L’avant-propos se trouve ici.
4 – Les urgences
Muni d’un compte rendu de scanner et d’IRM, je me rends (comprendre, ma mère me conduit), un peu kaputt, chez mon médecin traitant. La salle d’attente est pleine, avec des gosses malades, et je n’ai pas de rendez-vous. Mon médecin me prend entre deux patients, lis le dossier que nous lui donnons et me dis, très calme, qu’il me faut aller à la Pitié-Salpêtrière, gros hôpital parisien. Je me souviens clairement lui avoir demandé très calmement moi aussi,
– Mais, est-ce que je vais mourir ?
– Non, voyons, m’a-t-elle répondu immédiatement, tu vas être pris en charge, maintenant.
Sous-entendu que c’est bon. Je suis certain qu’elle n’avait en vérité aucune idée de si j’allais mourir ou non, mais elle a dit et fait ce qu’il fallait.
Le lendemain matin, nous partons donc, ma mère, mon père et moi, direction Paris. La douleur à la cuisse qui me harasse dès que je n’ai pas la jambe tendue ne me permet pas de tenir l’heure et demie que dure le trajet, je suis donc couché sur les sièges arrière. Arrivé aux urgences générales, mes parents patientent dans une petite salle d’attente à côté pendant que je pénètre dans le service.
On dit que les urgences sont un service saturé, avec des médecins débordés qui font ce qu’ils peuvent sous une lumière blafarde, des valises sous les yeux avec une salle d’attente bondée de gens sous extrême tension. Eh bien pas là. Le service est calme, la salle presque vide, et la lumière naturelle donne à tout ça un aspect chatoyant. Après avoir donné mon dossier au pré-médecin qui vérifie si j’ai bien ma place aux urgences, je m’assieds et attend, guère longtemps puisqu’un médecin interne vient rapidement me conduire dans une salle d’examen.
L’examen se déroule comme suit : après m’avoir interrogé sur mon état général (j’ai mal et des fourmillements au menton), il me dit qu’il va falloir faire un prélèvement sur l’un des ganglions gonflés, il commence donc à tâter. Il tâte le cou, rien d’anormal, puis sous les bras, rien, à part que ça chatouille, les chevilles, rien, et me demande de retirer mon slip. Il tâte les ganglions de l’aine et vérifie, sans me le dire, l’aspect visuel de mes testicules. J’apprendrais plus tard (et sans détail) que les lymphomes sont régulièrement diagnostiqués suite à des bizarreries au niveau des bourses. Mais il n’a toujours pas trouvé de ganglions cancéreux. Il me dit alors qu’il est désolé, mais il va devoir tâter un dernier ganglion extérieur. Le mot-clé est ici « toucher rectal », puisque ces ganglions se situent pas loin de la prostate. Et toujours rien.
Je suis libéré, et retourne voir mes parents avec pour consigne de rester dans la salle d’attente visiteur. Je m’assois par terre, jambe tendue. Nous mangeons un sandwich acheté dans le coin, et une seconde médecin débarque (pas un interne) et me conduit dans une salle d’examen. Elle me dit qu’elle doit vérifier ce que le premier à regarder, et donc à nouveau chercher les ganglions.
Petite parenthèse : je croyais à l’époque que c’était parce qu’il n’avait rien trouvé qu’elle devait vérifier, mais en fait non. L’interne n’est pas encore un vrai médecin, et tous diagnostiques, toutes vérifications, qu’il fait doit refait derrière par un médecin. Par expérience, l’interne vérifie tout et le médecin se contente de faire le plus gros, d’une part parce qu’il sait que tout a été fait, d’autre part parce qu’il a confiance, pour finir pour gagner du temps.
Seconde parenthèse : vu les cas (peu intéressants) que les internes aux urgences doivent voir habituellement, et vu que la salle d’attente était vide (donc qu’il avait le temps) je n’exclus pas que l’interne qui m’a pris en charge ait gagné à la courte paille face à ses collègues. Ils ne doivent pas voir des cancéreux tous les jours.
Donc, la médecin doit tout vérifier. Le cou, rien, les bras, ça chatouille, mais rien, l’aine (mais avec le slip, cette fois-ci), rien, les chevilles non plus. Elle me dit alors « Je suis désolé, mais je dois tout vérifier ». J’ai gagné mon second touché rectal de la journée. Et toujours rien. Elle me laisse à nouveau sortir après m’avoir dit que je devrai subir un prélèvement d’un ganglion interne, ce qui sera fait par elle-même ou l’un de ses collègues.
Retour en salle d’attente, avec pour consigne d’être de retour dans une heure. Avec mes parents (qui patientent beaucoup), nous décidons d’aller dans le petit parc en contrebas, nous poser dans l’herbe. Assis la jambe étendue dans l’herbe, ça change d’assis la jambe étendue sur le carrelage. Le temps passe, et nous finissons par remonter aux urgences. Je n’ai pas eu d’antidouleur depuis un moment, j’ai sacrément mal. Mes parents seront, pendant toute cette épreuve, d’un grand soutient moral ; à ce moment-là, le soutien est même physique, puisque je m’appuie sur l’épaule de ma mère pour pouvoir rejoindre les urgences. Nous nous séparons là.
J’entre dans la salle d’attente, qui, plein de monde anxieux ou las, sous une lumière blafarde, parait nettement moins accueillante que le matin. Je m’assieds dans un coin, et suis très vite abordé par un membre du personnel médical qui me demande si j’ai eu des antidouleurs, non, il part donc m’en chercher avec un verre d’eau. Je vois quelque regards qui se demandent pourquoi, alors que je viens d’arriver, on s’occupe déjà de moi. Un second soignant me demande dans les minutes qui suivent si on m’a donné des antidouleurs, je réponds que oui. Je sens les regards haineux portés sur moi. Pourquoi donc un jeune, visiblement bien portant, là depuis 5 minutes, a déjà eu le droit à l’attention de deux soignants, alors que moi, qui vais mal, je n’ai rien ?
Cela ne durera guère, on vient me chercher, et me faisant monter sur un lit à roulette, qu’on met dans une camionnette. Je quitte les urgences en direction du service d’hématologie, dans lequel je resterai un bon moment.
5 – Dans l’aquarium
Résumé des chapitres précédents : j’ai mal. J’arrive au service d’hématologie de la Pitié-Salpêtrière. Ah ! Et j’ai un cancer, aussi.
J’arrive donc au premier étage d’un bâtiment de l’hôpital, et on me fait entrer dans un sas. Je dois me déshabiller et me désinfecter à la Bétadine lavante. On me met ensuite dans une chambre. Je suis dans l’unité dite « stérile » : chaque chambre comporte un lit, des sièges, une table avec plein de produits médicaux (typiquement des désinfectants), une télé, un interphone, une espèce de biper, une fenêtre qui donne sur un couloir avec tout de suite derrière une fenêtre qui donne sur l’extérieur, un pot à pipi et un pot à popo. Parce que oui, on fait pipi-popo dans un pot, et on appelle (on bipe) un aide soignant pour vider le pot à popo. Le pipi, lui est mesuré chaque jour avant vidage.
Pour moi qui aime faire les choses et être indépendant, c’est compliqué à accepter.
Je rencontrerai les médecins le lendemain. Ils me présenteront le protocole de soin, les différentes opérations que j’allais subir et ce qui risquait de m’arriver en termes d’effets secondaires. Je suis un peu surchargé par les informations à ce moment-là. Je retiens avant tout qu’on va me faire m’hydrater beaucoup (dans le sens : injection d’eau par intraveineuse) car on va me donner des corticoïdes, qui vont faire céder la masse tumorale, qui devra être évacuée par les reins. D’où la mesure du pipi : s’il y a une trop grande différence entre ce qui entre et ce qui sort, il y a problème (et on ne parle pas d’un litre et demi, là).
Deux choses m’ont marquées dans cet entretien. Je me souviens avoir demandé si j’allais y passer (ça fait deux fois, c’est une obsession, chez moi). On m’a répondu sans trop me répondre, mais l’idée restait que ça va aller. L’une des médecins quitta la salle les larmes aux yeux, tandis que je restais très calme. Je fus étonné de sa réaction, puisqu’on m’avait dit que ça allait aller. Ah là là, la naïveté… Le deuxième est le fait qu’on m’a dit que j’avais un cancer liquide : enlever les ganglions n’était pas suffisant. Ma mère de demander si c’était métastasé, et d’entendre que non, c’est liquide. Oui, il y a des cellules cancéreuses partout, mais non, ce n’est pas métastasé, un cancer liquide ne peut pas métastaser. L’explication ne convainquit guère.
On me fera des prélèvements sanguins, mais aussi une ponction lombaire, un prélèvement de moelle, d’un ganglion, des examens de scanner et IRM. Mais je reviendrai sur tout ça plus tard, car ce genre de chose, j’y ai eu le droit durant tout mon séjour. Parlons plutôt des spécificités de l’unité stérile. Primo, je n’ai pas alors besoin d’une unité stérile, mais le nombre de patient par infirmier est plus faible dans cette unité, et on souhaite me suivre d’un peu près le temps de jauger la situation. Deuzio, il y a comme je le disais un couloir vitré sur le côté : c’est pour recevoir de la visite. D’où l’interphone. J’aurai ainsi le droit à une visite familiale, de l’autre côté de la vitre. C’est pour ça qu’on parle d’aquarium1 : on est dans notre salle, séparée par une vitre.
Le fait que je sois dans un service stérile sans risque infectieux provoquera de petits cafouillages sur ce que j’ai le droit ou non dans ma chambre. Ainsi, le PC est passé, mais pas le bouquin du lendemain. Il faudra une petite explication entre ma mère et les responsables pour uniformiser les décisions d’un soignant à l’autre.
Je fais des tours et des détours dans mon récit, et je n’ai toujours pas vraiment parlé des médicaments. Des corticoïdes, donc, à ce moment-là. Ce sont des médicaments dégueulasses (si une gélule a le malheur de toucher votre langue, vous êtes mal), sans trop d’effet secondaires (comparé à ce que j’aurai par la suite, en tout cas), mais avec des restrictions alimentaires : pas de sel. J’aurais donc le droit à de la bouffe d’hôpital, sans sel. Joie et félicité. Ces saloperies de médicaments provoquent donc la destruction de la masse liquide que j’avais sous les poumons, qui sera traitées par mes reins sans problème majeur, c’est la lyse, comme ils appellent ça.
N’aimant pas trop prendre des médicaments (je serai servi…), je demande innocemment quand est-ce que je pourrai arrêter les antidouleurs, et comment on peut le savoir. Bah oui, la masse tumorale étant détruite, elle n’appuie plus sur mes nerfs, et donc la sciatique devrait être terminées. Car oui, ce n’est pas directement le lymphome qui me provoquait des douleurs, mais bel et bien une masse liquide sous les poumons qui compressait un nerf. Honnêtement, je ne sais pas exactement ce qu’il y avait dans cette masse liquide. La réponse est qu’il faut cesser les antidouleurs, et voir si j’ai encore mal. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et je n’ai plus mal à la cuisse droite ! Hourra ! Je garderai des fourmillements à la cuisse pendant un bon moment, mais la douleur est terminée.
Le cerveau étant parfois un peu bizarre, si ce n’est con, j’aurai dans les mois qui suivent régulièrement des fourmillements à la cuisse gauche, c’est-à-dire celle qui n’a pas eu de douleur. Si vous comprenez comment ma tête marche, faite moi signe.
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On devrait plutôt parler de terrarium si vous voulez mon avis. Mais bon… ↩