Ah ces Français qui aiment taquiner leurs voisins Belges car ils n’ont jamais de gouvernement. Mais sur quoi cette phrase repose, et pourquoi cela arrive en Belgique mais pas en France ?
Cet article va nous faire plonger dans le petit royaume merveilleux avec une situation politique compliquée.
Tout d’abord, il faut rappeler que la Belgique est un État fédéral, comme la Suisse ou le Canada pour nos amis francophone, ou l’Allemagne et les États-Unis de manière plus large. Cela signifie qu’il y a en réalité plusieurs états pour ces pays : l’état fédéral qui gouverne sur toute la Belgique, et les états fédérés (nommés régions en Belgique) sur une portion limitée du territoire belge.
Par conséquent il y a plusieurs gouvernements en Belgique. Il y a l’état fédéral qu’on a décrit, les trois régions avec la Flandre, la Wallonie et Bruxelles-Capitale et enfin les communautés avec la communauté flamande, française (sic) et germanophone.
De part cette structure fédérale, ces entités fédérées ont des pouvoirs et une autonomie forte. La Belgique a une particularité à ce niveau : les régions peuvent avoir leur propre souveraineté par rapport au fédéral. Or, ces derniers temps en Belgique le problème était de former le gouvernement fédéral. Pour les autres niveaux de pouvoirs les gouvernements respectifs se sont toujours formés assez rapidement, c’est-à-dire dans les quatre mois qui ont suivi l’élection parlementaire associée.
Donc si la Belgique n’a pas eu de gouvernement fédéral de plein exercice quelques temps, sur de nombreuses compétences en réalité cela n’avait pas d’impact ou un impact mineur. Cette situation a moins d’importance que si cette situation survenait en France métropolitaine, qui avec ses institutions centralisées ne dépend que d’un gouvernement.
Mais cela ne signifie pas que c’est sans incidence pour autant.
Sinon la Belgique n’a pas eu de gouvernement fédéral de plein exercice sur une durée relativement importante récemment :
- Entre le 10 juin 2007 et le 20 mars 2008 suite aux élections de 2007 ;
- Entre le 13 juin 2010 et le 6 décembre 2011 suite aux élections anticipées de 2010 ;
- Entre le 21 décembre 2018 et le 26 mai 2019 suite au départ du parti NVA de la coalition gouvernementale ;
- Entre le 26 mai 2019 et le 1er octobre 2020 suite aux élections de 2019.
On notera que les deux dernières périodes sont consécutives, mais l’explication est différente car la majorité est tombée peu de temps avant une élection, n’offrant pas d’opportunité d’en reformer une.
Donc trois des quatre dernières élections législatives, il a fallu au moins neuf mois pour parvenir à la formation d’un gouvernement de plein exercice. La Belgique a de fait un réputation établie à ce sujet.
- Mais, à quoi sert un gouvernement ?
- C'est quoi un gouvernement en affaires courantes ?
- Et le gouvernement Wilmès alors ?
- L'importance du gouvernement en terme législatif
- Mais pourquoi avoir besoin d'un tel compromis ?
- Mais la Belgique n'est pas en crise à cause du conflit wallon / flamand ?
- Schisme des partis politique
- Divergence politique communautaire
- Alliances et exclusives
Mais, à quoi sert un gouvernement ?
Il faut revenir un peu à la base de l’utilité d’un gouvernement pour comprendre l’importance, ou non d’en avoir un.
Le gouvernement est le groupe de personnes qui dirige le pays, au sens où il est responsable du pouvoir exécutif de l’État (du moins dans un État respectant la séparation des trois pouvoirs politiques principaux). Il gère donc le bon fonctionnement du pays et de son administration.
Les membres du gouvernement le plus important sont des ministres qui sont responsables de ministères. Ces institutions font le lien entre l’administration, la population locale et les hautes sphères du pouvoir.
Par exemple le ministre de l’Intérieur est responsable, entre autre, de la police et du maintient de l’ordre. C’est à lui de s’assurer que la politique sur ces thèmes sont bien appliqués, de détecter et de réformer l’institution en cas de dysfonctionnement et de dicter les priorités du ministère et donc de fait ce que doivent faire les gens qui en dépendent comme ici les policiers. Si le ministre de l’intérieur veut une plus grande vigilance et sévérité à propos des violations du code de la route, les policiers auront des ordres pour faire plus de contrôles routiers, au détriment potentiellement d’autres tâches. Les moyens financiers et matériels iront en ce sens aussi, tous comme les formations et recrutement.
Par ailleurs, le ministre est responsable aussi du budget alloué à son ministère et doit proposer un budget chaque année au Parlement pour mener à bien la politique qu’il compte mener.
Le ministre peut comme le juge, influer sur la force d’une loi. Le ministre peut émettre des décrets ou d’autres textes règlementaires pour préciser l’interprétation ou la portée d’une loi. Afin que les employés associés du ministère puissent l’appliquer en conséquence sans ambiguité.
Le gouvernement a aussi une initiative législative. Il peut préparer et soumettre des projets de loi au Parlement. Comme ils sont au contact du terrain avec leur ministère, ils peuvent envisager des réformes avec à priori des conseils ou rapports de hauts fonctionnaires.
Le gouvernement est aussi le représentant de l’État. S’il faut négocier ou signer des traités internationaux dont tout ce qui touche à l’Union Européenne, le gouvernement est en parti mobilisé pour représenter le pays, négocier et signer. Le Parlement doit cependant valider ce résultat ensuite, mais c’est plus simple d’avoir quelques individus d’un gouvernement politiquement uni pour négocier que d’avoir le Parlement entier de chaque État qui viennent sur place.
De plus, en Belgique comme en France, le gouvernement est responsable devant le Parlement. C’est-à-dire que le gouvernement ne peut rester en place et appliquer sa politique que si le Parlement l’accepte, sinon il faut former un nouvau gouvernement. De même si le Parlement le veut, le gouvernement peut tomber en appliquant une motion de censure si assez de députés le souhaite. Si le gouvernement a la confiance du Parlement, ses projets de lois ont une chance assez élevée d’être adoptés et le résultat des négociations internationales sont aussi en général adoptées. Après tout ils sont dans ce cas du même bord politique.
C’est pourquoi en Belgique en décembre 2018 le gouvernement est tombé. Le parti NVA a claqué la porte du gouvernement car celui-ci a signé le pact de Marrackech au sujet des migrations contre l’avis du parti. Le gouvernement Michel II ne représentait plus assez la composition politique du Parlement. Avec la menace du dépôt d’une motion de censure qui aurait très probablement aboutie, le gouvernement a démissionné pour finir en affaires courantes.
C'est quoi un gouvernement en affaires courantes ?
Dans une démocratie parlementaire, comme nous l’avons vu le gouvernement ne doit son maintien qu’avec l’aval du Parlement et représente de fait son orientation politique.
Cependant, un gouvernement est essentiel pour que le pays tourne. Les administrations doivent continuer de travailler. En cas de catastrophe comme une catastrophe naturelle ou un attentat, il faut de la coordination entre différents ministères et que le Parlement ait un suivi facile de la situation. Puis le monde tourne aussi, l’UE ou l’ONU n’attendent pas, il faut envoyer des représentants du pays à l’étranger pour faire le lien avec le Parlement national pour adopter des textes et influer sur le contenu.
Donc pour éviter une vacance au sommet de l’État qui rendrait le pays ingérable rapidement, il y a toujours un gouvernement en place en toute situation, que ce soit en France ou en Belgique. Mais quand il n’a plus la confiance du Parlement, le gouvernement est dit en affaires courantes. Comme un gouvernement de plein exercice, il gère le pays et s’assure de la représentation à l’étranger et fait en sorte que les différents ministères puissent fonctionner tout le temps. Cependant, le Parlement a un droit de regard plus grand sur ce qui se passe et le gouvernement perd de son initiative législative car il a peu de chance de pondre un texte qui sera validé par un Parlement qui n’a plus confiance en lui.
Donc malgré les crises politiques, la Belgique a toujours eu un gouvernement même au niveau fédéral. Mais il assurait le minimum syndical que lui permet le droit et le Parlement.
Dans cette situation, de fait, le pouvoir législatif du pays se renforce au détriment de l’exécutif, mais perd en efficacité et en agilité.
Notons qu’en cas de gouvernement en affaires courantes, le budget annuel de l’État est rarement voté dans de bonnes conditions. En Belgique cela se traduit par l’application des douzièmes provisoires. Prenez le budget de l’année d’avant, découpez-le par tranche de douze mois et recevez-les par paquet de trois trimestriellement. Et voilà. Cela signifie qu’il est impossible d’ajuster les recettes ou d’investir, il faut garder les dépenses et les recettes comme avant. Et le Parlement veille au grain.
Et le gouvernement Wilmès alors ?
À cause de la crise du coronavirus qui demande une gestion efficace du pays et rapidement, le 17 mars 2020 le gouvernement en affaires courantes de la première ministre Sophie Wilmès a obtenu la confiance du gouvernement et les pouvoirs spéciaux pour 6 mois initialement.
Alors que les partis de ce gouvernement sont très minoritaires, ils ne représentaient plus que 25% de la Chambre des représentants, d’autres partis les ont soutenu de manière extérieure pour l’acquisition des pouvoirs spéciaux. Cela signifie que les partis donnent confiance à ce gouvernement pour réagir vite à cette crise et à engager les moyens financiers et humains pour lutter contre le coronavirus d’une part, et contre la crise économique d’autre part.
Comme c’est un gouvernement minoritaire, car il ne représente pas une majorité parlementaire, il est limité dans son action. Il n’a de confiance que pour ce qui a trait à la crise actuelle et les pouvoirs spéciaux ont été conférés pour gérer la crise aussi. Cela n’est donc pas un blanc seing pour appliquer une politique sur tous les sujets. Les partis qui ont soutenu ce gouvernement sans y être s’engagent donc à approuver les mesures prises par le gouvernement dans ce cadre là et c’est tout. Au moindre écart, le rejet des mesures sera assuré ce qui est à éviter.
Le 17 septembre, le gouvernement devait demander le renouvellement de cette confiance parlementaire qui devait en théorie échouer pour provoquer de nouvelles élections législatives afin d’essayer de dégager une nouvelle majorité parlementaire. Mais comme la possibilité d’un accord gouvernemental était proche, il a été décidé de le repousser au 1er octobre pour obtenir une continuité si la négociation réussissait à temps. Ce qui a finalement eu lieu, le Parlement a pu donner confiance à un nouveau gouvernement soutenu par une majorité de députés.
L'importance du gouvernement en terme législatif
Le gouvernement sert à canaliser la législation du pays et nous allons voir pourquoi.
Dans un pays parlementaire, le gouvernement a un rôle législatif important. Comme il représente la composition de la majorité du Parlement, ses projets de loi émanent d’une négociation qui a eu lieu entre les partis politiques pour créer cette majorité parlementaire. Ces partis doivent donc montrer une forme de solidarité durant la législature et de fait envers ce qui est soumis par le gouvernement.
C’est quelque chose qu’on a du mal à visualiser en France. Le mode de scrutin législatif favorise l’émergence d’un parti qui a la majorité absolue. Donc le gouvernement et le Parlement sont contrôlés par un seul parti qui peut dérouler en théorie son programme sans encombres sauf en cas de dissention internes fortes. Cela a été menaçant lors de la majorité fragile de Hollande avec les fameux frondeurs. Au sein de la Ve République (donc depuis 1958), les rares gouvernements rassemblant plusieurs partis étaient du même bord politique comme le gouvernement Jospin qui rassemblait les socialistes, écologistes et les communistes. Mêmes s’il y avait des désaccords entre ces partis, ils étaient assez rares au regard du reste.
Mais la Belgique, comme de nombreux pays européens (ou le Parlement européen lui même), a un scrutin législatif proportionnel comme lors de la IV République en France. Or la population surtout ces dernières années, vote pour un panel de parti qui ne rendent pas possible la formation d’une majorité naturelle, c’est-à-dire entre partis proches politiquement.
Donc après ces élections, les partis négocient pour former un gouvernement. Le résultat de ces négociations déterminera ce qui est prévu pour le pays pour la législature : c’est l’accord gouvernemental. Les partis membres du gouvernement se réfèreront à cet accord pour savoir s’ils vont défendre ou non un texte par solidarité envers ce gouvernement. Donc chaque parti va essayer de défendre des sujets phares pour eux, mais pour réussir à ce que les autres partis acceptent ces points là, ils doivent renoncer à des choses plus secondaires pour eux.
Par exemple dans le nouveau gouvernement belge, les écologistes ont obtenu des garantis vis à vis de l’abandon du nucléaire et le soutien aux énergies renouvelables, mais en contre partie ils doivent renoncer à leur souhait de voir la proposition de loi concernant la dépénalisation de l’avortement aboutir telle quelle pour satisfaire les demandes du parti chrétien flamand.
Le nouveau gouvernement belge rassemble 7 partis, de 4 courants politiques différents : socialistes, libéraux, écologistes et démocrate-chrétien. En France ce serait rassembler LREM avec ce qui reste du PS, les écologistes et une partie des LR. Cela paraît être de la science fiction et pourtant ce n’est pas si inhabituel dans un pays ayant un scrutin législatif proportionnel.
C’est pourquoi la Belgique a une bonne réputation dans la recherche de compromis à l’étranger : ils ont la culture politique et l’habitude de le faire.
Grâce à l’accord gouvernemental, les projets de loi du gouvernement sont souvent adoptés et rapidement car la majorité parlementaire est solidaire avec ce qui émane de cet accord. Alors que quand le Parlement soumet des propositions de loi sans aval gouvernemental, l’issu est plus incertain et long. Beaucoup de textes qui passent avec un tel accord de compromis ne passeraient plus, faute de soutien politique suffisant. Ce qui peut mener à un blocage législatif. C’est pourquoi avoir un gouvernement de plein exercice est important pour ça, il permet aux législateurs d’accepter des textes issus d’un compromis qu’ils n’accepteraient pas autrement.
Mais pourquoi avoir besoin d'un tel compromis ?
Les pays démocratiques modernes et non pas que la Belgique font face à un paysage politique sclérosé. En France cela ne se voit pas car le système électoral le cache un peu sous le tapis. Mais n’oublions pas qu’aux présidentielles de 2017, Macron, Le Pen, Fillon et Mélenchon qui représentent des personnalités et mouvements politiques très différents ont tous tourné autour de 20% des suffrages au premier tour. LREM qui a la majorité absolue grâce au système électoral peut aussi se dispenser de négocier quoique ce soit avec d’autres partis.
Mais en Belgique, l’actuelle législature peut se résumer comme suit :
- 16% pour les socialistes (9,5% de francophones, 6,5% de flamands)
- 16% pour les libéraux (7,5% pour les francophones et 8,5% pour les flamands)
- 16% pour la droite flamande indépendantiste
- 12% pour l’extrême droite flamande indépendantiste
- 12% pour les écologistes (équitablement répartis entre francophones et flamands)
- 12% pour les démocrates-chrétiens (de centre droit) (3,7% pour les francophones et 8,8% pour les flamands)
- 8,5% pour les communistes (sans distinction communautaire)
Comme on peut le voir, on ne peut pas espérer atteindre 50% du Parlement avec que des partis proches idéologiquement. Et pour la plupart des propositions de loi, le rejet est garanti avec un tel paysage. Il faut donc mener une coalition large et trouver un compromis est le seul moyen qui permette de débloquer la situation. La réalisation d’un budget serait un exercice périlleux.
Mais là encore, que la Belgique se rassure, ce problème est plus générique qu’on peut le croire : Roumanie, République-Tchèque, Portugal, Espagne, Suède ou Danemark sont au sein de l’UE confrontés à l’absence de gouvernement majoritaire. Composant avec un gouvernement en affaires courantes ou minoritaire.
Le gouvernement minoritaire est donc une autre façon de gouvernement faute de majorité aussi, comme expliqué plus haut avec le cas du gouvernement Wilmès. Le gouvernement est soutenu de manière globale mais pas par les mêmes partis pour tous les sujets. Ils doivent créer des majorité au gré de la législature suivant les dossiers à gérer. C’est ce que certains pays européens ont adopté actuellement comme la Suède. Par exemple ici ce serait essayer d’avoir les voix de la NVA pour poursuivre l’activité du parc nucléaire ou auprès des écologistes pour soutenir le plan climat du pays. Sans que la NVA, ni les écologistes ne soient solidaires du gouvernement pour les autres dossiers.
C’est plus lent et risqué, le Parlement a clairement la main mais si le gouvernement minoritaire n’est pas trop faible (c’est-à-dire représentant trop peu les forces en présences du Parlement) cela peut s’avérer suffisament efficace. C’était d’ailleurs l’option priviligiée par certains partis belges en cas d’échecs des négociations, plutôt qu’une élection qui ne changerait pas forcément la composition parlementaire.
Mais la Belgique n'est pas en crise à cause du conflit wallon / flamand ?
Le dossier communautaire belge est très long et compliqué si on veut en avoir un bon aperçu. Cela mériterait un article à part entière.
Mais comme il y a un lien entre la politique belge et ce conflit communautaire, il est bon d’en parler brièvement car cela est source de difficultés supplémentaires en plus de ceux abordés.
La Belgique a trois langues maternelles : l’allemand, le français et le néerlandais. L’allemand est la langue maternelle très minoritaire, issue des gains territoriaux suite à la Première Guerre Mondiale sur l’Allemagne. Grâce au Traité de Versailles. Les 50 000 germanophones ne pèsent pas lourds devant les 11 millions de Belges donc politiquement, tout le monde les oubli. Dommage pour eux mais on va les oublier aussi dans cet article.
La population belge se réparti comme suit :
- 3,6 millions d’habitants en Wallonie ;
- 6,6 millions en Flandre ;
- 1,2 millions à Bruxelles-Capitale.
Il n’y a pas de statistiques communautaires, c’est interdit depuis les années 50. Mais comme la Wallonie est francophone officiellement, la Flandre néerlandophone et Bruxelles Capitale bilingue officiellement mais majoritairement francophone (à 75–90%), on peut grossièrement dire qu’il y a un rapport de 60% pour les néerlandophones et 40% pour les francophones au sein du pays.
La Flandre parlant un dialecte du néerlandais qui est le flamand, ils sont appelés les flamands. Mais très souvent on les oppose aux wallons sauf que beaucoup de francophones sont aussi à Bruxelles qui n’est pas wallon, mais d’ailleurs historiquement flamand. Cette dualité historique et assez reprise par certains partis indépendantistes flamands qui ignore volontairement donc la culture bruxelloise.
Schisme des partis politique
Ce conflit communautaire a fait changer la structure de l’État à plusieurs reprises en profondeur. Ce n’est qu’en 1993 que la Belgique n’est devenue fédérale, pour acter de la divergence politique des deux blocs.
Dans les années 70, après l’affaire de Louvain de 1967–1968 qui a ébranlé le pays, les partis politiques se sont scindés par communauté. Il y a donc un parti socialiste flamand (le sp.a) et le parti socialiste francophone (le PS), etc. Chacun gère son territoire, et au niveau fédéral il peut arriver que le PS francophone soit plus proche du parti écologiste francophone que du parti sp.a qui est pourtant son alter égo. Cela est valable pour les libéraux (MR pour les francophones, OpenVLD pour les flamands) et les sociaux démocrates (CDH pour les francophones, CD&V pour les flamands).
Il y a cependant quelques exceptions :
- Le parti communiste (PTB) qui est unitaire donc qui n’est pas scindé ;
- Écolo / Groen qui sont nés après cette épisode de la vie politique du pays, ils sont nés séparément mais ont une collaboration étroite ;
- La NVA qui est un parti de droite flamande indépendantiste / confédéraliste, de fait il n’a pas de partenaire francophone ;
- Le Vlaams Belang qui est un parti d’extrême droite flamande avec aussi une volonté indépendantiste donc sans équivalent francophone.
Les autres partis sont trop faibles pour qu’ils méritent d’être évoqués ici.
Et par exemple, dans le nouveau gouvernement belge, le CD&V est dans le gouvernement mais pas le CDH qui est son alter égo francophone. Cela s’explique par le manque d’unité des partis politiques flamands et francophones d’une part (même si cela s’améliore en ce moment par rapport aux années 2000), mais aussi parce qu’ajouter un autre parti pas nécessaire pour obtenir une majorité rendrait cette majorité plus fragile. Le CDH ne pèse pas beaucoup en ce moment et est dispensable.
Donc une difficulté supplémentaire dans l’exercice de former une majorité, les familles politiques ne sont pas unies. Les partis francophones et néerlandophones étant indépendants, ils ont des programmes différents et cela ajoute des interlocuteurs en plus. Depuis 2018 les familles politiques socialistes et libéraux (en plus des écologistes qui en ont l’habitude) se sont rapprochés pour essayer d’avoir un front commun. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Et pour le CDH / CD&V, on en est très loin encore aujourd’hui.
Divergence politique communautaire
Mais un autre problème lié au communautaire est dans les votes de chaque communauté. La Flandre est une région plus riche aujourd’hui que Bruxelles ou la Wallonie. Elle a une tendance à voter plus à droite que les régions francophones qui ont un volet plus social.
La Flandre est aussi en quête d’identité culturelle, elle a des revendications à ce sujet que les francophones ne souhaitent pas vraiment.
C’est pourquoi la Flandre se retrouve avec 45% de ses voix qui est pour des partis catalogués de droite indépendantistes avec la NVA et le Vlaams Belang. Mais attention, 45% des flamands ne sont pas indépendantistes pour autant (ce serait plutôt 20–25%). En fait la NVA a phagocyté les libéraux pour la droite économique et joue pleinement son rôle de parti de protestation par rapport à l’OpenVLD qui a été pendant longtemps au gouvernement. Le Vlaams Belang est similaire au FN français sous l’ère Marine Le Pen. Catalogué extrême droite à cause des idées sur les étrangers et l’identité culturelle, il a opéré un virage social pour attirer les milieux populaires déçus. Cet aspect a beaucoup contribué à leur remonté lors de la précédente élection.
À l’inverse, les partis francophones très indépendantistes n’ont pas percé. La protestation gagne plutôt l’extrême gauche avec le parti PTB.
Mais pour le parti NVA, qui aime beaucoup attiser les tensions communautaires car cela l’arrange, aime simplifier cela en Wallon = gauche et Flandre = droite pour justifier le côté ingouvernable du pays. S’il y a une certaine tendance gauche / droite, c’est plus nuancé que cela. Difficile de dire que le Vlaams Belang actuel a un programme de droite économiquement par exemple.
Alliances et exclusives
Avec ce que l’on a vu plus haut, il y a un certain cordon sanitaire qui s’est installé. Pour les flamands le PTB est trop extrême et aucun parti flamand ne souhaite s’allier avec eux (et peu de partis francophones aussi par ailleurs). Pour le Vlaams Belang, seule la NVA flamande accepterait une telle alliance mais cet ensemble est trop petit encore pour peser. On peut rapprocher cela du LFI et du FN en France qui sont non républicains selon le terme consacré par les partis plus centristes.
Mais la Belgique aime s’ajouter des difficultés, car le 26 mai 2019 il fallait voter pour les législatives fédérales, mais aussi régionales ! Donc les négociations gouvernementales régionales se sont invitées aux négociations fédérales.
Quelques mois après les élections régionnales, les majorités sont comme suit :
Région flamande :
- NVA, droite indépendantiste
- OpenVLD, libérale
- CD&V, démocrate-chrétien
Région wallone :
- Parti socialiste
- MR, libéral
- Écolo
Région Bruxelles :
- Parti socialiste
- OpenVLD, libéral flamand
- Écolo
- Groen, écologiste flamand
- sp.a, socialiste flamand
- DéFI, centriste pro-francophones
Or, le couple PS / NVA ne peut pas vraiment s’accepter malgré qu’ils soient chacun le premier parti de leur communauté respective. La NVA veut absolument être au gouvernement fédéral si le gouvernement flamand y est, menaçant de changer la composition du gouvernement flamand si ce n’était pas le cas. Et le CD&V a initialement suivi cette idée avant de céder à la pression politique d’abandonner la NVA cet été 2020 à ce sujet.
Le MR initiativement avait des exclusives contre le parti Écolo et vice versa. Donc l’un ou l’autre ou gouvernement mais pas ensemble. Finalement ils ont fini par s’entendre mais avec une certaine réticence. Beaucoup de partis ont voulu tenter un rapprochement NVA / PS pour avoir le premier parti de chaque communauté dans un gouvernement fédéral. Mais cela a échoué durant l’été 2020.
La majorité wallonne a appelé de ses voeux l’OpenVLD et le CD&V de lâcher la NVA pour former un gouvernement fédéral. Ce qui ajouté du parti écologiste flamand et du parti socialiste flamand formerait une majorité assez forte nationnalement et surnommée Vivaldi. Mais sans la NVA et le Vlaams Belang, cela signifie que le gouvernement fédéral serait minoritaire en Flandre ce qui a été source de nombreuses préoccupations (bien que les deux gouvernements précédents aient été minoritaires pour la Flandre d’une part, pour les francophones d’autre part).
La NVA a tenu en haleine le pays pendant presque 2 ans. Entre son départ de la majorité en décembre 2018 et la formation du gouvernement en octobre 2020. En étant le premier parti de la région la plus peuplée et riche du pays, il a une force politique très forte. Le Vlaams Belang étant infréquentable, il devient un parti indispensable à toute majorité côté flamand. Il a pu user de cette position clé pour maintenir l’OpenVLD et le CD&V de son côté un maximum.
Mais aussi, la NVA est un parti qui a un bon sens politique en exploitant très bien les médias et les communications officielles tout en étant présentables auprès des électeurs flamands. Après tout ils ont participé au gouvernement fédéral Michel de 2014 à 2018. Mais côté francophone il est associé à l’extrême droite et à l’indépendance ce qui le rend à peine tolérable.
Et bien sûr, la NVA joue aussi un double jeu. Son but est que la Flandre soit prospère et forte, donc elle peut sacrifier les réformes institutionnelles pour de l’économique. Mais souhaitant l’indépendance ou le confédéralisme, c’est dans son intérêt qu’un gouvernement fédéral n’aboutisse pas : cela montre que le pays est ingouvernable. La NVA a donc soufflé le chaud et le froid, tantôt se montrant prête à former un gouvernement (ce qui faisait plaisir à l’OpenVLD et au CD&V) en négociant avant de faire capoter quand cela devenait trop concret. Ce qui a fait perdre du temps au pays, mais aussi la crédibilité des hommes politiques pour la population.
Enfin il y a la question du casting en étape finale des négociation qui aurait pu faire tout capoter. Un ministre a un pouvoir important comme nous avons pu le voir, donc il est important que chaque parti obtienne des ministères en proportion de son importance électorale mais aussi du symbole ou de la relation entre un parti et un domaine. Cela aidera les partis à appliquer la politique qu’il souhaitaient sur un sujet.
Le nouveau gouvernement a pour premier ministre Alexander De Croo, qui est membre de l’OpenVLD à savoir le libéral flamand. 5e parti sur les 7 de ce gouvernement fédéral, il a obtenu ce poste par consensus mais aussi parce qu’avec un gouvernement minoritaire côté flamand, mettre un flamand à sa tête a un côté symbolique important pour calmer l’opposition flamande indépendantiste.
Mais pour illustrer l’importance de l’attribution des ministères le parti Écolo hérite du Ministère de la mobilité quand le PS a obtenu celui des Pensions et de l’Intégration sociale. Ce casting qui a l’air d’être un jeu a une importance aussi grande que les points qui sont abordés dans l’accord gouvernemental. S’ils sont attribués n’importe comment, l’accord gouvernemental sera mal appliqué et les électeurs comme les partis n’en seront pas satisfaits.
Un peu comme chaque crise européenne, chaque crise belge fait ressurgir la question de l’explosion de l’Union Européenne ou du royaume de Belgique. Et cela n’a pas manqué ici d’être un sujet régulièrement évoqué par les médias et politiques. Mais jusqu’ici, la Belgique s’en tire toujours et a su parvenir à un nouveau compromis à concrétiser.
Mais la crise belge n’est pas que communautaire et ce serait une erreur de se focaliser sur ce seul aspect. La Belgique se retrouve confronté aux problèmes qu’ont d’autres pays européens aussi, qui n’ont pas tous un problème communautaire sous-jacent. C’est une crise politique plus large qu’il faut garder à l’esprit. Et si la solution française avec ses majorités assez fortes paraît séduisante (d’ailleurs la NVA souhaiterait, comme par hasard, un tel mode de scrutin). Une telle idée appliquée en Belgique rendrait l’opposition et les partis plus petits inaudibles ce qui n’est pas forcément bien du point de vue démocratique, mais renforcerait le conflit communautaire avec la NVA seule au nord contre le PS seul (ou presque) au Sud.
L’objectif ici n’est pas d’aller trop sur le terrain communautaire, mais la question de la scission belge n’est pas si simple que certains politiques ou médias se plaisent à croire ou à affirmer. Ce sera le sujet d’un autre article, sans doute.
Pour les sources, les images viennent toutes de Wikipédia. Niveau contenu, c’est le suivi de l’actualité régulière, pas de liens spécifiques malheureusement.