L’avant-propos se trouve ici.
15 -- Rayons, examen, et domicile 2
Nous en étions resté aux rayons. Le principe ? Envoyer un rayon gamma qui va tuer tout ce qui se trouve sur son passage, en particulier les cellules cancéreuses. Et un peu les neurones, aussi, puisque c’est ma tête qui est visée. Je n’aurai pas à faire les trop nombreux kilomètres entre chez moi et l’hôpital tous les jours pour cela, ça se fera dans un centre pas trop loin. Là-bas, on me fera un masque en plastique à la forme de ma tête qu’on attache pour que je sois bien immobile (on ne vise pas le cerveau, mais le liquide autour, à priori), puis j’aurai quelques séances de rayon. J’échapperai aux effets secondaires (qui inclut l’amnésie temporaire, tout de même). On ne peut pas tout avoir.
Ce qui est particulièrement intéressant avec ces séances, dont le principe reste de ne pas bouger pendant quelques minutes, je le rappelle, c’est que ça me fait sortir. Je me retrouve confronté à la société, sans cheveux, ni sourcils, ni même cils. Seuls mes poils de nez tiendront, et encore, seuls une petite partie d’entre eux. C’est solide, un poil de nez.
Je me retrouve ainsi dans une salle d’attente dans laquelle mes parents sont les cinquièmes plus jeunes, après les secrétaires, le couple de quarantenaire, et moi. Les autres patients sont tous plus vieux. Entre deux consultations de Perruques Magazine (si, ça existe), l’un d’entre eux parlera à ma mère, en croyant que c’était elle qui était malade. Pourtant, ma mère allait bien (fatiguée, mais pas au point d’être prise pour une malade). Moi, pâle comme un linge, pas de poils, des grosses cernes, je n’ai pas fait les choses à moitié. L’idée même qu’un jeune ait un cancer est une chose que certaines personnes ne peuvent pas admettre. Et quand ils croient que vous ne les regarder pas, leurs têtes valent toutes les explications du monde sur la manière dont on est considéré. Je pense à toi, anonyme chauffeur de camionnette que j’ai croisé alors que je rentrais d’une courte balade. Ce bref mélange de stupeur et d’effroi m’a profondément marqué.
Parce que, je le rappelle, je suis chez moi entre les cures de chimio. Mieux, lors des dernières cures, je ne serais à l’hôpital que pour le début des cures. Nous aurons donc en charge la réception du matériel médical. Un premier livreur fournissant les blouses pour l’aplasie, un second les charlottes et de la bétadine, et un troisième une foule de truc que j’ai oublié, et caché au milieu, la chimio à garder au frais. Sans nous le dire. On n’a toujours pas compris pourquoi, ni comment s’était rangé.
Avec le temps qui passe, on prend un rythme. Hôpital, chimio à la maison, aplasie, prise de sang quotidienne, EPO à globule blanc à 1000 € à commander, et avancé par un gentil pharmacien qui se fera rembourser par la SECU. La fin approche. L’une de mes dernières aplasie se finira un peu en urgence à l’hôpital, mon état s’étant dégradé, sans qu’il s’agisse d’une maladie en particulier. Les plaques de champignons dans la gorge m’empêchant de manger correctement, et la fatigue générale, au bout de 8 mois de traitement, se faisant durement sentir. Je finis devant la télé à regarder Arabesque, c’est dire mon état ! Je quitterai l’hôpital quelques jours plus tard seulement.
Mais j’arrive au bout. Je quitte l’hôpital, après ma dernière hospitalisation pour mes dernières injections de chimio. J’ai envie d’hurler ma joie, mais ça ne se fait pas dans un hôpital. Il me reste encore quelques jours de chimio à la maison, mais je ne me souviens même plus de l’aplasie qui a suivi. Nous sommes début février 2013, et j’ai terminé mes traitements. Je suis, officiellement, en rémission.
16 -- Épilogue : Et il vécut heureux
Mes traitements sont terminés. Pas leurs conséquences. Je m’en tire admirablement bien, sans séquelles à long terme, en ayant déjà repris une partie du poids que j’ai perdu. J’ai pu côtoyer au cours de ces 8 mois l’incompétence la plus crasse (coucou la LMDE, grâce à qui mes parents ont reçu une facture de plusieurs milliers d’euros, heureusement remboursés par la suite), l’égocentrisme le plus gras, mais aussi des gens doués, humains, et altruistes.
Il me faudra un moment pour marcher une demi-heure sans être épuisé, ou faire plus qu’une pompe. La maladie changera mon rapport au corps, me poussant même à faire du sport, ce que je continue aujourd’hui. On m’aurait dit que je deviendrai un sportif il y a 8 ans, j’aurai ri devant l’absurdité de la prédiction. Je perdrais près de 25 kg, n’en regagnant que 15 (tant mieux, en passant). Je serais suivi tous les 6 mois, d’abord par des hématologues, puis, une fois le risque de rechute écarté (en seulement un an, dans mon cas) et sur ma proposition, par mon médecin traitant. Celle-là même qui a diagnostiqué mon cancer.
J’ai toujours refusé de me considérer ou d’être considéré comme un cancéreux, mais il n’était pas question non plus pour moi de cacher cela. Certains de mes collègues ou de mes amis sont au courant, pas tous. Ma banquière sait que je dépends de la convention AERAS quelques années encore (10 ans après la fin des traitements), mais sans détail. Qu’elle n’essaie pas de me proposer un crédit pour ensuite me jeter, je risquerai de mal le prendre. Je vais bien, et ce n’est pas à un banquier d’affirmer le contraire.
Au quotidien, ça ne m’affecte pas directement. Même si parfois, quand je m’interroge sur mon avenir, quand je me sens fatigué (faible ?), physiquement ou psychologiquement, j’y repense. Est-ce que la tête qui tourne au point de préférer m’asseoir quand je visite une usine sidérurgique vient du fait qu’il fasse chaud et que je suis debout depuis 3 heures dans un usine sidérurgique poussiéreuse, ou d’une faiblesse propre due à mon cancer ? La question est assez stupide, elle n’en ressort pas moins naturellement.
Je suis bien plus, bien autre chose qu’un Homme qui a eu un cancer. Mais incontestablement, cette expérience a changé la manière dont je perçois le monde, dont je perçois les autres, et dont je me perçois. Un mélange de volonté de force, de désir de paix, d’acceptation de faiblesse, aussi. Peut-être un peu de sagesse, qui sait ?
Quoique… Tous les ans, je célèbre ma dernière sortie de l’hôpital. Comme cela a été une re-naissance, je compte mes re-ans, et je fais un gâteau que je partage avec la famille ou des amis. Une espèce de re-anniversaire bizarre, teinté d’humour absurde, où c’est moi qui offre, pour célébrer le fait d’être en vie.
Car comme je vous le disais dans la toute première partie : À la fin le héros, il vit.