Je me permets d'apporter ma petite expérience personnelle. Passons rapidement sur les poncifs sur les super-profs et les profs de merde qui ne relèvent que de jugements personnels et bien souvent partiaux : certains profs que j'ai adorés étaient détestés de mes amis et inversement, certains parents d'élèves me lancent des fleurs et 5 minutes après, d'autres remettent mes compétences en cause. Profs, élèves et parents ne sont jamais que des humains, avec tous leurs travers.
Quand les profs trouvent ça normal d'avoir une part des élèves nuls en maths, c'est scandaleux.
Je n'ai encore jamais vu de collègue qui érigeait cette idée en dogme. En revanche, il est facile de constater que certains ont intégré cette idée au fil des ans, à leur corps défendant. Avant de crier au scandale, laissez-moi juste vous raconter une anecdote. Un jour, alors que j'aidais une gamine de 4ème (~14 ans) dans un de ses problèmes, je dus lui faire calculer $3 \times 40$. La tâche lui semblant ardue (non vous ne rêvez pas) je décide de me ramener au problème $3 \times 4$. Après de nombreux essais infructueux, j'en viens à lui demander $4 + 4 + 4$. Après une erreur ou deux, j'obtiens $4 + 4 =8$ puis, après de nombreux échecs, à $4 + 4 + 4 = 12$ ! Victoire ! A cet instant, la gamine (14 ans dont 8 à faire des maths) me fixe du regard et me dit : "Mais alors, $3 \times 4$ ça veut dire 3 fois, 4 ? ". Elle venait (à 14 ans je le rappelle) de découvrir le sens de la multiplication. C'était certes une victoire pour moi, mais également un grand désespoir car je réalisais de mon côté le gouffre qu'il y avait entre ses connaissances et celles qu'elle aurait du avoir à son âge. Répétez ce type d'expérience à longueur d'année durant plusieurs années, et je pense que tout le monde finira par sentir un léger découragement.
Non mais en plus, pourquoi une courbe de Gauss devrait être centrée autour de 10 ? Un prof qui fait bien son boulot devrait réussir à la centrer autour de 12, tout en ayant un niveau d'exigence normal vis-à-vis de ses élèves.
Cela n'a aucun rapport. Je peux tout à fait être très exigeant avec les élèves, les emmener tous à un haut niveau de pratique, avoir une moyenne de classe à 8 et pour autant préconiser leur passage en classe supérieur. A contrario, avoir une moyenne à 12, 13 ou 14 n'est pas non plus le gage d'un bon enseignement. Je peux tout à fait abaisser mon niveau d'exigence le jour du contrôle voire pire, enseigner à un niveau nettement en dessous de ce que les programmes imposent. De façon plus générale, le débat sur les notes est souvent un faux problème car on y associe très souvent l'idée de la stigmatisation. On peut casser ou ré-étalonner le thermomètre facilement, cela ne change pas pour autant le degré de compréhension des élèves (leur estime d'eux-même certes, mais ce n'est pas le sujet). Par exemple, cela fait de nombreuses années que les écoles primaires ont (en très grande partie) abandonner les notes pour des systèmes de smiley ou de points verts-orange-rouge. Cela ne s'est nullement accompagné d'une hausse des compétences. Certains objecteront même le contraire, et il n'est pas rare de voir des élèves ou des parents découvrir en 6ème que le niveau de leur enfant est très en dessous de ce que l'on pourrait attendre (avoir 10 points verts, 4 oranges et 6 rouges ne signifie pas que l'on a 12/20, toutes les compétences n'ayant pas le même poids.
Mais revenons au problème : pourquoi un tel désamour et tant de difficultés pour les Maths ? Un point qui ne semble pas avoir été soulevé (mais qui n'est pas l'unique raison) est le caractère particulièrement cumulatif des Maths. Pas de résolution d'équation de degré 2 sans identités remarquables. Pas d'identités remarquables sans factorisation-développement. Pas de factorisation-développement sans calcul littéral. Enfin, pas de calcul littéral sans calcul numérique. Rares sont les matières où le fait de manquer une marche a autant d'impact sur la suite de la scolarité. Avoir loupé le chapitre sur la poésie du XIXème n'empêche pas de comprendre celui sur le roman au XXème. Cela ne veut pas dire qu'un élève qui trébuche est perdu pour la science à plus ou moins longue échéance, mais il est nécessaire qu'il se relève rapidement de son échec afin d'affronter les futures notions. Et vous aurez beau illustrer, réexpliquer, justifier, recontextualiser votre chapitre sur les polynômes autant que vous voudrez, un élève n'ayant toujours pas intégré que $x+x=2x$ et pas $x^2$ aura toutes les peines du monde à en comprendre l'intérêt.
Il n'y a qu'à prendre le temps de lui expliquer me direz-vous. Sauf que ce raisonnement oublie un problème simple : chaque niveau ne dure que 36 semaines, chaque semaine ne compte que 4H de Math la plupart du temps et la progression compte généralement une dizaine voire une quinzaine de chapitres. Eh oui, ce serait si beau de fournir "un soutien individualisé et adapté au rythme de chaque élève". Malheureusement, cette vision est loin des contingences bassement matérielles. Tout prof n'a qu'un temps limité pour transmettre ses connaissances (rappelons au passage que l'élève n'a pas non plus qu'une seule matière à apprendre). De plus, quiconque a un jour du gérer seul un groupe (et a fortiori un groupe d'ados) sait que la personnalisation a ses limites.
Il ne serait pas idiot de réfléchir également aux priorités : est-il utile de connaître le cosinus en 4ème et le sinus en 3ème quand on s'apprête à partir en apprentissage coiffure ou charcuterie ? N'y a-t-il pas plus urgent ? Est-il raisonnable que certains niveaux (comme la 4ème) aient des programmes si chargés et surtout dénués de cohérence (Que viennent faire la tangente à un cercle ou la distance d'un point à une droite à ce niveau) ?
Comment réussir tout de même à intéresser ? Plusieurs idées ont été soulevées, toutes sont nécessaires mais aucune n'est suffisante. Montrer la nécessité de démontrer, replacer dans le contexte historique, montrer les éventuelles applications … j'ajouterai à cela la nécessité de savoir (ou pouvoir) gérer un groupe et lui transmettre son dynamisme. Tout cela est éminemment nécessaire mais gourmand en temps. C'est tout l'art du prof que de savoir doser et alterner chacune de ces idées. Toutefois, il faut garder à l'idée que tout ne peut pas toujours être illustrer. Prenons l'Algèbre en 5ème - 4ème. Il est difficile de présenter des cas où les expressions littérales et équations ont un réel intérêt (je veux dire un intérêt vraiment convaincant pour l'élève). La plupart des problèmes du niveau des élèves peuvent être résolus par tâtonnement ou avec un peu de malice, ceux vraiment intéressants aboutissent généralement à des équations de degré 2 ou 3 ou à des systèmes, bien au delà de leurs compétences !
mes cours forment tous une suite de théorèmes, définitions, propositions… à apprendre, accompagnés d'exercices. Selon vous, cette méthode est-elle concluante ?
Personnellement, et avec du recul, je n'appelle pas cela de l'enseignement (même si certains profs savaient faire vivre ce type de cours). C'est ce genre d'enseignement que j'ai suivi et plus le temps passe plus je trouve qu'il est lamentable. C'est ainsi que j'ai déroulé des dizaines et des dizaines de séries de Fourrier sans jamais qu'un de mes "profs" de fac (notez les guillemets) n'ait l'idée d'évoquer la façon de générer un signal carré à partir d'un signal sinusoïdal par exemple. Le temps a passé et régulièrement je pense à la façon dont je m'y prendrais si je devais enseigner l'algèbre linéaire, la géométrie affine ou la topologie. Une chose est sûre, je ne m'y prendrai pas comme cela.