Le tutoriel de Aabu sur l’énergie solaire aborde ce cas et présente le fonctionnement d’un semi-conducteur de façon plus détaillée. ↩
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Pour les intimes, ce semi-conducteur répond au doux nom de nitrure de gallium. ↩
Des diodes bleues « efficaces »
Le comité Nobel a vanté l’efficacité de ces fameuses diodes. Regardons un peu à quel point elles sont efficaces. Pour comparer les différentes sources de lumière, il nous faut un critère. Nous définissons donc l’efficacité à produire de la lumière comme le rapport entre la lumière obtenue (elle se mesure, eh oui !) et la consommation électrique. Plus ce rapport est grand et plus nous serons heureux. Son unité est le lumen par Watt (lm/W). Voici les valeurs mesurées pour les différentes sources de lumière :
- 16 lm/W pour une vieille ampoule ;
- 70 lm/W pour un tube à néon1 ;
- 300 lm/W pour une diode électroluminescente, ou LED.
Et notre grande gagnante est donc… la LED ! Et de très loin. Notons toutefois que cette valeur de 300 lm/W correspond au meilleur résultat atteint à ce jour en recherche et développement2. Au supermarché du coin, les ampoules à LED proposées ont une efficacité beaucoup plus faible (autour de 65 lm/W). Cela reste quatre fois plus efficace que notre vieille ampoule à incandescence.
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Lequel, d’ailleurs, ne contient pas forcément de néon. ↩
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Voir le communiqué de presse de l’entreprise qui a réussi cet exploit. ↩
Donc on peut avoir le prix Nobel pour la réalisation d’une recette de cuisine ?
Eh oui. Mais attention, une recette de cuisine particulièrement difficile quand même : de nombreux scientifiques à l’époque s’y étaient cassé les dents. Et cette recette a eu des conséquences directes sur l’éclairage mondial, ce qui n’est pas donné à n’importe qui. C’est aussi cela qui a valu leur Nobel aux lauréats : l’utilité de l’invention pour la société en général.
Sources : la page consacrée au prix Nobel de physique 2014 (en anglais), et en particulier les deux documents « Scientific Background » et « Information for the Public ».
Merci à pierre_24, Demandred et Gwend@l pour leurs commentaires en bêta, et à Holosmos pour la validation.