L’apprentissage du jazz a ceci de remarquable qu’il place tout le monde au même niveau. Que l’on vienne tout juste d’apprendre à reconnaître les notes sur son instrument ou que l’on ait dix ans de piano classique dans les pattes, on est tout autant démuni face à notre premier standard.
C’est parce que la pratique du jazz comporte plusieurs éléments qui lui sont propres :
- Une harmonie particulière qui repose sur la manipulation d’accords de quatre notes et plus.
- Un rythme souvent swingué, souvent syncopé, souvent rapide, souvent les trois en même temps.
- Une liberté embarrassante : on est littéralement obligé d’interpréter la musique comme on l’entend.
Le but de ce tutoriel est de vous transmettre les notions de base pour jouer un standard de jazz tel qu’on peut le trouver retranscrit dans un real book. Nous prendrons pour cela un standard bien connu que nous allons apprendre à analyser avant d’en construire une interprétation au piano. À la fin, vous serez en mesure d’interpréter un grand nombre de standards de jazz à votre façon, et disposerez de pistes pour continuer votre apprentissage.
Prérequis
- Être musicien : ce tutoriel parle surtout de piano, mais une grande partie est indépendante de l’instrument.
- Avoir votre instrument à côté vous aidera beaucoup pour manipuler les notions dont nous allons parler.
- Savoir à peu près lire une partition : vous pourrez vous débrouiller si vous connaissez au moins la clé de sol.
- Connaître quelques notions de base : nous allons construire par-dessus les deux premières sections du tutoriel de Ryx sur les accords, bien que la lecture complète de ce tutoriel vous aidera très certainement !
- Avoir envie de vous libérer musicalement.
À titre d’exemple, voici ce à quoi pourront ressembler vos séances d’entraînement à la fin de ce tutoriel :
Ça vous tente ? Alors allons-y !
Suivre ce tutoriel prend du temps !
Clairement, vous n’aurez pas tout acquis en trois heures. Vous devrez revenir dessus régulièrement, et pratiquer les exercices pendant plusieurs jours avant de réussir à jouer votre premier standard. Comme toujours en musique, une pratique régulière vous permettra de tout comprendre de mieux en mieux : il ne saurait y avoir de solution miracle qui fasse de vous un pro de façon instantanée.
- Quelques généralités
- Les standards
- Les accords du jazz
- Analyse harmonique
- Construire son interprétation
- Pour aller plus loin
Quelques généralités
Qu’appelle-t-on le jazz, exactement ?
On peut définir le jazz "au sens large" comme l’ensemble de la musique occidentale improvisée depuis le début du XXe siècle. On estime qu’il est né à la fin du XIXe siècle, de la convergence des musiques chantées noir-américaines de l’époque (notamment le blues, les work songs, le gospel) et de genres plus classiques comme le ragtime (vous avez forcément déjà entendu du Scott Joplin). Avec les années, de très nombreux autres genres musicaux se sont fondus dans le jazz et l’ont marqué de leurs influences, comme la musique brésilienne (ce qui a donné la bossa nova dans les années 1950), ou même la musique impressionniste française (on retrouve l’influence de Satie, Ravel et Debussy aussi bien chez Dave Brubeck et Bill Evans dans les années 60 que dans le jazz contemporain). À partir d’une telle définition, le jazz est une gigantesque nébuleuse que l’on ne peut caractériser que par contradiction : tout ce qui est improvisé, et n’est ni du classique, ni de la variété. C’est de ce jazz ultra-vaste que descendent la majorité des genres musicaux occidentaux contemporains.
Dans ce tuto, en revanche, ce que j’appelle le jazz est un sous-ensemble de ce gros nuage, que l’on peut faire débuter plus ou moins avec le classic jazz de Louis Armstrong (qui a fixé les règles conventionnelles du genre), et développer au travers d’une longue lignée de genres musicaux qui suivent plus ou moins les mêmes conventions comme le swing, le bebop, le cool et bien d’autres. C’est le jazz des standards.
Le fait qu’il s’agisse avant tout de musique improvisée a énormément d’implications, notamment sur la façon dont il a évolué (et continue de le faire aujourd’hui), et celle dont on l’écoute.
La spontanéité par-dessus tout
Tout d’abord, en jazz, le rôle du compositeur est bien moindre qu’en musique classique ou en variété : le musicien de jazz est extrêmement actif, et dans la pratique son interprétation prévaut sur ce qui a été écrit par le compositeur, dont il s’approprie et reformule l’idée originelle. À ce titre, l’interprète jouit d’une liberté quasi-absolue sur l’œuvre qu’il joue, la partie pré-écrite du morceau est équivalente à un « Il était une fois… », et c’est au musicien de planter le décor avec son arrangement personnel de la composition, puis de raconter l’histoire telle qu’il la pense sur le moment.
C’est son caractère éphémère et spontané qui a le plus de valeur en jazz : chaque instant musical est unique, il dépend de ce que les musiciens veulent raconter, de leur culture, d’où ils se trouvent, des gens qui les accompagnent, de leur public et de ses réactions, de leur humeur, de leur inspiration… En somme, le jazz est une musique vivante, c’est une tradition orale/aurale plutôt qu’écrite.
Cela implique, dans les grandes lignes, les choses suivantes chez les musiciens de jazz :
- Les musiciens sont libres de leur interprétation rythmique… mais contrairement au classique où l’interprète/le chef d’orchestre se réserve le droit de distordre le temps, le respect de la mesure est primordial. C’est un prérequis à l’improvisation collective, le temps doit être le même pour tout le monde. Rarissimes sont les morceaux de jazz qui ne sont pas parfaitement en rythme pendant toute leur durée.
- Les musiciens sont libres d’harmoniser le morceau comme ils le souhaitent (c’est-à-dire que l’on peut changer les accords ou en ajouter). Nous ne parlerons pas de substitutions ou de ré-harmonisation dans ce tutoriel et nous nous contenterons de jouer des accords de septième, mais ce détail est tout de même bon à savoir.
- Improviser sur une progression harmonique présuppose que l’on connaisse le rôle de chaque accord, les notes qui le composent et les gammes que l’on peut jouer dessus, pour ne pas avoir à trop réfléchir au dernier moment. Même si nous ne parlerons pas d’improvisation ni de gammes dans ce tutoriel, nous allons commencer à toucher ces notions harmoniques, identifier le rôle de certains accords, et apprendre à reconnaître les cadences II-V-I omniprésentes dans le jazz.
On pourrait continuer à disserter pendant des heures sur le sujet, mais ça serait nous éloigner de l’essentiel, d’autant plus que d’autres l’ont fait mille fois mieux que moi dans des livres entiers. Restons-en-là sur les généralités et passons à la suite.
Les standards
Un répertoire partagé
Il existe des morceaux de jazz, pré-composés et bien connus, que l’on appelle des standards. Vous en avez forcément déjà entendu, et en connaissez peut-être plein sans le savoir, car ce sont des airs très faciles à reconnaître et qui restent dans la tête. Il y en a littéralement des milliers et ils forment un répertoire commun, dans lequel les musiciens peuvent piocher pour jouer ensemble, même s’ils ne se sont rencontrés que dix minutes auparavant.
En fait, ces morceaux ne sont pas écrits pour être des standards à l’origine. Un morceau devient un standard lorsqu’il est assez populaire pour être repris par un grand nombre de jazzmen. Il est d’ailleurs important qu’il soit bien connu de tous (et surtout du public), puisque ce qui compte, ce à quoi l’on fait le plus attention en écoutant du jazz, c’est la façon dont les musiciens créent leur musique à partir du thème d’origine, et c’est bien plus commode lorsqu’il s’agit d’une chanson populaire et que l’on n’a pas besoin de se demander ce qui relève du standard lui-même ou du travail de l’interprète.
Étant donné que les standards proviennent à l’origine de la musique populaire, ce répertoire est tout à fait hétéroclite et très empreint de la culture des musiciens. Il n’est donc pas étonnant d’y retrouver des chansons de dessins animés Disney ou des chants de Noël, sans se limiter d’ailleurs à la culture nord-américaine puisque par exemple certaines chansons françaises se sont exportées outre-Atlantique pour y être reprises en jazz, à l’instar des feuilles mortes de Jacques Prévert et Joseph Kosma que nous allons étudier dans ce tutoriel.
Pour nous, musiciens
En ce qui nous concerne, les partitions des standards sont retranscrites dans des recueils immenses que l’on appelle fake books ou real books suivant les éditeurs. Ces transcriptions sont de qualité variable, mais elles ont toutes une chose en commun : elles sont écrites sous la forme de lead sheets, c’est-à-dire qu’elles contiennent le minimum vital pour permettre à un groupe (a fortiori à un musicien seul) d’interpréter un standard.
À titre d’exemple, voici une lead sheet du standard que nous prendrons comme fil rouge dans ce tutoriel. Vous pouvez en télécharger une version imprimable (en pdf) en suivant ce lien. Bien que cette partition ait été réalisée par mes soins, je peux vous garantir qu’elle reproduit la mise en forme que l’on retrouve dans tous les real books, et qu’elle ne contient ni plus, ni moins d’informations.
Il est probable que la vue de tous ces accords barbares vous donne des frissons si vous n’aviez jamais rencontré cette notation. Ne paniquez pas, nous allons voir plus bas comment ceux-ci doivent se lire, et vous allez vous rendre compte qu’avec un petit peu de pratique, cela devient vite une seconde nature.
Si vous avez l’habitude de lire des partitions de piano « classiques », vous ne manquerez pas de constater qu’il n’y a pas de portée pour la main gauche, et qu’il va donc falloir que vous inventiez votre propre accompagnement. C’est cet élément particulier que je qualifie de liberté embarrassante dans l’introduction de ce tutoriel, mais là encore, rassurez-vous puisque nous allons découvrir ensemble une technique qui va vous permettre de réaliser des accompagnements sympathiques sans pour autant vous casser la tête, et surtout en comprenant ce que vous jouez du point de vue harmonique.
D’ailleurs, avec un peu d’habitude, vous serez bientôt convaincus que cette notation présente en réalité de nombreux avantages.
- D’abord, elle est compacte : la plupart du temps, la totalité du morceau tient sur une seule page. Il existe des exceptions… qui tiennent toutes sur deux pages maximum. En somme, vous n’aurez jamais besoin de tourner des pages en jouant.
- Elle est propice à l’analyse harmonique : il est beaucoup plus facile de reconnaître les cadences et quand on n’a pas à déchiffrer les accords, et ici, ils sont directement écrits sous vos yeux. En jazz, on analyse systématiquement les grilles des morceaux avant de les jouer, car cela facilite à la fois l’accompagnement et l’improvisation. Avec le temps, vous allez acquérir un vocabulaire de phrases et de formes qui fonctionnent sur certains enchaînements d’accords : en identifiant ces cadences au préalable dans la grille du morceau, vous découvrirez en fait tous les endroits où vous pourrez réutiliser le vocabulaire que vous connaissez déjà.
- À la longue, il devient même possible d’interpréter et d’improviser sur un morceau à vue (c’est-à-dire sans même avoir besoin de le déchiffrer), plus facilement que sur des partitions classiques pour lesquelles cela nécessite un entraînement particulier.1
- Si l’on fait abstraction des instruments transpositeurs (comme le saxophone), la même partition d’une page peut être utilisée par tous les musiciens d’un groupe.
-
Pour vous donner une idée de la différence : après de nombreuses années de classique et deux mois de cours de jazz, il m’était devenu plus facile de déchiffrer un standard qu’une partition classique. ↩
Les accords du jazz
En jazz, la plupart des accords sont composés de quatre notes et plus. Apprenons à les former et à les nommer.
La notation internationale
Comme vous pouvez le voir plus haut, on utilise usuellement les noms internationaux des notes pour désigner les accords, plutôt que les noms latins. En plus d’être universelle, cette notation présente également l’avantage de prendre un peu moins de place ("C" est plus rapide à écrire que "Do"…). Dans cette nomenclature, les notes sont désignées en utilisant les lettres de A à G, en commençant par le La :
Note | Notation latine |
---|---|
A | La |
B | Si |
C | Do |
D | Ré |
E | Mi |
F | Fa |
G | Sol |
Les altérations s’utilisent de la même manière qu’en notation latine, le « Fa dièse » et le « Si bémol » se noteront donc F♯ (F sharp) et B♭ (B flat). Il est indispensable de vous familiariser avec cette notation et de savoir jongler entre les deux nomenclatures, puisque l’on utilise généralement les deux de façon simultanée :
- À l’oral, en français, on utilise plus volontiers les noms latins,
- À l’écrit, sur les partitions, on utilise la notation internationale,
- La plupart des ouvrages, vidéos et tutoriels sur le jazz sont en anglais et utilisent uniquement les noms internationaux.
Dans toute la suite de ce tutoriel, je désignerai les notes individuelles par leurs noms latins et les accords en utilisant la notation internationale. Vous lirez donc des choses comme :
L’accord Cm7 comporte un Mi♭ et un Si♭.
Rappel-éclair sur les triades (accords de trois notes)
On peut désigner trois types de triades courantes par-dessus lesquelles nous allons construire nos accords de jazz. Pour rappel, une triade est un accord se composant d’une fondamentale, d’une tierce et d’une quinte :
- Un accord (parfait) majeur (par exemple F) est une triade comportant une tierce majeure et une quinte juste.
- Un accord (parfait) mineur (par exemple B♭m, aussi noté B♭-) est une triade comportant une tierce mineure et une quinte juste.
- Un accord diminué (par exemple Eo) est une triade comportant une tierce mineure et une quinte diminuée.
Il existe encore d’autres triades, mais nous n’en aurons pas besoin dans ce tutoriel, car elles ne sont utilisées que de façon marginale.
Accords de septième
Si vous aimez les nomenclatures dont la construction est intuitive, ainsi que les belles notations universelles, vous allez être drôlement déçus, car le nommage des différents accords de jazz n’est ni intuitif, ni universel, et leur notation est, disons-le franchement, un sacré foutoir. Il va donc falloir que vous appreniez différentes façons de noter la même chose. Si je puis vous donner un conseil utile, ce serait de vous concentrer d’abord sur le nommage des accords avant de chercher à en mémoriser les notations car il y a moins de noms que de symboles.
Construction des accords de septième
Commençons par construire les cinq accords de septième les plus courants. Comme leur nom l’indique, ceux-ci se construisent tous en ajoutant une septième par-dessus une triade. Cette septième peut être majeure, mineure ou diminuée. Cela nous donne les accords usuels suivants :
- Triade majeure + septième majeure = accord majeur 7 (ex: "Sol majeur 7", noté GMaj7, GMA7, ou GΔ)
- Triade majeure + septième mineure = accord 7 (ex: "Fa♯ 7" ou "Fa♯ 7e de dominante", noté F♯7)
- Triade mineure + septième mineure = accord mineur 7 (ex: "Mi mineur 7", noté Em7, EMI7 ou E-7)
- Triade diminuée + septième mineure = accord mineur 7 bémol 5 ou demi-diminué (ex: "Ré demi-diminué", noté Dm7b5 ou Dø)
- Triade diminuée + septième diminuée = accord 7 diminué, ou diminué (ex: "Do 7 diminué", noté Co7)
La figure suivante résume tout cela sur une portée :
À propos de la dénomination majeure/mineure des accords de septième
Avouez que l’utilisation de majeur et mineur dans cette nomenclature est très déroutante :
- majeur qualifie une septième majeure, la septième étant mineure (ou de dominante) par défaut,
- mineur désigne la qualité mineure d’une triade, les triades étant majeures par défaut.
Cela veut dire qu’il existe également des accords "mineur majeur 7", très rares dans la pratique, composés d’une triade mineure et d’une septième majeure. On peut supposer sans trop risquer de se tromper que cette convention a été admise à l’usage car elle permet de nommer de façon plus concise les accords de septième les plus courants.
En termes de sonorité
L’accord majeur 7 est le plus clair des accords de septième. On dit qu’il est harmoniquement stable car il « ne demande pas » particulièrement à se résoudre sur un autre accord. On l’utilisera donc volontiers comme accord de résolution.
Abaissons la septième d’un demi-ton. L’accord 7 ou septième de dominante introduit une dissonnance. Celle-ci est dûe à l’intervalle de trois tons (la quinte diminuée, ou triton) entre la tierce majeure et la septième mineure. Cet accord a un caractère beaucoup plus suspensif que le précédent, il est harmoniquement instable, c’est-à-dire qu’il crée un mouvement et demande à être résolu.
Abaissons cette fois la tierce d’un demi-ton. L’accord mineur 7 possède évidemment un caractère plus sombre dû à sa qualité mineure, néanmoins cet accord est assez stable pour que l’on puisse l’utiliser comme accord de résolution dans une tonalité mineure.
Abaissons cette fois la quinte d’un demi-ton pour assombrir encore le tableau et tomber sur l’accord demi-diminué. Cet accord est instable (à cause du triton entre la fondamentale et la quinte diminuée).
Si l’on abaisse encore une fois la septième d’un demi-ton, nous tombons sur l’accord 7 diminué, le plus sombre des cinq (il sonne très "maison hantée"). Cet accord est très instable car il entremêle deux tritons (entre la fondamentale et la quinte diminuée, et entre la tierce mineure et la septième diminuée). Il est employé quasi-exclusivement comme accord de transition.
Exercice
Prenez le temps de bien digérer cette nomenclature et de vous en faire un schéma mental avant de poursuivre. Pour vous entraîner, repassez sur la grille d’Autumn Leaves en nommant chaque accord et en énumérant les notes qui le composent.
Encore mieux : essayez de jouer cette grille avec les accords tels que nous venons de les voir, c’est-à-dire en position fondamentale (fondamentale en bas, puis tierce, quinte et septième).
Il reste deux accords que nous n’avons pas couverts dans cette grille, C9 et D7#5. Nous ne parlerons pas de ces accords dans ce tutoriel. Pour le moment, et tant que nous débutons, contentons-nous des cinq accords que nous venons de voir. Sachez que vous pouvez remplacer C9 par C7 et D7#5 par D7 sans que cela n’impacte l’harmonie de façon significative : ces accords remplissent les mêmes fonctions harmoniques que leurs substitutions, en leur ajoutant juste un peu plus de couleur.
Solution :
Cela devrait vous donner quelque chose comme ceci :
C’est un début… mais la route est encore longue !
Renversements des accords de septième et économie de mouvements
Si vous avez tenté l’exercice précédent sur un piano, vous vous êtes certainement aperçus que le résultat, même s’il sonne juste, n’est pas très joli, notamment parce que sauter d’accord en accord ne semble pas vouloir dire grand chose, surtout sur ce standard où les accords progressent en une descente de quintes.
Il existe un moyen d’arranger cela sans pour autant abandonner les accords en position serrée : c’est d’utiliser des renversements.
Contrairement à la musique classique où l’on chiffre les renversements d’une manière très précise, en jazz on se contentera de les nommer de façon somme toute assez banale :
- position fondamentale : fondamentale - tierce - quinte - septième (du plus grave au plus aigu)
- premier renversement : tierce - quinte - septième - fondamentale
- second renversement : quinte - septième - fondamentale - tierce
- troisième renversement : septième - fondamentale - tierce - quinte
En règle générale, on ne fait pas énormément de distinctions sur les renversements utilisés, a fortiori lorsque l’on est accompagné d’une contrebasse qui se fait un plaisir de repositionner la fondamentale sous nos accords. Ainsi, lorsque l’on joue l’accompagnement en position serrée au piano, le choix du renversement répond le plus souvent à une règle d’économie de mouvements qu’à un impératif harmonique, c’est-à-dire que l’on évolue de proche en proche sur la grille d’accords, selon notre goût et le confort de notre main gauche.
Néanmoins, il faut quand même remarquer qu’en l’absence d’une basse qui joue la fondamentale, le second renversement (quinte en bas) permet d’identifier plus clairement l’accord que les deux autres.
Exercice
Essayez de jouer Autumn Leaves en utilisant des accords en position serrée, mais en évitant de trop sauter de quinte en quinte. Pour cela, essayez de négocier les changements d’accords en utilisant des renversements pour bouger le moins possible.
Faites confiance à vos oreilles pour le choix des renversements : il n’y a pas de mauvaise solution dans l’absolu tant que vos accords restent sous la mélodie. Essayez notamment en commençant par le premier accord (Cm7) en position fondamentale, puis ensuite en commençant par son second renversement.
Par exemple, voici un démarrage sur le second renversement de Cm7.
Remarquez que grâce à la façon dont le morceau est composé, vous n’avez besoin de bouger que deux notes à chaque changement d’accord (la quinte et la septième descendent vers la fondamentale et la tierce de l’accord suivant), ce qui crée une alternance entre position fondamentale et second renversement.
Le résultat est déjà plus sympa que le précedent, mais il n’est pas encore tout à fait satisfaisant à l’oreille car les accords en position serrée sonnent "troubles" (muddy en anglais), d’autant plus qu’ils sont joués ici dans la zone de la main gauche. Si l’on en joue un ou deux de temps en temps, ça passe et ça peut avoir son petit effet, mais sur toute la grille ça devient vite agaçant. Et en plus, ça manque de basses.
Pour y remédier, il nous faut impérativement aérer ces accords.
Voicings à 3 notes
Un voicing, c’est "une façon de vocaliser" un accord. Concrètement : l’accord désigne une empreinte, un moule, là où le voicing désigne l’ensemble des notes que vous jouez pour faire entendre cet accord. Il existe donc d’innombrables voicings pour un accord donné. Pour l’instant, nous en avons vu quatre (les quatre renversements en position serrée), mais ce n’est qu’un tout petit début, car vous en découvrirez forcément de très nombreux autres, aux propriétés et aux couleurs différentes, en explorant le clavier.
En ce qui nous concerne dans l’immédiat, la technique des voicings à 3 notes permet d’une part de rendre l’accompagnement à la fois plus intelligible et plus profond, et d’autre part de conserver la fondamentale des accords à la basse. Elle est donc particulièrement adaptée pour jouer en solo au piano.
D’abord, pour descendre à trois notes, il faut savoir que toutes les notes d’un accord de septième ne sont pas indispensables pour identifier celui-ci. Typiquement, si l’on omet de jouer la quinte, l’accord gardera toujours les mêmes propriétés.
En toute rigueur, on peut se dire qu’en omettant la quinte, on ne peut plus distinguer un accord mineur 7 d’un accord demi-diminué, mais cette confusion est généralement dissipée par la progression harmonique environnante ou par la mélodie. Bref, ne vous tracassez pas pour cela, on peut faire sauter la quinte.
Il nous reste donc à positionner la fondamentale, la tierce et la septième, et rien ne nous force à les jouer sur la même octave… si ce n’est la taille de nos mains, qui ont l’avantage d’être deux !
Cette technique consiste donc à :
- éclater l’accord sur deux octaves,
- en gardant la fondamentale à la basse,
- en répartissant deux notes dans la main gauche…
- … et la troisième sur le pouce de la main droite.
Dans ces conditions, il n’existe que deux positions possibles :
- La position "fermée" : fondamentale, septième, puis tierce sur l’octave au-dessus sous le pouce droit,
- La position "ouverte" : fondamentale, dixième (tierce sur l’octave au-dessus), puis septième sous le pouce droit.
Voici une suite d’accords qui utilise cette technique en alternant les positions ouverte et fermée, de la même façon que nous avons alterné les renversements lors de l’exercice précédent :
Ah ouais… tout de suite, ça commence à sonner comme du jazz.
Vous pouvez vous entraîner à jouer ces voicings sur les accords d’Autumn Leaves, mais sachez qu’avant de vous proposer un exemple de solution, nous allons faire une passe d’analyse harmonique qui vous permettra de comprendre en quoi la composition de ce standard est à la fois simple et efficace.
Il est possible que votre main gauche soit trop petite pour réaliser un écartement d’une dixième, surtout sur certains accords où la fondamentale se trouve sur une touche noire et la tierce sur une touche blanche et vice-versa. Si c’est le cas, abandonnez immédiatement le jazz ne vous inquiétez pas car rien ne vous oblige non plus à attaquer simultanément toutes les notes de l’accord !
Vous avez absolument le droit de tricher, d’arpéger, ou de décaler la basse sur un temps différent du reste de l’accord… Vous ne ferez retourner aucun compositeur dans sa tombe en accommodant la main gauche à votre sauce, puisque c’est vous le compositeur de cette main gauche. Détendez-vous ; c’est du jazz, tout va bien.
Analyse harmonique
Maintenant que vous connaissez les accords de septième et que vous pouvez les faire sonner de façon agréable sur un piano, parlons d’harmonie tonale et analysons notre grille.
Harmonisation de la gamme majeure
Pour commencer, regardons ce qui se passe lorsque l’on plaque un accord de septième sur chaque degré de la gamme de Do majeur (do-ré-mi-fa-sol-la-si), simplement en empilant des notes de tierce en tierce.
En faisant cela, et en chiffrant chaque degré de I à VII, nous venons de créer une tonalité, c’est-à-dire un système cohérent dans lequel jouer un morceau : la tonalité de Do majeur.
Celle-ci se compose des éléments suivants :
- Deux accords Maj7, sur les degrés I (Do) et IV (Fa) ;
- Trois accords m7, sur les degrés II (Ré), III (Mi) et VI (La) ;
- Un unique accord 7 sur le degré V (Sol) ;
- Un unique accord m7♭5 sur le degré VII (Si) ;
En harmonie, nous donnons des petits noms pour décrire la fonction de ces degrés. Les voici listés (j’ai mis en gras les deux plus remarquables) :
Degré | Nom |
---|---|
I | Tonique |
II | Sus-tonique |
III | Médiante |
IV | Sous-Dominante |
V | Dominante |
VI | Sus-dominante |
VII | Sensible |
La tonique est le degré qui donne son nom à une tonalité, c’est sur ce degré que l’on conclut les morceaux. Un morceau en Do majeur se terminera généralement par un accord C (parfois juste la triade, parfois Maj7, parfois coloré autrement, mais en tout cas avec une triade C dans l’accord). Bien sûr ce n’est pas une règle d’airain et il existe quelques exceptions, dont la fin est volontairement surprenante, mais celles-ci sont rares.
Dans une tonalité majeure, la tonique est un accord Maj7. Notez que ce n’est pas pour autant que les accords Maj7 sont indicatifs d’une tonalité, puisque c’est également le cas du degré IV.
La dominante, quant à elle, est le degré le plus caractéristique de la tonalité. C’est le seul degré de la gamme harmonisée à porter un accord 7, et c’est pour cela (plutôt que par un heureux hasard) que ces accords 7 sont aussi nommés 7e de dominante en harmonie classique.
Notion de cadence
Comme les choses sont bien faites, la dominante subit une attraction de la part de la tonique, ce qui veut dire que lorsque l’on joue le degré V dont l’accord crée une tension, notre oreille occidentale est naturellement tentée de résoudre cette tension en allant vers le degré I.
Cet enchaînement d’accords V-I est appelé une cadence. C’est même une cadence conclusive.
Pensez à la fin de J’ai du bon tabac et vous entendrez un V-I (quinte descendante).
Pensez à Frère Jacques et vous aurez aussi un V-I (quarte montante, ding dong, ce qui revient à descendre d’une quinte).
Pensez à Mon beau sapin… et vous aurez encore un V-I (la mélodie se conclut par une seconde majeure descendante car on passe de la quinte du degré V à la fondamentale du degré I).
En dehors du V-I qui est pratiquement universel, les cadences sont souvent caractéristiques d’un style musical donné. Par exemple, les chants gospel ponctuent généralement leurs fins de phrases par un IV-I que l’on surnomme "la cadence amen", puisque c’est sur cette cadence que l’assemblée scande un amen galvanisant en réponse à l’orateur qui détient le chant. Un exemple très identifiable de cette cadence peut être entendu dans le morceau Moanin’ de Bobby Timmons, ici interprété par Art Blakey & the Jazz Messengers (dont il faisait partie). Les toutes premières phrases donnent ceci :
En jazz, nous avons une cadence reine que l’on retrouve partout et dont vous ne finirez jamais d’entendre parler : II-V-I. Nous allons en examiner les deux variantes principales dans ce tutoriel.
Le "II-V-I majeur"
Si l’on prend les degrés II, V et I de la gamme hamonisée de Do majeur juste au-dessus, nous obtenons :
Dm7 - G7 - CMaj7
Et voilà, nous venons de former un "II-V-I en Do majeur", c’est aussi simple que ça ! Nous pouvons donc généraliser :
IIm7 - V7 - IMaj7
En d’autres termes :
- Un accord mineur 7…
- … Suivi d’un accord 7 une quinte en-dessous…
- … Suivi d’un accord majeur 7 une quinte en-dessous, sur la tonique.
Comme l’accord du II est mineur, on note couramment "ii-V-I" (avec un petit "ii") pour parler d’un II-V-I majeur.
Vous vous demandez probablement comment sonne un ii-V-I. Eh bien pour prendre un exemple un peu rigolo, si je devais jazzifier la comptine J’ai du bon tabac, la première chose que je ferais serait certainement de conclure chaque phrase par un ii-V-I comme ceci1 :
Exercice
Essayez d’identifier tous les II-V-I majeurs dans la grille d’Autumn Leaves.
Astuce : Pour le faire très vite, cherchez d’abord les accords de dominante (accords 7 ou équivalents) dans la grille, puis examinez ceux qui les entourent.
Solution :
Les trois premiers accords de la grille sont Cm7 - F7 - B♭Maj7… Et paf ! Un ii-V-I, d’entrée de jeu, en Si♭ majeur.
Ce ii-V-I se répète à l’identique au début de la section A2.
Dans la section B, on le retrouve à la mesure 21.
À la mesure 27, on trouve un ii-V (Gm7 - C9) qui se jette dans un Fm7 : c’est presque un ii-V-I, sauf que l’accord Fm7 est m7 car il introduit un ii-V-I en Mi♭. On qualifiera cet accord Fm7 de pivot.
Le "II-V-I mineur"
La construction des tonalités mineures n’est pas aussi immédiate que celle des tonalités majeures : typiquement, on ne peut pas se contenter d’harmoniser une gamme, car ces tonalités sont généralement créées en utilisant un composite de plusieurs (souvent deux) gammes mineures harmonisées. Pour ne pas noyer le propos dans des considérations qui ne vous seront pas utiles, je vais me permettre ici de prendre quelques raccourcis, et d’approcher le II-V-I mineur d’un point de vue pragmatique.
D’abord, demandons nous quelle est la tonalité du standard que nous étudions. Si l’on se réfère au tutoriel de Ryx :
- Nous avons deux bémols à la clé, nous sommes donc soit en Si♭ majeur, soit en Sol mineur.
- Le morceau (et même chaque section de celui-ci) se conclut sur un Gm : pas de doute, on est en Sol mineur.
Si l’on examine ce qui précède chaque occurrence d’un Gm ou d’un Gm7, nous obtenons Am7b5 - D7 - Gm :
- Un accord demi-diminué…
- … un accord de dominante (accord 7) une quinte en-dessous…
- … un accord mineur (ou mineur 7) une quinte en-dessous, sur la tonique.
C’est la formule du II-V-I mineur, ou "ii-V-i" :
IIm7b5 - V7 - Im(7)
Notez que l’accord V7 est commun à tous les II-V-I, qu’ils soient majeurs ou mineurs. Cela signifie que l’astuce que j’ai mentionnée plus haut pour trouver les II-V-I majeurs est également valable pour les II-V-I mineurs.
Pour trouver tous les II-V-I d’un morceau, parcourez la grille en recherchant les accords 7. Pour chacun de ces accords de dominante, et examinez celui qui le précède et celui qui le suit :
- IIm7 et IMaj7 : c’est un ii-V-I, majeur.
- IIm7b5 et Im (ou Im7) : c’est un ii-V-i, mineur.
Sur la grille d’Autumn Leaves, on se rend compte qu’il n’y a, en fait, qu’une poignée d’accords qui ne fassent pas partie d’une cadence quelconque, que celle-ci soit un II-V ou un II-V-I.
Certes, nous sommes ici en présence d’un standard qui s’y prête particulièrement bien, mais vous comprenez maintenant pourquoi on dit tout le temps que c’est LA cadence principale du jazz…
II-V-I avec des voicings à 3 notes
Si cette cadence est tellement importante, c’est parce qu’elle combine deux mouvements dont le jazz est particulièrement friand : les descentes chromatiques (demi-ton par demi-ton), et les mouvements de quintes descendantes (ou quartes ascendantes).
Regardons de plus près ce qui se passe lorsque l’on joue un II-V-I en voicings de 3 notes :
- Mouvement II-V:
- La tierce mineure du II (Fa) devient la septième mineure du V sans bouger.
- La septième mineure du II (Do) descend d’un demi-ton pour devenir la tierce majeure du V (Si).
- La fondamentale du II (Ré) descend d’une quinte (ou monte d’une quarte) sur la fondamentale du V (Sol).
- Mouvement V-I:
- La tierce majeure du V (Si) devient la septième majeure du I sans bouger.
- La septième mineure du V (Fa) descend d’un demi-ton pour devenir la tierce majeure du I (Mi).
- La fondamentale du V (Sol) descend d’une quinte (ou monte d’une quarte) sur la fondamentale du I (Do).
Exercice pratique
Il est très important d’imprimer cette cadence dans votre mémoire, et son mouvement aussi bien dans vos mains que dans vos oreilles. Pour ce faire, voici un exercice que je vous propose d’intégrer à vos prochaines sessions d’entraînement avec votre instrument.
Voici un magnifique cycle des quintes :
Dans le tutoriel de Ryx, vous avez pu voir que ce cercle magique permet de trouver facilement la tonalité majeure correspondant au nombre de dièses (en tournant dans le sens horaire), ou de bémols (en tournant dans le sens anti-horaire) donné à la clé.
En ce qui nous concerne, nous allons nous en servir pour travailler les II-V-I. Voici comment :
- Positionnez-vous sur le sommet : C,
- Jouez un Cm7, puis énoncez à voix haute : "II-V-I en Si♭ majeur !",
- Tournez de deux crans dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour jouer ce II-V-I : F7, B♭Maj7.
- Vous voici positionné sur le B♭ du cycle.
- Ne levez pas les mains à moins que vous ne vous trouviez vraiment trop bas dans les graves, auquel cas transposez-vous une ou deux octaves plus haut.
- Minorisez l’accord qui se trouve sous vos mains (B♭m7), puis énoncez à voix haute : "II-V-I en La♭ majeur !".
- Jouez ce II-V-I pour tomber sur A♭…
- … et ainsi de suite jusqu’à avoir fait un tour complet.
Pour couvrir toutes les possibilités avec cet exercice, vous devrez faire quatre tours du cycle :
- En commençant sur le C en position ouverte,
- En commençant sur le C en position fermée,
- En commençant sur le G en position ouverte,
- En commençant sur le G en position fermée.
Il est important d’énoncer à voix haute le II-V-I que vous allez jouer, parce que dans un second temps, vous devrez pouvoir laisser le cycle des quintes de côté, énoncer une tonalité et une position au hasard, puis jouer un II-V-I majeur dans cette tonalité en commençant dans cette position.
Bien entendu, vous pouvez travailler les II-V-I mineurs de la même façon, puis tout mélanger à la fin.
Cet exercice devrait vous occuper pendant pas mal de séances, mais vous comprendrez très certainement qu’il est là pour vous aider lorsque vous déchiffrerez de nouveaux standards puisqu’à la longue, lorsque vous croiserez un II-V-I, vos mains sauront le jouer toutes seules, sans réfléchir !
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Vous vous demandez probablement pourquoi je termine sur un C6 plutôt qu’un CMaj7. La raison est simple : c’est pour éviter d’avoir la dissonnance entre la septième majeure (Si) et la fondamentale (Do) sur l’accord de fin. Pour cela, j’ai simplement remplacé la septième majeure par une sixte (La), ce qui donne un accord C6 qui assume, comme vous pouvez l’entendre, la même fonction. ↩
Construire son interprétation
Ça y est, vous disposez maintenant d’un bagage technique et harmonique suffisant pour jouer bon nombre de standards en comprenant ce que vous faites.
Mais si la musique n’était affaire que de théorie et de technique, ça se saurait, puisqu’on en laisserait le soin à des robots… Il nous reste maintenant à construire une interprétation digne de ce nom !
Écouter les grands
La première chose à faire pour construire sa propre interprétation et piocher son inspiration est probablement d’écouter le morceau joué par les grands du jazz. Cela permet de se faire une idée des moult façons possibles de jouer un standard, d’entendre et de découvrir du vocabulaire, de décider plus facilement la façon dont on aimerait le jouer, et surtout d’accroître sa culture musicale. D’une façon générale, l’écoute et le travail de l’oreille font partie intégrante de la pratique du jazz. Comme mon professeur aime à me le répéter :
Dans le cas d’Autumn Leaves, nous avons la chance de nous trouver face à l’un des standards les plus repris de tout le répertoire du jazz, et l’immense privilège de vivre au XXIe siècle, avec une connexion internet et Youtube à portée de clic. Passons donc en revue un ensemble d’interprétations remarquables.
Citons d’abord « l’originale » chantée par Yves Montand, plus pour votre culture générale que pour sa valeur jazzistique.
Ensuite, en ce qui me concerne, l’interprétation que j’aime le plus et que je vous recommande volontiers comme référence n’est pas l’œuvre d’un pianiste. Il s’agit d’une version enregistrée dans les années 1970 par le trompettiste Chet Baker et le saxophoniste Paul Desmond. Ces deux musiciens sont notoirement connus pour avoir un jeu très propre et intelligible, toute l’élégance de celui-ci résidant dans son apparente simplicité. Le thème interprété au tout début par Chet Baker est donc cité verbatim et sans fioritures. L’autre raison pour laquelle j’adore particulièrement cette interprétation est le feeling général très 70s du morceau (j’ai un faible pour cette époque) avec les envolées venteuses de la flûte traversière en arrière-plan et surtout le jeu incroyable de Steve Gadd à la batterie.
Enfin, voici, pèle-mèle, une poignée d’autres interprétations :
- Une reprise virtuose au piano par Errol Garner,
- Une interprétation coolympique par Miles Davis (trompette) et Cannonball Adderley (saxophone),
- Une autre référence par le premier trio du génial Bill Evans (piano), avec notamment Scott LaFaro à la contrebasse,
- Une version bebop avec John Coltrane (saxophone) et McCoy Tyner (piano),
- Une dernière pour la route, qui sonne plutôt jazz manouche par Stéphane Grappelli (violon) et Oscar Peterson (piano),
- …
- Oh et puis si, allez, pour le fun, une reprise qui n’a rien à voir avec le jazz, par Iggy Pop.
It don’t mean a thing if it ain’t got that swing
L’un des ingrédients les plus importants pour « dérobotiser » l’interprétation que l’on peut faire d’une partition tirée d’un real book, c’est le swing.
Une « danse intérieure » plutôt qu’une technique à proprement parler
On peut dire de façon grandiloquente que le swing, c’est le cœur du jazz qui bat. D’aucuns le réduisent à un découpage asymétrique des temps (on y reviendra), mais cette définition purement technique passe à côté de l’essentiel : quand on dit que ça swingue, c’est avant tout que ça nous donne envie de bouger !
Le swing est beaucoup plus un feeling qu’une altération du rythme : c’est lui qui nous fait accentuer certaines notes (non seulement de façon temporelle, mais également dans l’articulation des phrases), qui nous fait syncoper, parfois répéter, retarder ou anticiper des temps. La formule que je préfère pour définir ce qu’est le swing vient du livre de Jacques Siron (La partition intérieure), dans lequel il parle de danse intérieure.
Décalage temporel
En termes purement rythmiques, il revient à découper les temps non pas en demi-temps réguliers (un et deux et trois et quatre), mais plutôt en retardant le "et" (un, et-deux, et-trois, et-quatre). Ce décalage peut-être plus ou moins marqué : il peut être imperceptible, ou bien le "et" peut se trouver aux deux tiers du temps (comme si l’on jouait en triolets), ou bien aux trois quarts (comme s’il s’agissait d’une croche pointée suivie d’une double-croche)… aucune règle ne le fixe réellement.
À titre d’illustration, voici une petite phrase (gammes à consonance bebop) sur un ii-V-I en Si♭, jouée une première fois en croches normales, puis en croches swinguées :
Anticipation, retardement et répétition des notes
L’une des conséquences du swing est qu’il devient possible d’anticiper des notes (là où en musique classique, une figure de style commune consiste à très légèrement retarder une note culminante). Cette anticipation est typique du phrasé jazz : il s’agit tout simplement de jouer une note (censée tomber sur un temps), une croche plus tôt.
Il est également courant de retarder certaines notes d’une croche, ou d’attaquer une note en « rebondissant » dessus.
Voici une vidéo dans laquelle vous me remercierez d’avoir laissé le son du métronome, puisqu’elle combine des notes anticipées, des retardements et des répétitions (« rebonds ») :
Bien entendu, il est hors de question de déchiffrer strictement ce rythme ! Il s’agit plutôt d’en saisir l’idée, et de tenter soi-même de placer ces effets au feeling. Le swing en tant que « danse intérieure » consiste en fait à ressentir ce phrasé de façon naturelle, sans le forcer.
Travail au métronome
Le meilleur moyen de se mettre à swinguer, c’est de régler votre métronome pour qu’il accentue (ou bien qu’il ne batte que sur) le second et le quatrième temps. Essayez d’imaginer qu’il s’agit du charleston d’un batteur et de trouver le même style de balancement… Commencez d’abord lentement pour trouver la bonne respiration puis accélérez petit à petit.
À titre personnel, j’adore cet exercice, parce que son but est justement de trouver en soi un balancement, une danse particulièrement exaltante lorsque l’on arrive à la communiquer à ses mains.
Voici un exemple dans lequel je travaille Autumn Leaves au métronome en swing et essayant de syncoper mon jeu. Ce que ne montre pas cette vidéo, c’est les heures de travail où j’ai commencé en réglant le métronome à 50 avant de monter progressivement, ni les quarante prises ratées qui l’ont précédé.
N’essayez pas de reproduire cette vidéo à l’identique !
Cela vous desservirait pour deux raisons. La première, c’est qu’il est difficile de dire si cette vidéo est "exemplaire" ou non : certains temps sont anticipés, d’autres non, typiquement j’ai gardé la plupart des notes culminantes (les dernières notes de chaque phrase) sur les temps. Disons que j’ai appliqué différentes variations rythmiques selon mon propre goût personnel et ce que mon oreille me dictait sur l’instant, mais je ne suis pas un "grand", et je ne prétends ici montrer que le concept du balancement, pas faire une démonstration parfaite de phrasé.
La seconde raison, c’est que vous risqueriez de développer des systématismes rythmiques (ou de recopier les miens…). Sauf répétition ostensible d’un gimmick rythmique (qui est une forme d’expression et peut avoir son sens), il est important de faire attention à ne pas répéter tout le temps la même modulation du rythme1, sans quoi cela commence à devenir systématique, et donc prévisible, là où le but du jeu est plutôt de garder l’auditoire en haleine en ne cessant de le surprendre.
En somme je vous invite à expérimenter vous-même avec le rythme, en essayant par exemple de répéter une phrase dans laquelle vous vous contentez de déplacer une note à la fois dans la mesure pour voir ce que cela donne, et trouver les variations qui vous plaisent : imaginez que dans l’idéal, il faudrait que le placement des notes sur les temps soit complètement aléatoire.
Progresser et mesurer son progrès : l’introspection et l’autocritique
Cette partie est volontairement très subjective. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement puisqu’elle traite du rapport entre émotions et interprétation spontanée, et de la ré-écoute critique.
L’une des choses que mon professeur m’a dites et qui m’ait le plus aidé, c’est qu’à terme, LA question que l’on devrait se poser en s’asseyant devant le clavier, c’est « comment est-ce que je vais jouer ce truc aujourd’hui ? ».
Comme je le disais en introduction, le jazz est d’abord une question de spontanéité. Fermez les yeux, prenez une grande inspiration et demandez-vous comment vous vous sentez : êtes-vous d’humeur joyeuse ? Détendu ? Mélancolique ? Alors jouez le morceau de façon joyeuse et sautillante, ou bien cool et posée, ou bien mélancolique et langoureuse !
Bien sûr, cela implique que vous ayez développé le vocabulaire pour exprimer ces états d’âme au préalable, mais vous l’acquerrez avec le temps…
Je veux bien te croire. Mais comment dois-je m’y prendre, au juste, pour l’acquérir ?
En vous ré-écoutant souvent !
Je parle ici de ré-écoutes à la fois attentives et critiques, pas juste se demander superficiellement si c’est joli…
Une interprétation n’est jamais absolue
S’il y a un piège dans lequel il ne faut pas tomber en se réécoutant, c’est de se demander si l’on est "bon ou pas" dans l’absolu. Cette question vous amènera inévitablement à vous comparer aux autres, à complexer et à ne plus progresser : souvenez-vous que tous ces prodiges sur YouTube, qui sont beaucoup plus balèzes que vous et moi, ont dû travailler un jour les mêmes choses que ce que vous apprenez en ce moment.
L’interprétation que vous ré-écoutez porte une date, non seulement c’est un point sur un calendrier, mais c’est également un moment ponctuel, un snapshot de votre progression. Ainsi, la seule personne à laquelle vous devriez vous comparer, c’est à vous-même, le jour, la semaine ou le mois précédent !
Se poser les questions qui comptent
Donc vous allez réaliser votre autocritique. Il convient maintenant de se poser les bonnes questions.
« Est-ce que ça va plaire aux gens » n’en est pas une.
Vous aurez toujours des gens qui adoreront ce que vous faites, vous encourageront de façon inconditionnelle et gonfleront votre confiance en vous (moi, c’est mon papa !), d’autres qui hausseront les épaules, et d’autres encore dont ce n’est juste pas le truc. Bien peu de gens seront en mesure de vous fournir l’analyse objective dont vous avez vraiment besoin pour progresser en dehors de vous, et de votre professeur si vous en avez un.
La popularité n’est pas une fin en soi. Est-ce que Charlie Parker s’est posé cette question quand il a développé le bebop ? Probablement pas. Et il s’est fait défoncer par la critique de l’époque (qui considérait que c’était du bruit sans intérêt), alors qu’aujourd’hui c’est une légende dont l’héritage a influencé tous les saxophonistes. Si vous voulez plaire aux gens, c’est plutôt vers la pop ou la variété qu’il faut vous tourner. Je ne dis pas ça pour dénigrer la pop ni la variété, simplement soyons réalistes : le jazz n’est pas populaire car il ne correspond pas à la façon dont la plupart des gens écoutent de la musique aujourd’hui. Pour cette raison, jouer du jazz pour plaire aux autres est sûrement une mauvaise idée qui risque de vous laisser l’impression frustrante que personne ne vous comprend (ni vous, ni votre investissement), ou pire, que tout le monde s’en fout (alors que ce n’est pas le cas !). Jouez pour vous, explorez-vous, amusez-vous : les gens aiment écouter quelqu’un qui se fait plaisir.
Mais revenons au sujet. Les bonnes questions seraient plutôt…
- Qu’est-ce que je voulais exprimer ?
- Qu’est-ce que j’ai essayé ?
- Est-ce que j’ai pris des risques ?
- Est-ce que ça a marché ?
- Comment j’étais, techniquement ?
- Si je devais travailler un point technique avant de me ré-enregistrer, ce serait lequel ?
- Est-ce que mon phrasé était correct ?
- Étais-je en rythme ?
- Est-ce que je me suis amusé ?
- Est-ce que ça s’entend que je me suis amusé ?
- D’où vient (telle idée/phrase) ?
- Est-ce que j’entends de nouvelles choses (dans ma tête) que je devrais essayer d’ajouter à ce morceau ?
- Ai-je appris/réalisé quelquechose par rapport à hier ?
- …
Ce questionnement est un cercle vertueux : plus vous avez l’habitude d’analyser votre jeu de cette façon, plus votre oreille s’entraîne, plus il vous est facile d’apprécier le jeu des autres et d’y piocher ce qui vous plait.
Un exemple
Aujourd’hui, la météo me sape un peu le moral (il fait gris et moche) alors j’ai décidé de jouer deux fois la grille d’Autumn Leaves :
- Une première fois en rubato, de façon mélancolique et tout en arpèges, en essayant de me figurer des raffales de vent qui emportent les feuilles mortes.
- Puis je reste plusieurs mesures sur le Gm en m’amusant avec la gamme blues de Sol (que nous n’avons pas vue dans ce tuto, certes), en introduisant des syncopes et en commençant à swinguer.
- Puis je rejoue la grille de façon plus jazz mais aussi plus vindicative, en augmentant le tempo (je ne dois pas être très loin des 200 à la noire), en swinguant sur les voicings de 3 notes que nous avons vus plus haut, en essayant d’utiliser le moins possible la pédale pour donner un aspect plus rythmé, et en essayant de décaler les accords dans la mesure pour ne pas me répéter.
En me réécoutant, je m’aperçois de plusieurs choses.
- Pas mal le rubato ! Je me suis contenté d’arpéger les accords de la grille en ajoutant des petites neuvièmes à droite à gauche car je n’ai pas encore appris les substitutions qui pourraient en jeter plus, mais là comme ça, ça fait son effet, c’est cool.
- Attention à la main gauche sur les arpèges, je monte beaucoup plus facilement que je ne redescends (il y a notamment une fausse note sur le Am7b5 du début de la section B), il faudra que je les travaille un peu.
- Le D7♯5♯9 sur le ii-V-i de la fin de la première grille. <3 On ne l’a pas vu dans ce tuto, mais j’adore la façon dont sonne ce voicing.
- Pendant le break, la seconde phrase tombe comme un cheveu sur la soupe. J’aurais dû la décaler plus loin dans la mesure, ou bien juste garder le silence (très courant chez les pianistes aux dires de mon prof : on a "peur du vide").
- Mon deuxième passage sur le thème n’est franchement pas exemplaire du point de vue rythmique, non seulement parce qu’il est trop rapide d’entrée de jeu, mais aussi parce que j’accélère involontairement, en mangeant des temps. C’est certainement à cause du fait que j’ai démarré le morceau en rubato et voulu changer brusquement de tempo au milieu. Je pense que je ferai particulièrement chauffer mon métronome lors de mes prochaines sessions d’entraînement.
- Cette interprétation est très influencée par cette vidéo de Kent Hewitt (que je vous recommande, d’ailleurs, si vous êtes anglophone, puisqu’il donne également quelques explications sur le phrasé, notamment l’anticipation des notes), ainsi que l’interprétation de Bill Evans dans laquelle j’ai pioché notamment ma dernière phrase, parce que j’aime la façon dont elle sonne sur la modulation de la fin (ii-V en Fa majeur puis ii-V-I en Mi♭). D’un autre côté je me demande quel pianiste pourrait ne pas être influencé (même indirectement) par Bill Evans…
Globalement ? Je suis satisfait de cette interprétation, car elle correspond à ce que je voulais jouer et je sais quoi travailler pour faire mieux la prochaine fois.
-
"Dire la même chose deux fois, ok, mais trois, c’est plus du jazz, c’est de la variété." ↩
Pour aller plus loin
Avec ce tutoriel, nous venons à peine de gratter la surface de ce sujet immense, mais si vous en voulez encore, je pense que cette section va particulièrement vous intéresser !
Références
Voici quelques références diverses qui m’ont été utiles pour débuter le jazz.
Livres
Pour moi, LE livre de référence est sans conteste La partition intérieure (Jazz, Musiques improvisées) de Jacques Siron, éditions Outre-Mesure. Attention, c’est un gros morceau, il est lourd, volumineux, et évidemment pas donné, mais il contient… tout ! Ce n’est pas à proprement parler un livre que l’on lit chapitre par chapitre, mais plutôt une sorte d’encyclopédie pragmatique de la théorie musicale. Vous venez de toucher une notion du doigt ? Pensez avoir découvert un truc nouveau sur votre instrument ? Ou bien vous ne comprenez pas pourquoi diable cet accord peut bien s’enchaîner avec tel autre ? Ce sont autant d’occasions d’ouvrir La partition intérieure à son index, puis de vous laisser guider par ses "chemins de traverse" qui permettent de découvrir tout ce qu’il y a à savoir sur une notion donnée en l’abordant sous toutes les coutures, en sautant de chapitre en chapitre en suivant ses divers liens. C’est riche, c’est extrêmement bien écrit, c’est méticuleusement documenté, et surtout, c’est passionnant !
Un autre livre, celui-ci plus proche d’un cours à proprement parler, serait Le livre du piano Jazz par Mark Levine. Il s’agit véritablement d’un cours, découpé en différents chapitres, qui abordent les notions principales à connaître en commençant par le début. Cela dit je l’ai trouvé personnellement un petit peu abrupt à suivre au premier abord, raison pour laquelle je ne pense pas qu’il puisse se substituer à un professeur (nous y reviendrons).
Recueils de standards
Comme je l’ai dit en introduction, il existe des tonnes de recueils de standards. Personnellement, je possède en version papier plusieurs tomes de The Real Book, chaque tome contenant autour de 400 standards classés par ordre alphabétique. Il existe également une collection appelée The New Real Book, dont l’apport par rapport au Real Book tient surtout dans le fait que ses partitions sont en qualité d’imprimerie plutôt que manuscrites, et que leurs répertoires ne sont pas tout à fait les mêmes.
Chaînes YouTube
Des gens qui parlent de jazz sur YouTube, ce n’est pas ça qui manque. Par contre, ceux qui ont véritablement quelque chose à dire et qui le font avec pédagogie sont, hélas ! beaucoup plus rares. Je me permets d’en citer ici trois qui m’ont réellement été utiles pour débuter.
Les chaînes et vidéos citées ici sont toutes anglophones. Malheureusement je ne connais aucune ressource francophone de qualité sur le sujet.
Kent Hewitt est un jazzman qui a réalisé beaucoup de vidéos à vocation pédagogique, de tous niveaux possibles. Ses vidéos ont une approche assez sympathique car il explique réellement les choses comme si l’on était assis à côté de lui devant le clavier, donc "avec les mains", en se laissant parfois emporter dans une démo impromptue, pour le plaisir de développer une idée. Pour quelques unes de ses vidéos, il a ajouté sur son site perso des partitions (notamment d’exercices), téléchargeables gratuitement. Par exemple vous pouvez regarder sa vidéo sur la construction des accords où il va (fort heureusement) vous expliquer la même chose que moi, mais sur un clavier.
Dans le même style, Tony Winston propose également des cours en vidéo à différents niveaux. Notamment, pour ceux parmi vous qui brûlent d’impatience d’en découdre avec les gammes et l’improvisation, il aborde l’improvisation sur Autumn Leaves en Sol mineur, en expliquant quelles gammes utiliser. La différence entre les vidéos tient dans les gammes abordées, ainsi, la première des deux devrait déjà vous donner de quoi vous amuser avec la gamme de Si♭ majeur et celle de Sol blues. Je vous suggère de garder la seconde vidéo, qui parle notamment des gammes diminuée demi-ton/ton, et altérée, pour plus tard, lorsque vous aurez déjà travaillé plusieurs standards.
Pour les moins à l’aise d’entre vous avec l’anglais parlé, les vidéos de David Magyel présenteront un intérêt certain puisqu’elles ne contiennent aucune parole. Pas de blabla, uniquement des phrases simples écrites à l’écran quand ce n’est pas des partitions, et une vue permanente sur ce qu’il fait avec ses mains. Bien que ses vidéos soient avant tout pragmatiques et ne contiennent, pour ainsi dire, aucune théorie, ses exercices sont tout à fait dignes d’intérêt, et de tous niveaux.
Ce que vous devriez étudier dans l’immédiat
Au départ il est surtout important de devenir à l’aise avec le déchiffrement des standards et les accords de septième. Une bonne façon de faire cela est typiquement de vous amuser à déchiffrer des tas de grilles de standards (sans forcément les approfondir derrière, mais en les analysant au préalable, à la recherche de II-V-I), jusqu’à ce que vous arriviez à jouer un nouveau standard en un temps que vous jugerez satisfaisant. Parmi les standards notoirement connus pour être "faciles" (ou plutôt, intéressants pour un débutant), on peut mentionner par exemple Fly me to the moon, All the things you are, Infant eyes, Beautiful love, I remember Clifford…
Le nombre de notions théoriques, de styles et de techniques utilisées dans le jazz pendant plus d’un siècle d’existence, est absolument gigantesque. En fait, il y a certainement de quoi étudier pendant plus d’une vie, d’autant plus si l’on ajoute à cela l’étude de l’héritage qui lui vient de la musique classique… Néanmoins, comme dans tous les domaines, on peut dégager un nombre restreint de fondamentaux qu’il est intéressant de découvrir assez tôt pour ne pas se perdre :
- Tout d’abord, nous n’avons vu que les accords de septième dans ce tutoriel, mais il en existe pas mal d’autres qu’il faudra que vous appreniez à lire et former. Par exemple :
- Les altérations des accords. Par exemple : le D7♯5♯9 que j’ai mentionné plus haut est un accord de dominante que j’ai "pourri" avec des altérations pour lui donner plus de couleur,
- Les accords de neuvième et plus,
- Les autres types d’accords, comme les accords suspendus (exemple: Csus4)…
- Des gammes pour l’improvisation tonale :
- Gamme majeure, gammes mineures (naturelle, harmonique et mélodique),
- La gamme blues (qui passe absolument partout, ce qui est drôlement pratique),
- (Plus tard) les gammes diminuées et la gamme altérée.
- D’autres cadences :
- La cadence blues,
- L’anatole (en jazz: I-VI-II-V)
Prendre des cours
Avec ce que nous venons de voir dans ce tutoriel, vous avez déjà de quoi vous occuper seul pendant un bon moment. Cependant, il est très possible qu’à un moment ou un autre, vous finissiez par vous poser l’inévitable question : faut-il que je prenne des cours ? Cela vaut-il le coup ?
Permettez-moi de vous dire que oui. Dès l’instant où vous vous poserez cette question, c’est que vous prendrez cette activité suffisamment au sérieux pour avoir envie de progresser, et en ce qui concerne le jazz, le meilleur moyen d’apprendre et de progresser, c’est avec un professeur en chair et en os. Un professeur de jazz sait détecter vos difficultés, vous aider à les résoudre, amener les notions pour vous les faire travailler dans l’ordre, canaliser votre enthousiasme pour vous permettre de vous concentrer sur ce qui importe réellement, et surtout, instaurer un dialogue, pour vous apprendre à exprimer ce que vous dictent vos oreilles.
En ce qui me concerne, même si cela n’a que la valeur d’une anecdote, je savais déjà jouer correctement du piano lorsque je me suis intéressé au jazz et que j’ai commencé à apprendre seul. Du moment où j’ai commencé à prendre des cours avec un vrai prof, j’ai vu mon niveau décoller et je me sentais progresser, littéralement, de semaine en semaine : le fait d’avoir un prof m’a permis de ne plus avoir à me demander ce qu’il fallait que j’étudie ni comment, et de concentrer mes efforts pour atteindre chaque semaine un objectif raisonnable.
Ainsi je ne peux que vous encourager très vivement dans cette voie si vous avez l’occasion de trouver un professeur de jazz près de chez vous. Si cela peut vous rassurer, sachez que vous aurez généralement au moins un cours d’essai avant de prendre la décision de vous inscrire définitivement : vous n’avez strictement rien à perdre et tout à y gagner.
Ce tutoriel touche à sa fin. J’espère qu’il vous aura fait découvrir de nouvelles choses et donné envie d’en apprendre plus sur le jazz. Je vous remercie d’avoir pris le temps de le lire.
Un merci tout particulier à Ryx et Dwayn pour leurs relectures attentives, leurs questions pertinentes et leurs bons conseils pendant la bêta, ainsi qu’à informaticienzero qui s’est chargé de le valider.
N’hésitez pas à me faire part de vos remarques ou de vos questions en commentaire.