Il n’y a pas si longtemps, j’ai vu sur le Discord plusieurs personnes parler d’obésité et de la façon dont elle est traitée en médecine avec notamment ce message1 :
L’obésité est un sujet difficile. En premier lieu parce que c’est une pathologie qui ne passe pas inaperçue mais également parce qu’une part non négligeable de la population générale considère que les personnes obèses sont les seules responsables de leur situation : elles s’alimenteraient mal et ne feraient pas d’activité physique. Et face à ce préjugé, vous retrouverez souvent quelqu’un qui répond qu’il ne faut pas se moquer des obèses parce que le surpoids est parfois d’origine médicale et qu’ils n’y peuvent rien.
Je n’aime aucun de ces deux arguments parce qu’ils disent finalement tous les deux la même chose : quelqu’un qui est obèse à cause de son hygiène de vie en serait responsable (même si le second le sous-entend de manière assez perfide). Or, une personne obèse l’est rarement par choix2, quelle qu’en soit la cause, et perdre du poids peut se révéler un véritable parcours du combattant. Sans compter que, il existe effectivement des maladies qui occasionnent une importante prise de poids et contre lesquelles une alimentation saine et de l’exercice ne feront rien du tout.
C’est le sujet de ce billet : nous allons voir ensemble la physiopathologie d’une des causes les plus fréquentes d’obésité médicale : le syndrome de Cushing, et ce à travers l’exemple d’une victime traitée lors d’une garde Croix-Rouge3. Je vous parlerai également de logistique puisque le transport d’une personne obèse nécessite la mise en œuvre de moyens très particuliers.
Et c’est reparti.
- Je remercie d’ailleurs son auteur de m’avoir autorisé à reprendre cette citation.↩
- Je n’en ai jamais rencontré. Des gens qui font avec, qui l’assument, qui s’en amusent ou qui s’en fichent, oui. Mais qui ont souhaité devenir obèses ? Jamais.↩
- Si vous voulez savoir en quoi consiste une garde Croix-Rouge, je vous renvoie vers mon article « Le sodium, ça tue » qui en explique le principe.↩
Une histoire d'hormones
Il existe deux principaux moyens de communication dans le corps humain : le système nerveux et le système endocrinien. Si le premier est généralement bien connu1, c’est moins le cas du second.
Nous possédons tous un certain (grand) nombre de glandes. Les glandes sont des structures constituées de plusieurs cellules (qui peuvent former un organe ou simplement être disséminées dans un tissu) chargées de produire une substance qui sera sécrétée. Il existe trois types de glandes :
- les glandes exocrines qui produisent une substance destinée à être sécrétée dans le milieu extérieur. On peut citer les glandes sudoripares situées dans la peau et qui sécrètent la sueur.
- les glandes endocrines qui produisent des hormones, comme l’hypophyse, une glande située dans la base du cerveau chargée de produire un grand nombre d’hormones telles que l’hormone de croissance (ou GH).
- les glandes mixtes ou amphicrines qui font les deux. C’est le cas du pancréas qui sécrète à la fois une substance destinée au milieu extérieur (en l’occurrence le suc pancréatique qui arrive dans le tube digestif2 au niveau du duodénum et qui permet de digérer un certain nombre d’éléments tels que l’amidon) et des hormones (par exemple l’insuline et le glucagon qui régulent la glycémie).
En ce qui nous concerne, nous allons surtout parler des glandes endocrines (plutôt logique pour expliquer le système endocrinien, non ?). Ces glandes sont chargées de produire des hormones qui sont captées par d’autres cellules au niveau de récepteurs spécifiques. Et quand elles sont captées, ces hormones vont avoir une action sur la cellule de destination3. Ce système de communication par hormone s’appelle la signalisation cellulaire. Il existe trois modes de communication différents :
- le mode autocrine avec une cellule qui se parle à elle-même,
- le mode paracrine avec une cellule qui envoie une hormone vers une cellule adjacente,
- le mode endocrine avec une cellule qui va sécréter son hormone dans la circulation sanguine pour que celle-ci puisse atteindre une autre cellule à distance.
Un peu d’anatomie
Il faut prendre les choses dans l’ordre : avant d’essayer de comprendre pourquoi les choses ne fonctionnent pas (la physiopathologie) il faut étudier comment elles sont censées fonctionner (la physiologie). Et pour parler de physiologie, il est toujours intéressant d’avoir quelques notions sur les structures où se passent tous ces phénomènes, et ça, c’est de l’anatomie.
L’axe hypothalamo-hypophysaire
Ça fait un peu peur comme nom mais en fait, ce n’est pas très compliqué. L’axe hypothalamo-hypophysaire est composé de deux structures : l'hypothalamus et l'hypophyse (et de la tige pituitaire qui les relie… ok, ça fait trois). Ce sont des noms qu’on entend parfois sans vraiment savoir où sont situés ces organes et à quoi ils servent. Bonne nouvelle : dans deux minutes, vous saurez tout !
L’hypophyse d’abord (que l’on appelle aussi la glande pituitaire) : il s’agit d’une petite glande située à la base du cerveau.
Et maintenant, l’hypothalamus : il s’agit d’une petite portion du cerveau située juste au-dessus de l’hypophyse.
L’hypothalamus étant une portion du cerveau, il est constitué de neurones. Et l’hypophyse ? Eh bien, c’est un petit peu plus compliqué. L’hypophyse est en deux parties :
- l'antéhypophyse (ou adénohypophyse) est constituée de cellules sécrétoires qui produisent un certain nombre d’hormones,
- la posthypophyse (ou neurohypophyse) qui est en fait une extension de l’hypothalamus. Les noyaux des neurones constituant l’hypothalamus vont donner des axones (des fibres nerveuses si vous préférez) qui vont cheminer dans la tige pituitaire pour ensuite relâcher les hormones produites dans la circulation sanguine au niveau de la posthypophyse.
La posthypophyse est notamment responsable de la libération d’ADH dans le sang, l’hormone anti-diurétique dont je vous ai parlé dans une note de bas de page.
Toutefois, les hormones qui vont nous intéresser dans ce billet sont sécrétées par l’antéhypophyse. Elle aussi est en relation avec l’hypothalamus (de qui elle prend ses ordres) mais d’une manière moins directe que la posthypophyse. Il existe un ensemble de veines qui font le lien entre l’hypothalamus et l’antéhypophyse : l’hypothalamus sécrète des hormones dans ces veines, celles-ci sont ensuite captées par l’hypophyse qui va réagir en sécrétant d’autres hormones dans la circulation générale (ça fait beaucoup d’intermédiaires, mais c’est comme ça que ça marche). Ces veines qui relient l’hypothalamus à l’antéhypophyse forment une structure vasculaire particulière que l’on nomme un système porte. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à consulter le paragraphe caché ci-dessous (mais il n’est pas nécessaire pour la compréhension de la suite).
Les systèmes portes sont à mes yeux l’un des exemples les plus fascinants de la façon dont la nature a su modifier l’anatomie de certaines espèces (dont la nôtre) à travers les âges pour améliorer notre fonctionnement interne (et c’est pour ça que je me permets de vous en parler, même si ça ne concerne pas directement le sujet).
Notre système vasculaire est constitué de trois grands types de vaisseaux sanguins : les artères, les veines et les capillaires sanguins. Les capillaires ne vont pas nous intéresser plus que ça : ce sont des vaisseaux minuscules qui sont chargés de distribuer le sang aux différents tissus puis de le drainer pour le renvoyer dans la circulation systémique.
Intéressons-nous plutôt à la différence entre une artère et une veine. Une définition populaire dit que les artères convoient le sang riche en dioxygène tandis que les veines sont chargées de sang pauvre en dioxygène. C’est faux : les artères pulmonaires par exemple contiennent du sang pauvre en dioxygène tandis que les veines pulmonaires contiennent du sang riche en dioxygène.
Une autre proposition nous explique que les artères partent du cœur tandis que les veines retournent au cœur. Ça a l’avantage de marcher avec le contre-exemple précédent puisque l’artère pulmonaire part du cœur droit vers les poumons et les veines pulmonaires partent des poumons vers le cœur gauche. Mais c’est faux aussi, et le contre-exemple parfait, ce sont les systèmes portes.
Un système porte est un ensemble de veines ou bien d’artères (parfois une seule) qui relie deux réseaux capillaires de même type : veino-veineux (entre deux réseaux de capillaires veineux) ou artério-artériolaire (entre deux réseaux de capillaires artériels). Pour faire simple : ce sont des artères qui ne partent pas du cœur (mais d’un autre organe) ou des veines qui ne retournent pas au cœur (mais vers un autre organe), ce qui contredit bien la définition ci-dessus.
Le plus connu, c’est le système porte hépatique (du coup, quand on dit « système porte » sans préciser, on parle généralement de celui-là), qui connecte la circulation intestinale avec la circulation hépatique : les veines intestinales (qui sont au nombre de trois : la veine splénique, la veine mésentérique supérieure et la veine mésentérique inférieure) drainent les capillaires des intestins puis fusionnent pour donner le tronc porte. Celui-ci conduit à un nouveau réseau de capillaires dans le foie plutôt que de ramener ce sang veineux directement au cœur.
Le schéma est un peu compliqué, mais en gros, vous avez la veine splénique (non légendée) qui part de la rate pour fusionner avec la veine mésentérique inférieure (qui draine le côlon gauche) pour former le tronc spléno-mésaraïque. Ce tronc spléno-mésaraïque fusionne à son tour avec la veine mésentérique supérieure (qui draine le côlon droit et l'intestin grêle) pour former le tronc porte. Le tronc porte ramène le sang veineux vers le foie pour qu’il soit distribué dans un réseau capillaire. Par la suite, ce sang est drainé par les veines hépatiques (non représentées) qui se jettent dans la veine cave inférieure (qui rejoint le cœur). Pour faire plus simple : le sang veineux en provenance des intestins fait d’abord un détour par le foie où il est distribué dans les lobules hépatiques avant d’être renvoyé vers le système cave qui repart vers le cœur.
Et ce détour est absolument primordial : le sang en provenance des intestins est chargé des nutriments absorbés par l’alimentation et le fait de passer par le foie permet à ce dernier d’assurer sa fonction de détoxification avant que les nutriments ne partent dans la circulation générale et vers tous les autres organes. Ce système porte hépatique (qui est donc un système veino-veineux) protège nos organes d’un certain nombre de toxines.
Bon, eh bien le système porte hypothalamo-hypophysaire, c’est le même principe : il relie le réseau des capillaires veineux de l'hypothalamus au réseau des capillaires veineux de l'antéhypophyse par le biais de plusieurs veines qui circulent le long de la tige pituitaire.
Le schéma montre un peu plus de choses que ce que j’aurais souhaité, mais on voit bien que le système capillaire hypothalamique (celui du dessus) est bien connecté au système capillaire antéhypophysaire (celui d’en bas à gauche) par le biais de veines alors que le système capillaire posthypophysaire (en bas à droite) prend sa source dans des artères.
L’intérêt de ce système c’est de créer une communication directe entre l’hypothalamus et l’antéhypophyse. Sans lui, les hormones hypothalamiques devraient rejoindre la circulation systémique et repasser par le cœur et les poumons avant de repartir dans la circulation artérielle pour avoir une chance d’atteindre l’antéhypophyse. Là du coup, on gagne du temps et on augmente drastiquement le nombre d’hormones qui arrivent à destination.
Vous noterez que le système porte hypothalamo-hypophysaire est de nouveau un système porte veino-veineux. Pour un exemple de système artério-artériolaire, vous pouvez regarder du côté du système porte glomérulaire situé dans les néphrons rénaux (et je vous en parle brièvement un peu plus bas).
Mais du coup, comment différencie-t-on une artère d’une veine ?
Eh bien en réalité, la distinction se fait au niveau de la paroi puisque la composition de celle-ci est très différente s’il s’agit d’une veine ou d’une artère. D’une manière générale la paroi d’une artère est beaucoup plus épaisse que celle d’une veine.
Les surrénales
Les glandes surrénales portent très bien leur nom puisqu’il y en une au-dessus de chaque rein.
Elles sont constituées de deux parties :
- la médullaire, au centre, qui produit des hormones de la classe des catécholamines (adrénaline et noradrénaline),
- le cortex, en périphérie, qui produit des hormones stéroïdiennes à partir du cholestérol (oui, le même truc qui bouche les artères).
La corticosurrénale (le cortex de la surrénale) est lui-même divisé en trois parties :
- la glomérulée qui produit l’aldostérone, une hormone qui participe au maintien de la pression artérielle,
- la fasciculée qui produit le cortisol, une hormone impliquée dans un certain nombre de processus,
- la réticulée qui produit les androgènes stéroïdiens, précurseurs des hormones dites sexuelles (notamment testostérone et œstrogène).
Un soupçon de physiologie
Avec tout ça, je ne vous ai même dit à quelle hormone nous allions nous intéresser. Eh bien, nous allons nous pencher sur le cas du cortisol. Comme je vous l’ai dit juste au-dessus, celui-ci est synthétisé dans la partie fasciculée de la corticosurrénale, mais ce n’est pas si simple. Ne croyez-pas que je me sois fendu d’une partie sur l’axe hypothalamo-hypophysaire pour rien.
L’ensemble des réactions successives qui se succèdent pour donner le cortisol forment ce que l’on appelle l’axe corticotrope (eh oui, encore un axe !).
Le cortisol est connu comme étant l’hormone du stress puisque c’est quand l’organisme est stressé qu’il commence à stimuler sa synthèse. En réponse au stress, l’hypothalamus va sécréter de la CRH et de l’ADH4. Ces deux hormones vont stimuler la sécrétion d’ACTH dans l’hypophyse (et l’ADH stimule aussi la sécrétion de CRH en plus). L’ACTH va à son tour stimuler la sécrétion de cortisol au niveau de la corticosurrénale.
Ce qui est intéressant c’est que le cortisol va avoir à son tour un effet, mais cette fois-ci un effet d'inhibition de la sécrétion de CRH et d’ACTH. Cet effet inhibiteur constitue ce que l’on appelle un rétrocontrôle négatif. Ce mécanisme de rétrocontrôle négatif se retrouve dans la plupart des systèmes hormonaux et permet à l’organisme de réguler assez finement les concentrations en hormones en les maintenant entre des bornes acceptables.
Ce qu’il est très important de savoir à propos du cortisol c’est que sa concentration physiologique est très variable au cours de la journée : elle augmente pendant la nuit pour donner un maximum vers 8h et redescend au cours de la journée pour un minimum vers minuit. La variation va du simple au quadruple voire quintuple. Vous pouvez chercher les valeurs exactes si ça vous intéresse, mais ce n’est pas très utile dans le cadre de ce billet.
Le cortisol a plusieurs effets :
- son effet principal c’est la stimulation de la néoglucogenèse hépatique, c’est-à-dire la synthèse de glucose à partir d’éléments non glucidiques au niveau du foie.
- il a également un important effet anti-inflammatoire puisqu’il diminue la sécrétion des médiateurs solubles de l’immunité et notamment de l’inflammation. Il est à la base d’un nombre importants de médicaments baptisés les corticoïdes (prednisone, prednisolone, etc. vous avez sûrement déjà dû en entendre parler)
- il peut bloquer la croissance osseuse par blocage de l’activité des ostéoblastes (les cellules qui produisent l’os) et inhibition de l’absorption intestinale de calcium,
- il a également un effet assez complexe au niveau du rein. Quand tout va bien, il est inactif mais si la concentration commence à s’élever un peu trop, il va avoir un effet hypertenseur (augmentation de la pression artérielle) et hypokaliémiant (diminution de la concentration plasmatique en potassium). Pour comprendre comment cela fonctionne, je vous invite de nouveau à vous référer à la partie cachée ci-dessous (mais ce n’est pas obligatoire pour comprendre la suite).
Petite digression sur le fonctionnement du rein, du coup. Le rein est un organe pair chargé de produire et de sécréter l’urine. Cette production obéit à deux nécessités biologiques :
- la régulation de la volémie (c’est-à-dire le volume d’eau et donc de plasma contenu dans les vaisseaux sanguins, puisque qu’en sécrétant plus ou moins d’urine ou peut augmenter ou faire diminuer la volémie),
- la filtration de certains éléments qui permet d’éliminer les déchets (comme l’urée) ou de réguler très finement la concentration d’éléments essentiels (comme le sodium ou le potassium).
Pour cela, le rein est équipé de néphrons (quelques millions dans chaque rein) qui constituent son unité fonctionnelle.
Le néphron est composé d’un glomérule parcouru par un réseau capillaire (les capillaires glomérulaires) situé entre deux artères (c’est le fameux système porte artério-artériolaire dont je vous parlais plus haut pour ceux qui ont lu le passage sur les systèmes portes). Le glomérule, par un phénomène passif d’ultrafiltration, laisse passer librement l’eau et certaines petites molécules depuis les capillaires glomérulaires jusque dans le néphron créant ainsi un liquide que l’on nomme urine primitive.
Seulement, si on évacuait par voie urinaire l’ensemble de l’eau et des minéraux filtrés au niveau du glomérule, il ne nous en resterait plus assez pour vivre : il est nécessaire de maintenir une concentration minimale. Pour cela, après le glomérule, le néphron se poursuit en un petit tube qui s’appelle le tubule rénal (original, non ?). Ce tubule est constitué de plusieurs parties :
- le tubule contourné proximal,
- l'anse de Henlé (composée d’une branche descendante puis d’une branche ascendante),
- le tubule contourné distal,
- le canal collecteur.
Chacun de ces segments est chargé de réabsorber certains éléments précis (l’eau, le sodium, le potassium, le calcium, etc.) depuis l’urine primitive dans des quantités très finement régulées et qui permettent l’homéostasie. Le produit final de cette réabsorption est l’urine.
Dans les cellules qui composent le tubule contourné distal, il y a un récepteur minéralocorticoïde. Quand ce récepteur est stimulé par l’aldostérone (une hormone produite par les surrénales), il favorise la réabsorption de sodium et d’eau (les deux vont ensemble) et la sécrétion de potassium dans l’urine. Or, ce récepteur est également sensible au cortisol et il se trouve que la concentration en cortisol dans ces cellules est 100 à 1000 fois supérieure à la concentration en aldostérone. Il y a là de quoi dérégler totalement l’action de l’aldostérone pourtant essentielle au maintien de la volémie et de la kaliémie.
Heureusement, ces cellules expriment également une enzyme (de son petit nom, la 11β-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 ou plus simplement 11β-HSD2) qui convertit le cortisol en cortisone, sa version inactive.
Seulement, si la concentration en cortisol venait à augmenter fortement, l’enzyme serait dépassée et ne pourrait pas convertir tout le cortisol. Celui-ci stimulerait alors le récepteur minéralocorticoïde en excès, entraînant une réabsorption d’eau (occasionnant une hypertension artérielle) et une sécrétion de potassium (occasionnant une hypokaliémie).
Et finalement, la physiopathologie
En médecine, un symptôme est un signe qui indique un état pathologique (exemples : la fièvre, la toux, la fatigue, etc.). Il existe des groupes de symptômes que l’on peut retrouver dans plusieurs pathologies, ces groupes de symptômes sont appelés des syndromes. Il est important de bien faire la distinction entre un syndrome et une pathologie : un syndrome n’est qu’un regroupement de plusieurs symptômes sans s’intéresser à leur origine. Un syndrome peut être causé par plusieurs maladies. Par exemple, le syndrome grippal (fièvre, frissons, courbatures, toux non productive, céphalées et asthénie, c’est-à-dire fatigue) peut être causé par la grippe ou bien par d’autres maladies (au hasard… la Covid-19 ).
La surproduction chronique de cortisol occasionne un certain nombre de symptômes qui sont regroupés sous le nom de syndrome de Cushing et qui sont :
- prise de poids importante et particulièrement au niveau de la partie supérieure du corps (visage et cou surtout) qui contraste avec une fonte musculaire au niveau des membres (ce qui peut occasionner d’importantes faiblesses musculaires),
- hypertension artérielle (et je vous ai expliqué pourquoi dans la partie cachée sur le néphron),
- vergetures pourpres, en particulier sur le thorax et l’abdomen,
- troubles du système nerveux central pouvant occasionner des troubles du sommeil, des pertes de mémoire, de l’anxiété voire une dépression,
- trouble de système endocrinien (maintenant que vous savez à quel point il est important) entraînant un hirsutisme (augmentation de la pilosité), une diminution de l’activité sexuelle (surtout chez les hommes), des troubles du cycle menstruel (plutôt chez la femme a priori) voire une infertilité.
Ce syndrome a plusieurs origines possibles (que vous pourriez presque deviner tout seul vu que nous avons étudié l’axe corticotrope) :
- une origine surrénalienne. Une tumeur5 au niveau de la corticosurrénale (le plus souvent un adénome cortico-surrénalien) entraîne une production excessive de cortisol. C’est ce que l’on appelle un syndrome de Cushing primaire (parce qu’il touche directement la production de cortisol).
- une origine hypophysaire : un adénome hypophysaire dit corticotrope, c’est-à-dire qui touche les cellules sécrétant l’ACTH (l’hormone qui stimule la production de cortisol). C’est un syndrome de Cushing secondaire (parce que ça ne touche pas directement le cortisol, mais l’hormone qui stimule sa production). C’est aussi ce que l’on appelle la maladie de Cushing (parce que c’est la première cause décrite par Harvey Cushing qui lui a donné son nom).
- une origine paranéoplasique6. Des tumeurs de cellules qui ne sont pas censées sécréter de l’ACTH se mettent à en sécréter (notamment au niveau des poumons), c’est ce que l’on appelle une sécrétion ectopique (anormale si vous préférez). C’est aussi un syndrome de Cushing secondaire (parce que ça touche l’ACTH).
- une origine médicamenteuse, par prise de certains corticoïdes composés de cortisol ou d’autres molécules très proches. C’est un syndrome de Cushing iatrogène.
- Si ce n’est pas le cas, je vous renvoie vers mon article « J’ai mal docteur ! » qui en parle succinctement.↩
- Ça peut surprendre, mais le contenu du tube digestif est considéré comme faisant partie du milieu extérieur. Si on y réfléchit bien, c’est assez logique : ce contenu ne nous appartient pas. Il s’agit d’un mélange d’aliments à absorber, de déchets à rejeter, de sécrétions diverses (comme les sécrétions acides de l’estomac), de bactérie (la fameuse flore intestinale !)…↩
- On peut prendre l’exemple de l’ADH, l’hormone anti-diurétique (que l’on appelle aussi AVP pour arginine-vasopressine). Quand le corps détecte une baisse de pression artérielle (par le biais des barorécepteurs situés au niveau de la crosse de l’aorte et des sinus carotidiens), l’axe hypothalamo-hypophysaire augmente sa production d’ADH qui va venir stimuler la réabsorption de l’eau au niveau du tubule rénal et ainsi diminuer le volume urinaire pour rétablir la pression artérielle.↩
- Un peu plus haut je vous ai pourtant dit que l’ADH était libérée dans le sang par la posthypophyse, ce qui paraît contradictoire puisqu’ici je vous dis qu’elle est synthétisée par l’hypothalamus. En fait, comme expliqué, la posthypophyse est une extension de l’hypothalamus : les hormones sont produites dans l’hypothalamus puis cheminent le long de la tige pituitaire jusqu’à la posthypophyse qui les libère dans le sang.↩
- En temps normal, il existe un équilibre entre la production et la mort cellulaire de façon à ce que le nombre de cellules à un endroit donné reste plus ou moins le même (chez l’adulte, évidemment, chez l’enfant en pleine croissance, c’est différent). Certaines cellules peuvent toutefois subir des mutations génétiques (d’origine très diverses, mais parfois simplement par erreur du processus de reproduction cellulaire) qui les conduit à proliférer. Ceci occasionne une augmentation de volume du tissu concerné que l’on appelle une tumeur. La tumeur peut-être bénigne (à croissance lente et peu invasive) ou au contraire maligne (à croissance rapide, invasive et occasionnant des symptômes importants) et c’est uniquement dans ce dernier cas que l’on parle de cancer. On nomme les tumeurs en fonction du tissu où elles se développent : une tumeur d’un tissu glandulaire sera un adénome (si elle est bénigne) ou un adénocarcinome (si elle est maligne, c’est-à-dire cancéreuse). Et du coup, comme il y a augmentation du nombre de cellules sécrétrices, il y a augmentation de la quantité d’hormone sécrétée.↩
- Un syndrome paranéoplasique est un ensemble de symptômes qui accompagnent le développement d’un cancer. Les mécanismes occasionnant ces symptômes peuvent être de toute sorte et notamment impliquer la sécrétion anormale d’une hormone.↩
La logistique bariatrique
Garde SAMU, il est 14h. Nous sommes appelés en renfort brancardage sur un homme de 180kg qui ne peut pas se déplacer.
Nous traversons un quartier très chic de Paris jusqu’à l’immeuble indiqué et nous rentrons. La cage d’escalier est immense : l’escalier doit faire 4 mètres de large, facile. Nous arrivons au 5ème étage et pénétrons dans un appartement vide, apparemment en travaux. Il est gigantesque, probablement pas loin de 300m². Nous le traversons jusqu’à arriver dans une cage d’escalier en colimaçon, beaucoup plus étroite qui monte jusque dans les chambres de bonnes au 6ème étage. Nous suivons un long couloir, pas bien large non plus, jusqu’à arriver dans l’appartement où nous attend notre victime, assise sur son lit.
Finalement, contrairement à ce que suggérait notre motif de départ, nous sommes les premiers. C’est donc à nous qu’incombe de réaliser le bilan et de le transmettre au médecin du SAMU.
Le bilan
La victime ne présente pas de détresse vitale (sur les trois appareils que nous examinons : respiratoire, circulatoire et neurologique) en revanche elle exprime une très forte douleur au niveau du pied gauche et celui-ci est bandé.
En ôtant le bandage, on constate que le depasus (le second orteil) est noir comme du charbon, entièrement nécrosé. La nécrose a également commencé à envahir un peu l’hallux (le gros orteil). La douleur est intense au repos et majorée quand on touche, la victime ne peut donc pas se lever et marcher.
La victime nous explique qu’elle avait rendez-vous le jour-même dans un service de médecine vasculaire mais qu’elle n’a pas pu s’y rendre parce qu’elle ne peut pas se déplacer par elle-même. Or, l’ambulance qui devait l’amener ne dispose d’aucun moyen permettant de la transporter jusqu’en bas de son immeuble étant donnée son obésité.
Après appel, le service en question nous confirme qu’il est toujours disposé à accueillir notre victime si nous l’amenons, mais nous allons être confrontés au même problème et devoir faire appel à des unités spécialisées. Nous contactons la BSPP et ils nous envoient dans un premier temps un cadre d’évaluation qui vient sur place pour voir de quoi il retourne et quels types de renforts seront nécessaires.
Pendant ce temps, nous continuons notre bilan à la recherche des antécédents de la victime, et ils sont plutôt nombreux. Elle a souffert d’un syndrome de Cushing étant jeune, ce qui explique son importante prise de poids.
Maintenant, c’est plutôt l’inverse : elle souffre d’insuffisance surrénale ce qui occasionne un hypocorticisme traité à l’hydrocortisone (un substitut du cortisol). Son obésité a également occasionné un diabète de type 21, des ulcères au niveau des membres inférieurs et un reflux gastro-œsophagien (le contenu acide de l’estomac qui remonte dans l’œsophage ce qui provoque des sensations de brûlure). En outre, elle présente également une apnée du sommeil traitée avec un appareil spécifique et des crises de paniques pour lesquelles elle prend des anxiolytiques.
Face à un cas aussi complexe, un certain nombre de questions se posent. Toutefois, dans le contexte, nous sommes secouristes et donc nous nous limitons aux questions qui sont dans notre référentiel ce qui fait que nous n’avons pas pu approfondir autant que nous l’aurions souhaité, donc je vais devoir me contenter de supposer.
Comment a-t-on pu passer d’un hypercorticisme (syndrome de Cushing) à un hypocorticisme par insuffisance surrénalienne ?
L’explication la plus probable à mes yeux c’est que le syndrome de Cushing était un Cushing primaire et donc dû à un adénome surrénalien. La tumeur a dû être retirée par chirurgie occasionnant une importante perte de substance sur une des surrénales et l’insuffisance qui va avec.
Pourquoi n’a-t-il pas perdu du poids quand le Cushing a été guéri ?
C’est difficile à dire. J’avoue que je connais mal les problématiques liés au surpoids, ce qui fait que je confirme finalement les dires de @Spacefox en introduction à propos des médecins (et futurs médecins en ce qui me concerne).
Si l’on exclut l’obésité due à une cause somatique, certaines prises de poids sont liées à des pathologies psychiatriques qu’il convient de stabiliser avant d’envisager toute éventuelle perte de poids. Et même sans atteinte psychiatrique, j’imagine combien il peut être difficile de mettre en place des mesures d’hygiène nécessaires à un amaigrissement quand on peut à peine marcher en temps normal. J’imagine le calvaire que ça doit être de simplement sortir et voir les regards moqueurs qui pointent sur vous.
Théoriquement, l’hypocorticisme aurait même pu favoriser la perte de poids étant donné qu’il s’agit de l’un des symptômes. Cela dit, il est stabilisé par un traitement, il est donc probable que ça n’ait pas d’effet à ce niveau.
Le transport
Le cadre de la BSPP a finalement décidé de faire intervenir deux équipes : un renfort bariatrique qui dispose de matériel d’immobilisation et de transport adapté ainsi que le GRIMP.
Le plan a été décidé : la victime va être installée dans une nacelle en métal qui va être passée par la fenêtre du 6e étage qui donne sur une cour intérieure. La nacelle sera attachée à un système de corde qui permettra de la descendre au 3e étage où les occupants ont accepté de laisser passer les pompiers par leur appartement. La victime sera finalement placée sur un brancard adapté puis conduite jusqu’à la cage d’escalier principale (celle qui est immense) et la fin de la descente se fera par là.
La logistique déployée est impressionnante. D’un côté, le GRIMP est en train de sécuriser le toit en utilisant trois cheminées pour fixer leur dispositif de façon à ce qu’il en reste toujours au moins deux si l’une d’elle venait à céder. Cette opération leur prendra une bonne quarantaine de minutes. Je dois l’admettre, c’est particulièrement impressionnant de les voir travailler à plusieurs mètres du sol, vêtus de leur baudrier duquel pendent des mousquetons dans tous les sens.
Cette image vient d’une intervention différente que vous pouvez retrouver ici : extraction périlleuse dans le 16e.
Et je vous donne également le lien vers une autre, particulièrement impressionnante, avec participation d’un hélicoptère : ouvrier gravement blessé évacué par hélicoptère.
De notre côté, nous sommes en renfort de l’équipe bariatrique pour les aider à placer Monsieur sur un MID lui-même placé sur la nacelle. Le MID est un matelas rempli de billes en plastique ; en le moulant autour de la victime et en faisant le vide à l’aide d’une pompe, ça le rigidifie et permet d’immobiliser complètement l’occupant.
C’est un MID spécial de l’équipe bariatrique pour les personnes de grande taille : il doit faire 2 mètres de large à vue de nez. Avec son déambulateur et nous qui le soutenons, le monsieur parvient courageusement à faire fi de sa douleur le temps de quelques pas afin de venir s’allonger dans le MID. Nous givrons le MID puis nous faisons glisser la nacelle sur le sol jusqu’à la fenêtre du couloir.
Le GRIMP a terminé les préparatifs. C’est la deuxième fois que j’ai l’occasion de les croiser sur une intervention. La première fois ils étaient venus parce que nous n’arrivions pas à accéder à notre victime : elle était coincée dans son appartement sans pouvoir bouger et la porte d’entrée était fermée à clé. Ils étaient passés par un appartement au-dessus et étaient descendus en rappel pour casser une fenêtre.
Cette fois-ci, leur dispositif est encore plus impressionnant : quatre pompiers sont restés sur le toit, un à côté de chaque cheminée et un au niveau de l’enrouleur automatique qui va gérer la descente. Le dernier nous attend à la fenêtre : accroché à sa propre corde, il va suivre la nacelle tout au long de la descente. Une équipe de communication de la BSPP est également présente pour immortaliser l’intervention, probablement à des fins de formation.
Nous accrochons la nacelle à son câble puis l’enrouleur commence à la soulever doucement. Une fois suffisamment haute, nous la passons par la fenêtre et le pompier suspendu la stabilise avant de l’accompagner pour la descente.
Le dispositif déployé dans notre cas est un petit peu différent car la victime ne va pas jusqu’au sol. En effet, la fenêtre par laquelle nous passons donne sur une cour intérieure de laquelle il n’est pas possible de faire sortir la victime sur un brancard pour rejoindre l’extérieur (les voies d’accès sont trop étroites). La victime va donc descendre jusqu’au 3e étage et passer par la fenêtre d’un appartement pour ensuite rejoindre la grande cage d’escalier.
La victime est amenée dans le véhicule de l’équipe bariatrique qui va nous suivre jusqu’à l’hôpital. En effet, comme nous sommes arrivés les premiers, c’est notre victime et même si nous n’avons pas la possibilité matérielle de la transporter nous devons impérativement assurer la transmission des informations à l’infirmier ou au médecin une fois à l’hôpital. De toute façon, le GRIMP reparti, les pompiers de l’équipe bariatrique ne sont que deux ; ils auront besoin de nous pour transférer la victime du brancard au lit d’hôpital.
Ce sera d’ailleurs un sacré casse-tête aussi : même à 5 (trois bénévoles de la Croix-Rouge et deux pompiers, la médecin et l’infirmière ayant décidé qu’elles ne nous seraient pas d’une grande utilité étant donné leur gabarit) nous ne sommes pas confiants pour soulever le monsieur. Le mieux serait de le faire glisser du brancard sur le lit, le problème c’est que le lit est 50 cm trop bas et qu’on ne peut pas baisser le brancard. En théorie, on peut monter le lit à hauteur du brancard, mais le dispositif de réglage de la hauteur n’est censé fonctionner que jusqu’à 150 kg.
Cependant, nous n’avons pas le choix donc nous prenons le risque. Nous mettons le brancard et le lit l’un dans l’alignement de l’autre (en n’ayant d’autre choix que de réagencer la chambre au passage) et nous amenons le lit à hauteur du brancard. Nous faisons ensuite glisser la victime de l’un vers l’autre puis nous remettons immédiatement le lit à sa hauteur minimale pour éviter de surcharger le dispositif de levée.
Mission réussie.
- Pour une explication des différents types de diabète, je vous renvoie vers le paragraphe masqué dans ce billet que j’ai écrit. Et en commentaire de ce même billet, un message de @Renault qui explique très bien pourquoi le diabète est facteur de risque pour beaucoup de maladies.↩
Fin d’intervention à 17h30 : elle aura pris environ 3h30 au total.
Le dispositif mis en place est particulièrement conséquent - et la victime nous a remercié de très nombreuses fois en voyant les efforts consentis pour elle -, ce qui explique bien évidemment le temps nécessaire.
Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui se passerait si demain nous étions appelés pour la même personne, au même endroit mais dans un cadre d’urgence absolue. Comment pourrait-on la prendre en charge ?
Honnêtement, je n’en sais rien.