Ça fait maintenant deux semaines que je travaille sur un projet… hors du commun. Je vous explique : je m’applique à traduire des extraits de Quæstiones celeberrimæ in Genesim, l’un des ouvrages les plus connus du réputé Marin Mersenne.
Euh… Réputé ? Moi, son nom, il me dit rien !
Effectivement, les présentations méritent d’être faites. Je vais citer Wikipédia : ce n’est pas (seulement) par paresse, mais aussi parce que c’est un bon résumé :
Il fut aussi très proche de Descartes et mit au point une formule mathématique qui donne certains nombres premiers (appelés nombres de Mersenne).
Oui. Tout simplement.
Les parties que je dois traduire concernent la réfutation qu’il fait de l’astrologie : on est en 1623 quand le livre est publié, et une telle croyance est encore fortement répandue. Mais les choses dont je vais vous parler ici ne concernent ni le contenu du traité, ni la traduction que j’en fais (cela fera peut-être l’objet d’autres billets) : je n’écris simplement pour vous partager la beauté du latin. Car la traduction me fait redécouvrir des étymologies, qui pourraient sembler évidentes ou banales, mais qu’il est un plaisir de suivre, de dérouler − comme on déroule une pelote de laine. Je vais donc vous présenter 2 exemples qui m’ont particulièrement amusé/touché.
Exemple 1 : le futuuur !
C’est un exemple tout bête, mais ça vous donnera une bonne idée de ma démarche : vous verrez si cette dernière vous intéresse et, si ce n’est pas le cas, je vous donne le droit de scroller jusqu’au bas de la page et laisser un commentaire enthousiaste. Bref.
Une petite particularité de la conjugaison latine 1 est qu’elle comporte non seulement un participe passé (« mangé »), présent (« mangeant »), mais aussi un participe futur : ce participe indique une chose qui est à venir, mais toute prête d’arriver. Par exemple, « morituri te salutant » : « ceux dont la mort est imminente te saluent » ; ou encore « venturus est cum gloria » signifie « il est sur le point de venir dans la gloire ».
Vous aurez remarqué que les participes futurs finissent par la terminaison -urus : comme dans le mot « futur » (« fut-ur »), qui dérive du latin « futurus » (« fut-urus »).
En fait, « futurus » n’est d’autre que le participe futur du verbe être (« esse »). On l’a généralement utilisé pour dire « les choses à venir » (« futura res »), puis on l’a utilisé peu à peu en oubliant le mot « choses » (donc : « futura »). Puis le français a donné « futur », le mot que nous connaissons initialement.
Ainsi, ce qu’il faut retenir (le paragraphe précédent n’étant qu’une hypothèse étiologique), c’est que le mot « futur » vient du participe futur « futurus » et que son sens, initialement « ce qui vient de manière imminente », est devenu plus vague, puisqu’il a perdu son caractère pressant.
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Ça ne lui est pas propre, mais c’est notable chez elle. ↩
Exemple 2 : la négociation
Cette fois-ci, mot beaucoup plus mastoc : la négociation. Quoiqu’il doive évoquer chez vous les parlementations lors des prises d’otage ou les stratégies pittoresques de quelque marchand de tapis, ce mot évoque beaucoup de choses dans l’univers latin.
M’enfin, comme dirait l’autre : reprenons depuis le début.
Ce qui a donné le mot « négociation », c’est avant le mot latin « otium », qui signifie tout à la fois « oisiveté », « loisir » et « paix » – bref, l’âge d’or 1, quand l’homme n’en foutait pas une, mais que tout lui tombait tout cuit dans le bec. Le problème, c’est qu’on est plus à l’âge d’or, et qu’il faut bien se nourrir (en travaillant) : c’est ce qu’on appelle le « non-loisir », c’est-à-dire le « nec-otium », devenu « negotium ».
Ça commence déjà à ressembler à notre mot français \o/ ! Cependant, le « negotium », dans son sens originellement, est ce qui nous occupe quand on ne fait pas rien, c’est-à-dire le travail en général (pas de dimension commerciale particulière, par exemple). En somme, la vie d’un romain se divise en deux phases très claires : l’« otium » et le « negotium ». Il est d’ailleurs mal vu de passer tout son temps à l’« otium », comportement associé à la fainéantise.
Mais reprenons : peu à peu, le sens de « negotium » a dérivé, pour être carrément associé au commerce dans le mot français « négoce ».
Enfin (ce n’est qu’une hypothèse pour le coup), le « négoce » impliquant des parlementations, des offres et des refus, le mot « négociation » a pu être associer à des marchandages, de quelque nature qu’ils soient.
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J’ai déjà parlé du mythe des âges dans mon dernier article, et vous allez encore beaucoup en entendre parler… 8D ↩
Bref, ce sont de simples exemples (peut-être que ça ne dira rien à personne) mais je préfère le partager plutôt que de ne rien dire du tout. D’autant que c’était une bonne occasion de troller le billet de ce bon vieux Rockaround.
Par contre, ce doit être bourré de fautes, donc s’il y a des âmes charitables qui veulent bien me signaler les erreurs, je prends : je ferai des errata (encore du latin :3 !)