Lymphome 15 et 16 : épilogue

L’avant-propos se trouve ici.

15 -- Rayons, examen, et domicile 2

Nous en étions resté aux rayons. Le principe ? Envoyer un rayon gamma qui va tuer tout ce qui se trouve sur son passage, en particulier les cellules cancéreuses. Et un peu les neurones, aussi, puisque c’est ma tête qui est visée. Je n’aurai pas à faire les trop nombreux kilomètres entre chez moi et l’hôpital tous les jours pour cela, ça se fera dans un centre pas trop loin. Là-bas, on me fera un masque en plastique à la forme de ma tête qu’on attache pour que je sois bien immobile (on ne vise pas le cerveau, mais le liquide autour, à priori), puis j’aurai quelques séances de rayon. J’échapperai aux effets secondaires (qui inclut l’amnésie temporaire, tout de même). On ne peut pas tout avoir.

Ce qui est particulièrement intéressant avec ces séances, dont le principe reste de ne pas bouger pendant quelques minutes, je le rappelle, c’est que ça me fait sortir. Je me retrouve confronté à la société, sans cheveux, ni sourcils, ni même cils. Seuls mes poils de nez tiendront, et encore, seuls une petite partie d’entre eux. C’est solide, un poil de nez.

Je me retrouve ainsi dans une salle d’attente dans laquelle mes parents sont les cinquièmes plus jeunes, après les secrétaires, le couple de quarantenaire, et moi. Les autres patients sont tous plus vieux. Entre deux consultations de Perruques Magazine (si, ça existe), l’un d’entre eux parlera à ma mère, en croyant que c’était elle qui était malade. Pourtant, ma mère allait bien (fatiguée, mais pas au point d’être prise pour une malade). Moi, pâle comme un linge, pas de poils, des grosses cernes, je n’ai pas fait les choses à moitié. L’idée même qu’un jeune ait un cancer est une chose que certaines personnes ne peuvent pas admettre. Et quand ils croient que vous ne les regarder pas, leurs têtes valent toutes les explications du monde sur la manière dont on est considéré. Je pense à toi, anonyme chauffeur de camionnette que j’ai croisé alors que je rentrais d’une courte balade. Ce bref mélange de stupeur et d’effroi m’a profondément marqué.

Parce que, je le rappelle, je suis chez moi entre les cures de chimio. Mieux, lors des dernières cures, je ne serais à l’hôpital que pour le début des cures. Nous aurons donc en charge la réception du matériel médical. Un premier livreur fournissant les blouses pour l’aplasie, un second les charlottes et de la bétadine, et un troisième une foule de truc que j’ai oublié, et caché au milieu, la chimio à garder au frais. Sans nous le dire. On n’a toujours pas compris pourquoi, ni comment s’était rangé.

Avec le temps qui passe, on prend un rythme. Hôpital, chimio à la maison, aplasie, prise de sang quotidienne, EPO à globule blanc à 1000 € à commander, et avancé par un gentil pharmacien qui se fera rembourser par la SECU. La fin approche. L’une de mes dernières aplasie se finira un peu en urgence à l’hôpital, mon état s’étant dégradé, sans qu’il s’agisse d’une maladie en particulier. Les plaques de champignons dans la gorge m’empêchant de manger correctement, et la fatigue générale, au bout de 8 mois de traitement, se faisant durement sentir. Je finis devant la télé à regarder Arabesque, c’est dire mon état ! Je quitterai l’hôpital quelques jours plus tard seulement.

Mais j’arrive au bout. Je quitte l’hôpital, après ma dernière hospitalisation pour mes dernières injections de chimio. J’ai envie d’hurler ma joie, mais ça ne se fait pas dans un hôpital. Il me reste encore quelques jours de chimio à la maison, mais je ne me souviens même plus de l’aplasie qui a suivi. Nous sommes début février 2013, et j’ai terminé mes traitements. Je suis, officiellement, en rémission.

16 -- Épilogue : Et il vécut heureux

Mes traitements sont terminés. Pas leurs conséquences. Je m’en tire admirablement bien, sans séquelles à long terme, en ayant déjà repris une partie du poids que j’ai perdu. J’ai pu côtoyer au cours de ces 8 mois l’incompétence la plus crasse (coucou la LMDE, grâce à qui mes parents ont reçu une facture de plusieurs milliers d’euros, heureusement remboursés par la suite), l’égocentrisme le plus gras, mais aussi des gens doués, humains, et altruistes.

Il me faudra un moment pour marcher une demi-heure sans être épuisé, ou faire plus qu’une pompe. La maladie changera mon rapport au corps, me poussant même à faire du sport, ce que je continue aujourd’hui. On m’aurait dit que je deviendrai un sportif il y a 8 ans, j’aurai ri devant l’absurdité de la prédiction. Je perdrais près de 25 kg, n’en regagnant que 15 (tant mieux, en passant). Je serais suivi tous les 6 mois, d’abord par des hématologues, puis, une fois le risque de rechute écarté (en seulement un an, dans mon cas) et sur ma proposition, par mon médecin traitant. Celle-là même qui a diagnostiqué mon cancer.

J’ai toujours refusé de me considérer ou d’être considéré comme un cancéreux, mais il n’était pas question non plus pour moi de cacher cela. Certains de mes collègues ou de mes amis sont au courant, pas tous. Ma banquière sait que je dépends de la convention AERAS quelques années encore (10 ans après la fin des traitements), mais sans détail. Qu’elle n’essaie pas de me proposer un crédit pour ensuite me jeter, je risquerai de mal le prendre. Je vais bien, et ce n’est pas à un banquier d’affirmer le contraire.

Au quotidien, ça ne m’affecte pas directement. Même si parfois, quand je m’interroge sur mon avenir, quand je me sens fatigué (faible ?), physiquement ou psychologiquement, j’y repense. Est-ce que la tête qui tourne au point de préférer m’asseoir quand je visite une usine sidérurgique vient du fait qu’il fasse chaud et que je suis debout depuis 3 heures dans un usine sidérurgique poussiéreuse, ou d’une faiblesse propre due à mon cancer ? La question est assez stupide, elle n’en ressort pas moins naturellement.

Je suis bien plus, bien autre chose qu’un Homme qui a eu un cancer. Mais incontestablement, cette expérience a changé la manière dont je perçois le monde, dont je perçois les autres, et dont je me perçois. Un mélange de volonté de force, de désir de paix, d’acceptation de faiblesse, aussi. Peut-être un peu de sagesse, qui sait ?

Quoique… Tous les ans, je célèbre ma dernière sortie de l’hôpital. Comme cela a été une re-naissance, je compte mes re-ans, et je fais un gâteau que je partage avec la famille ou des amis. Une espèce de re-anniversaire bizarre, teinté d’humour absurde, où c’est moi qui offre, pour célébrer le fait d’être en vie.

Car comme je vous le disais dans la toute première partie : À la fin le héros, il vit.


8 commentaires

C’est fini. Ai-je dit tout ce que je souhaitais dire ? Je pense, le plus gros, en tout cas. Comme je le voulais ? Probablement pas. Le plan a changé tout du long, le style aussi, probablement, et le fait décrire ça sur 1 an et demi n’aide pas. Mais j’en suis venu à bout, et c’est une manière de tourner la page pour moi. La prochaine page de ma maladie s’écrira dans un peu moins de 5 ans, lorsque je ne dépendrais plus de l’AERAS pour prendre un crédit.

Je voudrais vous remercier pour vos retours, très positifs. Je ne savais pas comment serait pris cette série d’article, et, comme trop souvent, je me suis inquiété pour rien. Vous êtes des gens bien. :ange:

+23 -0

Salut,

Je finis devant la télé à regarder Arabesque, c’est dire mon état !

Je m’insurge, si tu étais si fatigué, tu aurais regardé Derrick ! :-°

La question est assez stupide, elle n’en ressort pas moins naturellement.

Vu ce que tu as traversé cela me paraît plutôt humain comme réaction. Le contraire m’étonnerai beaucoup plus.

+1 -0

Bravo @Gabbro ! Et surtout, merci d’avoir pris le temps, et à mon avis d’avoir surmonté la difficulté de parler de tout ça. :)

J’ai lu toute la série avec attention, et je me suis même surpris à me dire. « Tiens, ça fait longtemps que l’article suivant n’est pas sorti ? Mais que deviens le héro ? ». Et ça m’a touché, tout du long. L’épilogue est beau, simple, et touchant à la fois.

Merci beaucoup d’avoir partagé une grande partie de cet épisode extrêmement difficile.

Au quotidien, ça ne m’affecte pas directement. Même si parfois, quand je m’interroge sur mon avenir, quand je me sens fatigué (faible ?), physiquement ou psychologiquement, j’y repense. Est-ce que la tête qui tourne au point de préférer m’asseoir quand je visite une usine sidérurgique vient du fait qu’il fasse chaud et que je suis debout depuis 3 heures dans un usine sidérurgique poussiéreuse, ou d’une faiblesse propre due à mon cancer ? La question est assez stupide, elle n’en ressort pas moins naturellement.

Elle est parfaitement naturelle, pas stupide du tout, et fait partie des trucs qui ne s’arrêtent pas avec une guérison. Je sais pas trop comment tu composes avec, dans un cas aussi grave, marquant, usant que le tien. Mais c’est vraiment très très difficile quand ça touche à la "perte de confiance en son corps". Pour certaines maladies, il y a des accompagnements longtemps après la fin du traitement pour apprendre à faire abstraction de ça. Je ne sais pas si tu as un retour là-dessus ou si tu n’en as jamais éprouvé le besoin. Mais ouais, étudier le moindre tremblement, spasme musculaire, la moindre sensation de fatigue, mal de crâne un peu trop insistant. Regarder autour de soi et se dire "si ça m’arrive là, maintenant", c’est franchement dur.

Mais incontestablement, cette expérience a changé la manière dont je perçois le monde, dont je perçois les autres, et dont je me perçois. Un mélange de volonté de force, de désir de paix, d’acceptation de faiblesse, aussi. Peut-être un peu de sagesse, qui sait ?

Vraiment très très heureux de lire ça. C’est probablement la meilleure conclusion que tu pouvais donner à cet article, et sans doute un immense espoir à quiconque pourrait le lire dans le futur.

Merci pour ça.

+3 -0
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