Suite à une discussion avec @pierre_24 concernant cet article qui défend la consigne au détriment du recyclage pour le plastique et les canettes, je me suis dis qu’il serait intéressant de fournir des éléments plus détaillés et de manière publique car cela peut intéresser du monde.
Les déchets sont un problème environnemental assez connus depuis au moins les années 70. À cette époque il n’était pas rare de voir le monde de 2000 croulant sous les déchets dans un monde surpeuplé et un air pollué, comme par exemple dans la fin de la série Il était une fois l’Homme. 50 ans plus tard, s’il y a toujours un problème de déchets, mais on ne peut nier un changement de cap, en particulier au sein de l’Union Européenne.
En effet l’Union Européenne a une démarche assez volontariste pour réduire les déchets mais surtout pour les valoriser. Les décharges n’ont pas une place infinie et polluent les sols tandis que ces déchets non valorisés sont une perte de ressources ou d’énergie. L’Union Européenne ayant une contrainte d’espace et de ressources plus accrues qu’ailleurs, notamment que les États-Unis, tout en ayant les moyens financier de le faire, ceci peut expliquer cette politique.
Aujourd’hui l’idée principale de gestion des déchets est de suivre l’ordre suivant : réduire la production de déchets, favoriser le réemploi tel quel, valoriser la matière de ces déchets (recyclage, compostage, utilisation comme remblais, biométhanisation, etc.), valorisation énergétique (incinération, usage comme combustible alternatif pour des processus industriels afin de réduire l’usage de charbon, gaz ou de pétrole pour cet usage) et enfin enfouissement des déchets non valorisables (certains produits inertes ou chimiques, déchets d’amiante, déchets nucléaires, etc).
Appliquer ce principe de manière parfaite réduirait l’émission de gaz à effet de serre, la pression pour extraire les ressources nécessaires à la production d’objets ou d’emballages, et de la pollution des sols en particulier.
Y sommes-nous ? Clairement pas. La situation entre les états membres est très différente, certains sont en avance car ils appliquent une politique forte depuis 30 ans (comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Belgique), tandis que d’autres ont été plus mous durant ce laps de temps (comme la France) et d’autres enfin ont un retard d’infrastructure et législatif important encore (comme en Roumanie ou en Bulgarie).
- Quelques aspects méthodologiques
- L'évolution du recyclage et de ses processus
- La consigne, la bonne idée ?
Quelques aspects méthodologiques
Avant d’aborder la question du recyclage effectif des emballages ménagers courants, en particulier le plastique, nous devons aborder quelques points méthodologiques rarement évoqués.
Quand on lit un chiffre comme 30% pour le taux de recyclage des plastiques en 2020 dans l’Union Européenne, comment cela a été calculé ?
On prend la production d’emballages ménagers vendus durant l’année 2020 qu’on compare au taux de plastique qui ont fini dans une usine de recyclage la même année.
Cela paraît naturel et simple, et pourtant cette méthode présente plusieurs problèmes. Mais aucune méthodologie n’est parfaite, donc ayons en tête ces difficultés quand on analyse les chiffres qui suivront.
Il y a des distorsions spatiales et temporelles liées à ces données. Par exemple beaucoup de Belges vont en France pour le tourisme ou acheter des packs d’eau en bouteille (car c’est moins cher). Ils ramènent de fait du plastique emballé qui finira dans le calcul "taux de recyclage" de la Belgique mais pas dans celui de la France où ils ont été vendus. La France ne récupèrera pas ces plastiques et aura donc un déficit de collecte en comparaison. En cas de distorsion importante au niveau des achats transfrontaliers ou touristiques cela peut avoir un impact.
Il y a distorsion temporelle car un objet ou emballage acheté en 2020 n’est pas forcément jeté en 2020. Si pour beaucoup de produits courants l’emballage ne reste pas des années dans un placard, pour certains produits comme des piles ou les déchets électroniques (comme un ordinateur) cela devient beaucoup plus significatif. Pourtant pour tous ces taux de recyclage la formule est la même.
Ensuite il y a la question de la mesure. On mesure où et comment ces données ?
Pour la production c’est plutôt simple. L’Union Européenne a imposé le système du pollueur / payeur qui est matérialisée par le logo point vert. Les producteurs doivent déclarer le tonnage de matière utilisé pour ses produits et payer la taxe associée qui dépend du matériau utilisé et notamment de sa difficulté à recycler ou non, chaque pays ayant ses propres montants.
Un produit allemand vendu en Belgique doit passer par un mandat pour que le tonnage d’emballage passe de l’Allemagne à la Belgique afin d’éviter les distorsions liées aux importations directes de pays et payer les taxes afférentes. (page 112) Mais cela n’est valide que pour les membres des organismes collecteurs, il y a des exemptions suivant le volume de vente.
Cependant pour la partie collecte c’est un sujet bien plus délicat. Déjà où mesurer cela ? En entrée du centre de tri ? En sortie de celui-ci ? En entrée d’une usine de recyclage ? En sortie de celle-ci ?
Jusqu’à mi 2022, il n’y avait pas de normes européennes sur le point de mesure. Donc comparer entre les pays était délicat. Et même avec cette norme, suivant les matériaux, le point de mesure diffère. Par exemple le papier / carton est en amont du centre de tri, quand le plastique est après. Cet écart paraît surprenant mais se justifie : le papier et carton prennent l’humidité durant les étapes de tri et de recyclage, du coup leur poids est augmenté par rapport au poids réel de matière vendu. L’objectif est de limiter ce problème.
Mais comme c’est mesuré avant le tri, cela signifie qu’on compte du papier carton qui ne sera pas recyclé (mauvais état) ou des impuretés car certains jettent autre chose dans les poubelles dédiées même si ce problème est à priori moins important que pour le plastique ou pour le verre par exemple.
Cette différence met en lumière un problème important dans le calcul, il est très difficile de comparer le poids d’un emballage neuf par rapport à un emballage usagé à cause des impuretés dans le tri, à cause de l’humidité (en particulier pour le papier et carton) et à cause des restes de liquides ou de sauces dans les emballages. Ces difficultés poussent les organismes à corriger ces biais par eux mêmes mais chacun fait un peu à sa sauce avec des facteurs de correction, il manque de contrôle indépendant à ce sujet.
L'évolution du recyclage et de ses processus
Le recyclage des matériaux est un sujet qui bouge beaucoup, ce qui était non recyclable hier peut l’être aujourd’hui.
En particulier les plastiques ont connus un essor récent, pendant des années seuls les flacons et bouteilles pouvaient l’être. Depuis quelques années en Belgique et en France il est possible de recycler les pots de yaourt, les films plastiques et des emballages plus complexes et diversifiés.. Pour le permettre il a fallu améliorer la performance des centres de tri pour avoir un flux de sortie aussi pur que possible malgré la diversité des matériaux, mais aussi développer une filière capable de les absorber et de les recycler derrière ce qui demande de la R&D mais aussi un certain volume. L’avantage de ces améliorations c’est que le risque d’erreur de tri diminue dans le même temps, mais le tri reste un art difficile devant la diversité des matériaux, des alliages de ces matériaux et des objets qui s’en servent.
En poussant le recyclage en pénalisant le prix des emballages difficilement recyclables et en simplifiant le tri on peut voir l’évolution en 20 ans, que ce soit en Belgique ou dans ma ville natale Toulon ou même dans ma ville actuelle Sambreville. Vous pouvez constatez dans le dernier cas le volume par habitant par type de déchets et le taux de valorisation par flux de déchets. On constatera à Sambreville le passage d’une facturation des déchets au poids pour les déchets non recyclable en 2019 a entrainé une diminution par deux des déchets ménagers non recyclable au profit des déchets organiques valorisés et du recyclage du verre, plastique, métaux ou papier / carton.
Mais du coup, est-ce que tout ce qui fini trié dans un centre de tri est effectivement recyclé ? La réponse est non. D’ailleurs il n’était pas rare d’entendre que le plastique trié finissait malgré tout incinéré, mais cela pouvait être lié à un manque temporaire d’infrastructure, ou le besoin d’alimenter l’incinérateur pour produire de la chaleur notamment dans un réseau urbain.
Outre les emballages théoriquement recyclables mais qui ne le sont pas car trop difficiles à gérer comme les emballages multicouches, il y a un soucis d’offre et de demande aussi comme exposé dans l’article plus haut. Il faut des acheteurs de cette matière et parfois ce n’est pas assez rentable car le recyclage coûte cher. Il y a parfois aussi des soucis techniques, par exemple une bouteille de Gini verte ou de Badoit rouge ne peut être globalement recyclée et rachetée que pour ces marques (page 35) car ces couleurs sont assez inédites contrairement aux bouteilles transparentes ou bleues qui sont utilisées par le reste de l’industrie. Et les recycler parmi d’autres couleurs abouti à un plastique gris ou noir qui est plus difficile à revendre pour les bouteilles d’eau.
C’est pourquoi devant les exigences de plus en plus fortes de recyclabilité on se dirige vers une écoconception. En diminuant la taille des emballages, mais aussi en suivant des recommandations pour simplifier le tri et la réutilisation de la matière. Il y a beaucoup d’études et de recherches institutionnelles sur le sujet. qui exposent les problèmes actuels pour le tri et les solutions possibles pour y remédier, notamment en adaptant l’emballage. L’industrie alimentaire belge par exemple s’y engage reste à voir son effectivité future.
Enfin dernier problème dans cette thématique, celui des usages. Certains plastiques par exemple absorbent des contaminant difficiles à extraire dans le processus de recyclage. Il devient difficile pour ces plastiques vierges d’être utilisés par exemple dans l’alimentaire à nouveau à cause des normes sanitaires.. Si le PET commence à rendre cela possible, ce n’est pas le cas de tous ces plastiques et la question de la circularité du recyclage se pose pour ces plastiques là. Mais ils peuvent servir potentiellement à un autre usage ce qui est quand même utile. Si vous souhaitez voir comment on recycle des emballages plastiques, voici un article décrivant le processus
La consigne, la bonne idée ?
La consigne est une solution alternative au recyclage. En Belgique et en Allemagne c’est très développé, dans le premier pour le verre uniquement (du moins bouteilles de bières, de soda ou d’eau), dans le second c’est étendu aux canettes et aux bouteilles en plastique. En France son retour fait toujours débat sans qu’une solution universelle sur le territoire n’émerge encore.
L’avantage de la consigne c’est que le tri est plus simple et qu’on réutilise les matériaux directement ce qui limite des étapes. Cependant une bouteille consignée est plus lourde et doit être lavée pour être réemployées. Mais le gain en fonte / reproduction pour le verre en particulier qui a besoin de températures élevées rend l’opération intéressant si du moins le transport n’est pas trop pénalisant.
En effet, qui dit consigne, dit retour au producteur. Une bouteille de Coca-Cola consignée ne peut resservir en somme qu’à Coca-Cola et pas à un autre producteur. Si l’usine de production est loin du lieu de collecte, cela peut pénaliser d’autant le bénéfice environnemental de l’opération. L’étude de l’ADEME sur la consigne rappelle ce genre de variables à prendre en compte pour évaluer le gain environnemental. Ou alors il faut tendre vers une uniformisation des emballages, en particulier pour le vin ou la bière qui s’y prêtent particulièrement bien.
Mais dans le cas du plastique ou des canettes ? C’est encore un peu différent car globalement le verre est solide, et d’ailleurs une bouteille consignée est souvent un peu plus lourde pour tenir plus longtemps ce qui améliore le bénéfice. Mais pour le plastique ou les canettes, ils sont plus facilement déformés. Ce qui fait que si cela améliore le taux de collecte car cela a de la valeur (une petite bouteille en plastique rapporte 25 centimes, ça chiffre vite), donc ils sont moins réutilisés tels quels et recyclés bien plus vite que pour le verre (environ 50 contre 15 fois)
Mais du coup, passer du plastique à du verre consigné n’est pas mieux ? Pas forcément. Le verre est très lourd et fragile ce qui pénalise beaucoup son empreinte environnementale face au plastique recyclé ou consigné. Ce n’est donc pas si simple.
La consigne est donc pertinent d’un point de vue environnemental mais ce n’est pas non plus miracle et se défend au cas par cas. Son introduction en France par exemple devrait tenir compte de la localisation des usines et des lieux de consommation avec un territoire assez peu dense en comparaison de la Belgique ou de l’Allemagne. Son élargissement en Belgique doit surtout être un moyen d’augmenter le taux de collecte et de diminuer les dépôts sauvage.
J’espère que ce tour d’horizon vous a éclairé sur certains aspects liés aux déchets qui n’est pas une question simple et il y a beaucoup à approfondir. J’ai lu beaucoup de rapports sur le sujet et j’ai trouvé cela fascinant, c’est finalement très technique, c’est un sujet de société important et il y a de nombreux défis souvent insoupçonnés.
Dans la mesure du possible, consommez moins, réutilisez, triez et recyclez vos déchets. Renseignez-vous quant à la politique de votre région concernant cet enjeu. Car chaque territoire a une politique différente et cela bouge beaucoup.