Qui ne s’est jamais amusé à réfléchir sur les mystères qui entourent l’univers ? L’infiniment grand et l’infiniment petit seraient-ils deux mondes bien distincts, avec leurs règles, leurs propres lois physiques et leurs civilisations ? Qu’en savons-nous aujourd’hui, avec les progrès de la science ? Prenez le temps de lire ce billet pendant une pause café, dans le bus, ou bien chez vous confortablement installé dans un bon fauteuil.
Je vous propose ci-dessous un extrait de la nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu (2011), pour amorcer de nouvelles réflexions. L’extrait se trouve à l’origine dans un livre papier.
Extrait de la nouvelle enclopédie du savoir relatif et absolu
Vous qui tournez cette page, prenez conscience que vous frottez en un point votre index contre la cellulose du papier. De ce contact naît un échauffement infime. Un échauffement toutefois bien réel. Rapporté dans l’infiniment petit, cet échauffement provoque le saut d’un électron qui quitte son atome et vient ensuite percuter une autre particule.
Mais cette particule est, en fait, « relativement » immense. Si bien que le choc avec l’électron constitue pour elle un véritable bouleversement. Avant, elle était inerte, vide, froide. À cause de votre « saut » de page, la voici en crise. Par ce geste, vous avez provoqué quelque chose dont vous ne connaîtrez jamais toutes les conséquences.
Une explosion dans l’infiniment petit.
Des fragments de matière expulsés.
De l’énergie diffusée.
Des micromondes sont peut-être nés, des y gens y vivent, et ces êtres vont découvrir la métallurgie, la cuisine à la vapeur et les voyages stellaires. Ils pourront même se révéler plus intelligents que nous. Et ils n’auraient jamais existé si vous n’aviez pas eu ce livre entre les mains et si votre doigt n’avait pas provoqué un échauffement, précisément à cet endroit du papier.
Parallèlement, notre univers trouve sûrement sa place lui aussi dans un coin de page d’un livre gigantissime, une semelle de chaussure ou la mousse d’une canette de bière de quelque autre civilisation géante. Notre génération n’aura sans doute jamais les moyens de vérifier entre quel infiniment petit et quel infiniment grand nous nous trouvons. Mais ce que nous savons, c’est qu’il y a bien longtemps, notre univers, ou en tout cas la particule qui contient notre univers, était vide, froide, noire, immobile. Et puis quelqu’un ou quelque chose a provoqué la crise. On a tourné la page, on a marché sur une pierre, on a raclé la mousse d’une canette de bière. Toujours est-il qu’il y a eu un « réveil ». Chez nous, on le sait, ça a été une gigantesque explosion. On l’a nommée big-bang.
Imaginez donc ce vaste espace de silence soudain réveillé par une déflagration titanesque. Pourquoi a-t-on tourné la page, là-haut ? Pourquoi a-t-on raclé la mousse de bière ? Pour que tout évolue et survienne à cette seconde-ci où vous, lecteur précis, lisez ce livre précis, dans cet endroit précis où vous vous trouvez. Et peut-être que, chaque fois que vous tournez une page de ce livre, un nouvel univers se crée, quelque part dans l’infiniment petit. Appréciez votre immense pouvoir.
Bernard Werber, Nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu, Paris, Albin Michel, 2011, p. 292