Ce billet est une réaction plus ou moins à chaud à une audience que j’ai suivi récemment. Étudiant le droit suisse, j’ai pris l’habitude de me rendre au tribunal de mon arrondissement chaque fois que j’en ai l’occasion.
J’ai volontairement omis de citer les articles des lois dans le corps de texte. Ils sont mis dans les parties masqués. Si vous voulez les lire, voici les liens.
Contexte
Faits retenus
Un homme cambriole $3$ maisons avec un comparse jugé séparément en un peu moins de $2$h. Ils forcent la baie vitrée des deux premières maisons. Ils réussissent à trouver une fenêtre ouverte pour la troisième maison. Le butin amassé est de $30'000$ CHF. Il ne sera jamais retrouvé par la police. Les maisons cambriolées étaient inoccupées. Aucune violence n’a été exercée. L’ADN de l’homme a été retrouvé sur une lamelle de store d’une maison visitée.
L’homme n’a pas quitté la Suisse depuis que son autorisation de séjour en Suisse n’a pas été prolongée.
Situation personnelle du prévenu
L’homme poursuivi n’est pas suisse. Il a vécu plusieurs années avec une femme suisse avec laquelle il s’est marié et a une fille de $6$ ans. Le couple a battu de l’aile. La séparation avait été prononcée. Toutefois, il s’est donné une nouvelle chance et vit de nouveau ensemble. À cause de la séparation, l’autorisation de séjour n’a pas été renouvelée. L’homme qui travaillait dans une multinationale d’importance comme cuisinier est licenciée. L’homme n’a jamais perdu contact ni avec sa fille ni avec son épouse durant la séparation bien qu’il ne vivait plus avec elles.
Antécédent judiciaire
L’homme est déjà connu pour violation de domicile et vol. Il a été condamné à une peine pécuniaire de $120$ jours-amendes assorti du sursis.
La peine pécuniaire est une somme d’argent calculée en multipliant $2$ nombres. En premier, le juge fixe le nombre de jour selon la culpabilité. Ensuite, il fixe le montant journalier en tenant compte des revenus de la personne condamnée. Le président n’a pas donné le montant du jour-amende lors de l’audience. En cas de non-paiement ou paiement partiel, la peine pécuniaire est convertie en emprisonnement au pro rata de la somme déjà versée.
Accusations
L’homme est accusé par le Ministère public de $4$ infractions différentes:
- Dommages à la propriété pour avoir forcé la baie vitrée de $2$ maisons. La troisième était ouverte, elle n’a pas été abîmée.
- Violation de domicile pour avoir pénétré dans $3$ maisons sans l’accord des propriétaires.
- Vol pour avoir emporter divers bijoux et de l’argent liquide. En plus du vol, les circonstances aggravantes du métier et de la bande ont été retenues.
- Séjour illégal pour ne pas avoir quitté le territoire suisse après le retrait de son autorisation de séjour
Pour ces infractions, le prévenu encourt une peine maximale de $7.5$ ans de prison
Pour ceux que ça intéresse, les infractions énoncées sont réprimés par l’article du code pénal suivant :
- Dommages à la propriété : art. $144$ CP
- Vol qualifié en bande et par métier : art. $139$ ch. $2$ et ch. $3$ CP
- Violation de domicile : art. $186$ CP
L’infraction de séjour illégal n’est pas réprimée par le code pénal mais par une disposition spéciale de la loi fédérale sur les étrangers : art. $115$ al. b LEtr.
Lorsqu’une personne est condamnée à plusieurs infractions simultanément, il réalise la circonstance aggravante du concours. Cette circonstance prévoit que la peine maximale encourue est la peine maximale prévue par l’infraction la plus grave multiplié par $1.5$.
L’infraction la plus grave est le vol. Elle est sanctionnée d’un peine de $5$ ans de prison au plus. Dans notre cas, l’homme encourt donc $7.5$ ans de prison.
Depuis le 1er janvier 2018, l’aggravante de l’affiliation à une bande établit une peine minimale de $6$ mois de prison. Toutefois les faits reprochés se sont déroulés avant cette date, c’est donc l’ancien texte du vol qualifiée qui est appliqué. La peine minimale est $180$ jours-amendes.
Notre homme peut être puni d’une peine allant de $180$ jours-amendes à $7.5$ ans de prison.
Audience
Déroulement de l’audience
Le tribunal est constitué du président du tribunal et de 4 assesseurs. L’audience n’a duré que 40 min. Elle a consisté à l’audition du prévenu sur les faits qui lui sont reprochés ainsi que sur sa situation personnelle et aux plaidoiries du procureure et de l’avocate de la défense.
Habituellement, le tribunal ne rend pas son verdict immédiatement. Il convoque les parties une à deux semaines plus tard. Ce n’est pas bon signe. Les délibérations ont duré 30 min.
Verdict
L’homme a été condamné :
- à $2$ ans de prison, assorti d’un sursis partiel d’$1$ an
- et à l’expulsion du territoire pour une durée de $5$ ans.
Je résume volontairement le verdict à l’essentiel.
L’homme avait déjà passé un peu plus de $270$ jours en détention préventive. Ces jours sont déduits de la peine à effectuer. Il lui reste un peu moins de $3$ mois à purger. L’expulsion n’a lieu après que le condamné a purgé sa peine en entier ou qu’il soit libéré conditionnellement. Ceci risque d’arriver rapidement, car le condamné peut demander à l’autorité pénitentiaire la libération conditionnelle après avoir purgé le $2/3$ de sa peine.
La libération conditionnelle est prévue par le code pénal quand bien même l’exécution des jugements pénaux relève du droit cantonal. C’est une des rares intrusions du droit fédéral dans le droit cantonal. Les cantons ne peut pas disposer de délai plus généreux ou au contraire plus strict.
Le prisonnier ne demande pas la libération conditionnelle. L’autorité d’exécution des peines doit se prononcer automatiquement sur la libération.
La libération conditionnelle est prévue à l’art. 86 CP.
Mes impressions
Expulsion obligatoire
Les infractions sanctionnées par une expulsion obligatoire sont très nombreuses. Les voici : art. 66a CP.
Cette affaire illustre parfaitement le drame de l’expulsion obligatoire des étrangers pour des délits relativement mineurs. La mesure d’expulsion n’est pas en soi révoltante, c’est l’automaticité qui me révulse. Le juge n’a quasiment pas de marge de manœuvre. Il doit prononcer l’expulsion peu importe la peine prononcée. L’expulsion ne dépend que du verdict de culpabilité. Même si le juge exempte le délinquant de toute peine, il restera obligé d’expulser.
La seule exception à l’expulsion est la présence de circonstances exceptionnelles. Cette exception est très rarement admise sauf pour les gens né en Suisse et encore…
La quasi-automaticité de cette norme permet toute sorte d’abus. Elle est trop rude. Par exemple, l’expulsion n’est légalement pas une peine mais une mesure. Ellle suit un autre régime qui ne prévoit pas le sursis. Le juge est pieds et poings liés. Le sursis permet de limiter la récidive. Il est né sur le constat que la confrontation à la justice pénale et le passage devant un tribunal détournait la majorité des justiciables de la délinquance. Accorder un sursis total et prononcer une expulsion de manière ferme est un non-sens.
Dans cette affaire, le délinquant n’était pas un exemple de trouble à l’ordre public majeur qui justifiait un bannissement. La gars avait plus l’air d’un paumé faisant les mauvais choix. Il méritait d’être sanctionné mais, dans son cas, l’expulsion apparaît vraiment comme une double peine. Elle punit aussi la fille de $6$ ans qui aura de grande difficulté à voir son papa les $5$ prochaines années.
Il me semble d’ailleurs qu’elle a été prononcé à contre-cœur. Le tribunal a suivi le Ministère public sur la quasi-totalité de ses réquisitions sauf sur l’expulsion. La procureure avait demandée une expulsion du territoire de $10$ ans. Le tribunal a réduit la durée à son minimum légal ($5$ ans).
Célérité
En rédigeant ce billet, je me suis aperçu d’une deuxième chose qui me gêne mais que je n’avais pas relevé durant l’audience. Le procès s’est déroulé relativement tard vu la difficulté de la cause. L’ADN du condamné a été retrouvé sur les lamelles de store ne laisse aucun doute sur sa participation, même si le condamné a toujours nié.
Le condamné a subi plus de $270$ jours de détention préventive avant jugement. Si le jugement avait eu lieu plus tôt, le condamné aurait pu demandé sa libération conditionnelle à temps. En Suisse, la libération conditionnelle est examinée par l’autorité d’exécution des peines lorsque le détenu a purgé $2/3$ de la peine infligée. Il lui a été impossible de le faire puisque le condamné ignorait la peine qui lui serait infligée. En effet, il ne pouvait pas savoir qu’il serait condamné à $1$ an de prison ferme.
Les $2/3$ de la peine est atteint après $8$ mois
Le condamné a effectué un peu plus de $270$ jours de détention préventive, soit un peu plus de $9$ mois.
S’il avait bénéficié d’un jugement plus rapide, il serait vraisemblablement sorti de prison $1$ mois plus tôt. Je ne peux pas en être certain. Toutefois, la libération conditionnelle comme le sursis est prononcé par principe. Il faut des éléments défavorables pour refuser la libération ou le sursis.
Dans tous les cas, le droit du condamné à bénéficier d’une libération conditionnelle a été violé à mon avis. Certes, dans son cas, sa remise en liberté sera immédiatement suivi de son expulsion. Ce sont tout de même $1$ mois de liberté. Par contre, un condamné suisse aurait vraiment pâti de ce retard dans le jugement.
Avocate de la défense
J’ai été très marqué par le travail de l’avocate. Le prévenu a toujours nié sa participation lors de l’instruction. Au procès, il a admis un rôle de chauffeur pendant son audition par le président du tribunal. Il aurait amené l’auteur des cambriolages en ville puis l’aurait attendu au bar qu’il revienne. C’est un mensonge. Son ADN a été retrouvé sur les stores d’une des villas cambriolées.
À aucun moment, son avocate n’est intervenue en lui suggérant de se taire. Elle l’a laissé torpiller ce qui restant de la crédibilité du prévenu sans broncher. Continuer à nier aurait fait moins mal que de sortir un mensonge. Le prévenu faisait grise mine quand la procureur lui a rappelé où avait été retrouvé son ADN. Pire, pendant la plaidoirie finale, elle a repris l’histoire de son client pour implorer la clémence du tribunal. Elle a invoqué son simple rôle de chauffeur pour limiter la peine. L’effet a été terrible. La plaidoirie a été gâchée. À partir de là, le tribunal écoutait poliment mais sans accorder d’attention particulière.
De même, elle n’a pas plaidé sur la circonstance aggravante du métier. C’était à mon sens une faiblesse du dossier. Il me semble d’ailleurs que la procureure s’en était aperçue. Lors de sa plaidoirie, elle a bétonné sa réquisition en rappelant longuement la jurisprudence développée sur la notion de métier. Toutefois, elle n’a pas rappelé les éléments factuels (sciemment à mon avis) permettant de retenir le métier. La notion de métier n’est pas très compliquée et je pense que c’était le signe d’une faiblesse du dossier. Je me serais attendu à plus de hargne sur cette question de la part de l’avocate. Dans tous les cas, ça n’aurait pas conduit à un acquittement mais la peine aurait pu être diminuée.
J’ai encore été étonné que l’avocate ne propose aucune peine au tribunal. Elle n’avait pas requis d’acquittement. Plutôt que de simplement demander la clémence, elle aurait aussi pu proposer directement la peine qu’elle considérait comme adéquate.
À sa décharge, l’avocate était encore stagiaire ce qui peut expliquer certaines hésitations.
Je suis sorti mitigé de cette audience. D’un côté, je trouve que la peine de prison prononcée est adéquate. De l’autre, je suis abasourdi par l’effet de l’expulsion obligatoire sur les délinquants moyens.
Ce billet avait pour but de partager mon impression, mais il avait aussi pour but de poursuivre la réflexion au-delà de l’audience et de jeter un regard plus approfondi sur l’audience.
Mon ressenti face à cette audience m’a donné la motivation d’écrire sur Zeste de Savoir. Je mûris depuis longtemps l’envie de participer plus activement sur ce site en développant d’autres contenus. Ce procès a été l’occasion rêvée.