Bonjour à tous,
Peut-être avez-vous entendu parlé de l’interstitium, un nouvel organe interconnecté qui servirait d’amortisseur aux autres, et expliquerai le fonctionnement de l’acuponcture ? Attendez… Qu’est-ce que je viens d’écrire, là ? Reprenons.
De l'article scientifique à l'article pas scientifique du tout
La déformation de l’information, exemple du jour (du 29 mars, ce n’est pas un poisson d’avril).
Science et avenir nous parle de l’interstitium, une structure du corps humain nouvellement découverte. Très nouvellement, ça date du 6 mars. Et, l’air de rien, conclut l’article ainsi :
Ce sont les derniers mots de l’article, sans triche… Pour autant que je sache, l’acuponcture n’a jamais été démontré correctement en double aveugle (entre autre parce que le double aveugle est compliqué à effectuer dans ce cas), donc ils disent que cet organe pourrait justifier un effet… dont l’existence n’est pas démontrée. Mon alerte à foutaise sonne, et m’impose d’aller lire l’étude, librement accessible. Rechercher « acu » dans la page, ne rien trouver sur l’acuponcture. Diantre.
D’où vient le lien avec l’acuponcture, alors ? Il vient du communiqué de presse de l’organisme finançant l’un des chercheurs, là. « Acupuncutre » est l’un des derniers mots avant les crédits.
On a là un joli mélange des genres : une étude scientifique, avec revue et compagnie, qui dit quelque chose. On en produit un communiqué de presse, réalisé, avec un peu de chance, avec l’un des auteurs (à voir, je ne sais pas comment est réalisé en pratique un communiqué de presse), mais pas tous, et sans revu par les pairs, qui extrapole. Celui-ci conclu par une affirmation non présente dans l’article, affirmation qui sera reprise par les autres médias.
Là, j’ai peur de voir dans les jours qui viennent « on a la preuve que l’acuponcture marche !!! », suite à des déformations successives. Une recherche « acupuncture interstitium » renvoie malheureusement vers Do We Finally Understand How Acupuncture Works?. Mes craintes semblent justifiées.
Une interview de l’un des participants à l’étude (le même que celui interrogé lors du communiqué de presse) enfonce le clou sur le Daily Beast. Je vous laisse la première mention de l’acuponcture (juste après la description du potentiel organe), sans que je sache trop si c’est le chercheur lui-même ou les propos rapportés par le journaliste :
Même francetvinfo est plus mesuré ! Je n’abuse pas, voici ce qu’ils disent :
Ce n’est pas la conclusion de l’article, et il est explicitement rappelé que l’acuponcture est considérée comme un placébo actuellement. Francetvinfo plus rigoureuse qu’un chercheur, c’est tout de même un peu triste.
Je conclurais par trois points :
- D’abord, une sottise marrante du pharamachien, parce qu’il faut bien rire un peu, aussi. Qui dit nouvel organe dit nouveaux traitement pour prendre soin de cet organe et le détoxifier !
- Ensuite, à l’heure où les médecins qui appellent à dérembourser et ne plus diplômer les disciplines médicales n’ayant pas apporté de preuve de leur efficacité (comprendre : la SECU ne devrait payer que si ça marche) se font attaquer dans les médias, être conscient de ce genre de déformations (le mot « acuponcture » n’apparait pas dans l’article scientifique, et c’est lui qui fait foi) est important.
- Ce n’est pas parce qu’un article, même scientifique, le dit que c’est vrai. L’article de Francetvinfo est étonnamment prudent sur le sujet, et nous rappelle que prudence1 et étude complémentaires2, ainsi qu’un minimum de recul3 4 sont toujours nécessaire.
Sur ce, prenez garde à vos lectures, vous ne savez jamais sur quoi vous pourrez tomber.
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"Il est possible, en effet, que ce réseau, contribue à propager le cancer, mais je serais prudent avec cette affirmation", tempère le docteur Stéphane Vignes. ↩
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Mais le docteur Xiaoyin Jiang rappelle, dans un article de The Scientist (en anglais), que l’étude repose sur les prélèvements effectués sur seulement douze patients. Ces résultats appellent donc des recherches plus approfondies. ↩
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En fait, c’est simplement la première fois qu’on l’observe aussi précisément. Car cet interstitium n’était pas un total inconnu. La structure a déjà été décrite dans plusieurs publications médicales, dans les années 1990, sous le nom, pas plus officiel, de "voies pré-lymphatiques". "On ne découvre pas totalement ce réseau, confirme Stéphane Vignes. C’est le fait de vouloir le qualifier d’organe qui est nouveau". "On connaissait l’intersitium du poumon, du tube digestif, des voies urinaires… C’était des compartiments séparés (…) en fin de compte ils sont interconnectés", explique Valérie Pourcher. ↩
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Après la fausse découverte du mésentère, en 2017, mieux vaut donc être prudent avec le mot "organe" et encore plus avec le compte du nombre d’organes dans le corps. ↩