Que ce soit en soirée, pendant un trajet en voiture, un repas ou autre, je réitère régulièrement l’expérience, par curiosité : je remets en question la fidélité attachée dans nos sociétés à la vie de couple. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que mes interlocuteurs aient été des philosophes vibrant de joie à la vue d’un débat. Je tente donc ici et soulève dans ce billet une question au sujet de cette norme sociale :
Quel est le problème avec l’infidélité ?
« Mais il est fou ! »
Ça, c’est une réaction, pas tout à fait constructive, à laquelle j’ai eu droit. Plutôt que d’agresser les honnêtes poseurs de questions, remarquons que l’infidélité a deux composantes :
- Le fait de coucher1 avec une autre personne que son2 partenaire ;
- Le fait de le faire à l’insu dudit partenaire.
Bon, un problème à la fois : concentrons-nous sur le premier point. La question se précise en :
Pourquoi refuse-t-on communément3 que son partenaire couche avec une autre personne ?
« Tu comprendras quand tu tomberas amoureux. »4
Au-delà du manque de curiosité intellectuelle qu’elle suggère envers ma question plutôt peu commune, cette phrase me pose problème parce qu’elle indique un renoncement de la raison au profit du « c’est comme ça ». Cette attitude de non-réflexion me paraît néfaste vu que toute émotion n’est pas souhaitable.5
Par exemple, j’ai croisé des personnes reconnaissant être jalouses et possessives et se glorifiant de ce trait de personnalité (« c’est humain, tu sais »). Pourtant, on ne peux nier les impacts négatifs qu’un tel comportement a sur les deux partenaires, puisque le jaloux oblige l’autre à refouler ses désirs et à se conformer à l’image qu’on se fait de lui. C’est ça, l’amour ?
« Mais si mon partenaire m’aime, pourquoi voudrait-il coucher avec quelqu’un d’autre ? »
Aucune idée, les raisons peuvent être multiples. Peut-être parce qu’il veut expérimenter des positions qui ne t’attirent pas particulièrement. Ou parce qu’il veut voir ce que ça fait de fourrer sa tête dans une poitrine généreuse, que tu ne peux pas lui fournir. Il semble réaliste d’admettre que nous ne sommes pas parfaits et ne pouvons combler tous les désirs de notre partenaire.
D’ailleurs, on en a habituellement conscience quand il est question d’autre chose que le sexe : si notre conjoint pratique l’escalade mais nous non, il paraît absurde de l’empêcher d’aller grimper avec des amis. De la même manière, nous ne l’empêchons pas de dîner ou de boire un verre avec des collègues.
« Oui mais le sexe a une dimension intime. »
Déjà, pas nécessairement.7 Et quand bien même c’est le cas, pourquoi l’intimité de notre partenaire devrait-elle être notre privilège ? Cette même personne est peut-être très proche de sa famille ou de certains de ses amis, sans que ce soit problématique. Il est surprenant que ça le devienne quand il est question de sexe.
Il semblerait que nous refusons que notre partenaire couche avec une autre personne pour préserver notre ego. Ce qui nous gêne n’est pas tant le contact physique mais l’attrait émotionnel qu’il sous-entend. Or il est réconfortant d’avoir un partenaire pour nous complimenter, nous réconforter, confirmer nos opinions, etc. Et le fait qu’il est prêt à sacrifier de sa liberté pour rester près de nous nous rassure sur notre valeur. La règle de fidélité permet de rendre ça durable dans le temps. En quelque sorte, c’est un moyen d’échapper à la solitude et d’éviter de se retrouver face à soi-même.
« Je pense plutôt qu’on se met en couple pour bâtir quelque chose, comme une famille,
et non par égocentrisme comme tu l’affirmes. Et ça ne mènera nulle part si un des deux partenaires ne s’investit pas. »
En l’occurrence, ça ne semble pas lié à l’infidélité. Quand il est question de fonder une famille, le sexe n’intervient qu’au moment du big bang (sans mauvais jeu de mot). Et il en va de même pour la plupart des projets que nous pourrions souhaiter mener avec notre partenaire, comme repeindre la cuisine.
D’ailleurs, il est tout à fait possible de mener des projets fructueux8 avec des personnes sans pour autant coucher avec. Il me semble par exemple que c’est plus ou moins l’image que nous nous faisons des grand-parents. En langage mathématique, on dirait que le sexe n’est pas une condition nécessaire à la vie de couple. Je ne crois pas que c’en soit une suffisante non plus : coucher avec quelqu’un ne semble pas suffire à se faire aimer de cette personne.
« Mais si on peut tout faire avec tout le monde, quel est l’intérêt de se mettre en couple ? »
C’est une bonne question. Comme habituellement le débat ne va pas si loin, il me faut plus de temps pour y réfléchir. Elle fera peut-être l’objet d’un autre billet. En attendant, je serai ravi d’échanger à son sujet dans les commentaires.
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Je restreindrai ici l’infidélité au sexe et ne considérerai pas le genre de cas tyranniques où une personne manque tellement de respect à son partenaire qu’il va jusqu’à lui interdire de converser avec une personne dont il pourrait être un peu trop proche.
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Pour alléger le texte, je n’emploierai que des pronoms masculins, mais je ne fais aucune hypothèse sur le genre des personnages, ni sur leur orientation sexuelle.
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Je n’ai pas de chiffres pour soutenir cette affirmation mais ça ne change pas la suite du propos.
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Avec le regard et le sourire de ceux qui s’imaginent t’enseigner la vie tout en ne doutant pas une seule seconde de leur opinion.
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Attention, je ne défend en aucun cas ici la suppression des émotions au profit de la raison. Je déclare seulement que tout ce qui est naturel n’est pas nécessairement souhaitable.6 Nous pouvons nous mettre en colère parce que le temps est pluvieux, mais la spontanéité de cette réaction ne la rend pas bénéfique.
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D’ailleurs, le terme de « naturel » est souvent employé dans le sens de « normal » (par exemple, il ne serait pas naturel pour certains d’être homosexuel, ce qui est faux puisque l’homosexualité existe chez les animaux) et fait donc souvent référence à une norme sociale locale dans le temps (changez d’époque et la norme disparaît) et dans l’espace (changez de lieu et elle ne s’applique plus).
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Même si c’est probablement mieux pour un acte réussi. De la même façon que, toutes choses égales par ailleurs, nous préférons pratiquer une activité avec des personnes dont nous sommes proches émotionnellement qu’avec des inconnus.
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Ces projets peuvent être émotionnels, comme de l’aide humanitaire ou du partage de connaissance. Ne vous imaginez pas que je ne parle ici que de bénéfices monétaires ou matériels.
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