Salut Gabbro ! Pour cette première interview post-ZEP-12, nous accueillons un oiseau qui va nous parler de lui, tout simplement.
- Parle-nous un peu de toi. Qui es-tu, que fais-tu ?
- Comment t’est venue cette passion pour les sciences ?
- En quoi consiste ton boulot ?
- Qu’est-ce qui te plaît le plus (et le moins) dans ton travail ?
- Penses-tu que la recherche devrait avoir une plus grande place dans la société ?
- Un conseil à donner à ceux qui voudraient faire ce travail ?
- Tu ne nous parles que de sciences « dures ». Et le cunéiforme, dans tout ça ?
- Si je passais dire bonjour, je trouverais quoi sur ton bureau ?
- Le mot de la fin ?
Parle-nous un peu de toi. Qui es-tu, que fais-tu ?
Bonjour.
Je m’appelle Étienne « Gabbro », et je suis un jeunot français de 23 ans. Actuellement, je fais principalement des sciences (physique, mécanique, informatique1) sur mon temps de travail et 1001 choses sur mon temps libre. En bref, de la programmation (dont des jeux vidéo, c’est pour ça que j’ai commencé la programmation à la base, même si je n’ai jamais abouti à quoi que ce soit de potable), des sciences au sens le plus large possible (ce matin, c’était l’écriture cunéiforme), des AMHE (arts martiaux historiques européens) — Mens sana in corpore sano et tout ça — ou de la cuisine. Un jour, je ferai de l'animation vectorielle et de l’archéologie des civilisations antiques.
Si je n’ai pas trouvé autre chose entre temps.
-
Je viens de mettre l’informatique dans la catégorie des sciences, ce qui risque de provoquer un débat houleux.
↩
Comment t’est venue cette passion pour les sciences ?
Comme beaucoup d’enfants, j’avais la tête dans les étoiles1. Regardez par la fenêtre. Voyez-vous ces nuages biscornus, qui ne forment rien, et donc laissent totalement place à votre imagination ? Je trouve ça beau. Cet émerveillement pour le monde continue de me guider. Bien évidemment, quand j’écris ces lignes, le ciel est bleu, totalement, et il n’y a aucun nuage. Mais vous voyez ce que je veux dire.
Ajoutez un besoin quasi-maladif de comprendre le monde et une grosse curiosité, cela ne pouvait que mal tourner, et je suis effectivement devenu scientifique.
Bon, plus prosaïquement, c’est pas nouveau. Je regardais déjà des émissions scientifiques quand j’étais petit (C’est pas sorcier, Il était une fois la vie…), et j’étais fasciné par l’astronomie. Qui ne l’est pas ? Beaucoup plus récemment, ce sont les questions de transitions de phases qui m’ont poussé vers la physique en particulier. Le fait que l’eau et la glace, un tas de billes de verre et une vitre se comportent complètement différemment alors qu’ils sont incroyablement similaires me fascine. Même si je suis parti très récemment en mécanique, je travaille maintenant sur l’influence de la micro-structure des matériaux. Tout un programme !
Bref, j’aime chercher ce qui est commun à ce qui semble dissemblable. Apprendre et comprendre. C’est pas beau dit comme ça ?
-
C’est plus ou moins resté, puisque je suis toujours dans la lune.
↩
En quoi consiste ton boulot ?
Je suis (depuis 3 mois) doctorant. Je suis donc un enseignant-chercheur peu payé mais complètement déchargé de toute question administrative (recherche de financement, notamment), sitôt octobre passé1. Mon boulot consiste à repousser les limites de la connaissance humaine ! En pratique, ça ne bouge pas tant que ça, mais on fait ce qu’on peut.
Présentement, je travaille sur les panneaux de silice pour l’isolation (panneaux isolants sous vides). Ces trucs sont très isolants, mais aussi très cassants, ce qui les rend assez complexes à fabriquer et poser. Je tente donc de les modéliser numériquement, puis je vais les tester mécaniquement par simulation. L’idée étant de réussir à la fin à les bidouiller pour les rendre plus solides, afin de pouvoir utiliser des variantes de silice moins chères et moins énergivores, mais encore plus fragiles mécaniquement.
Difficile d’en dire beaucoup plus pour l’instant, car je ne suis pas encore allé très loin. De manière assez amusante, cette thèse n’est pas vraiment dans le prolongement direct de mes études, puisqu’elles étaient exclusivement en physique (et mathématiques auparavant), principalement physique statistique, simulation et modélisation, et que je fais actuellement de la mécanique (mais quand même des simulations et de la thermique). Comme quoi, pour ceux qui en doutent, même à haut niveau, des études n’enferment pas dans un domaine restreint (à condition d’avoir un minimum préparé son coup2).
Je réalise que je parle de simulations numériques sans avoir dit précisément ce que c’est. Précisons donc. Je fais en effet la distinction entre programmation, modélisation et simulation (contrairement à pas mal de monde).
À la base, il y a le monde, le vrai, celui dans lequel on vit. On fait un paquet d’expériences et nos amis expérimentateurs nous disent alors que si on fait un certain truc à un certain objet, alors il se comportera d’une certaine manière.
À côté, il y a le modèle. L’idée est de simplifier le problème pour en sortir les éléments pertinents. Des billes de verre et d’acier se comportent pareil ? Leur nature chimique ne doit pas être importante. On déroule (mathématiquement) le modèle et on obtient des lois, que l’on compare avec l’expérience. Ça se fait donc très bien sur papier.
Parfois, le modèle n’est pas soluble mathématiquement (ou alors avec des hypothèses trop simplistes, non réalistes). Dans ce cas, on cherche à le résoudre numériquement. On procède alors à une simulation (qui est donc une expérience numérique, ici), et on compare les résultats des simulations à ceux des expériences. L’un des avantages de la simulation, c’est qu’il est très facile et très peu coûteux de modifier un paramètre. C’est donc un bon moyen de tester une large gamme de paramètres, quitte à vérifier ensuite avec un nombre restreint d’expériences si le modèle reste juste pour les paramètres choisis.
La programmation, dans ce contexte, est la transcription du modèle en simulation en utilisant l’outil informatique. Parce que pour faire plein de calculs, c’est quand même pratique, les ordinateurs.
C’est très résumé, mais l’idée est là.
-
On ne va pas parler des inscriptions. J’ignorais qu’on pouvait demander autant de documents différents, mais aussi demander autant de fois le même document.
↩ -
J’avais fait un peu de maths, mécanique et biologie en parallèle, dans mon cursus, histoire de ne pas devenir mono-thématique. Et de la programmation bien sûr.
↩
Qu’est-ce qui te plaît le plus (et le moins) dans ton travail ?
Le plus, c’est sûrement le fait de passer la journée à réfléchir. Pourquoi faire ci, comment faire ça… En plus, j’ai la chance de pouvoir prendre mon temps pour cela (ma deadline, elle est dans 3 ans ), ce qui est un luxe rare de nos jours. Rajoutez à tout ça une grosse indépendance, mais un travail en coopération (avec mes directeurs de thèse, mais aussi beaucoup avec les autres doctorants), on obtient un boulot intéressant et enrichissant.
Le moins, c’est clairement la bibliographie. C’est autant nécessaire que lourd. Et c’est indispensable. D’autant plus que seule une petite partie des articles me sera vraiment utile, mais je ne peux pas le savoir avant de l’avoir lue. C’est la contrepartie naturelle au fait d’avancer dans l’inconnu : il faut souvent faire demi-tour.
L’autre truc, qui ne me dérange pas personnellement, c’est le revers de l’indépendance. Il n’y a personne pour nous guider. Les directeurs de thèse peuvent dire si on se plante complètement de direction, mais personne ne connaît la direction de la bonne voie. Quand j’arrive le matin, on ne me dit pas « maintenant, tu vas travailler là-dessus ». Il faut savoir être autonome.
Penses-tu que la recherche devrait avoir une plus grande place dans la société ?
N’aimant à l’évidence pas du tout répondre aux questions que l’on me pose , je dirai :
- la science devrait trouver une place plus juste dans la société ;
- la recherche devrait être mieux comprise par la société. Et réciproquement.
Si je vous dis culture générale, que me répondrez-vous ? Molière, Truffaut, Picasso ? Quelque chose comme ça, j’imagine. On estime qu’il est possible d’être cultivé sans savoir que tout objet chute à la même vitesse quelle que soit sa masse. Quand je parle de physique quantique, les gens me répondent souvent :
Ah oui, le chat zombi, là ! À la fois mort et vivant !
Ça ne vous choque pas ? Je vous fais un équivalent littéraire :
Corneille ? Ah oui, orage, Aude et espoir !
De manière générale, on gagnerait à considérer que comprendre est important, et ne pas se gargariser de ne pas comprendre.
Vous remarquerez que j’ai écris « plus juste » et non « plus grande ». On1 considère aussi les sciences comme implacablement vraies, donc incontestables, et veut les coller partout. Ou au contraire on nie tout, avec des arguments qui ne font que montrer son ignorance. Bref, il faudrait prendre la science pour ce qu’elle est : une description humaine du monde, valide dans la mesure de nos connaissances, un procédé, une manière de faire et de comprendre. Ni une vérité absolue, ni un moyen de sélection2. Et en aucun cas quelque chose d’accessoire pour un contemporain.
Concernant la recherche… C’est quelque chose de lent et d’indéterminé. Si vous voulez être certain d’avoir des résultats, ce seront de petits résultats, et on sera plus probablement dans le développement que dans la recherche (or les deux sont nécessaires). Et quoiqu’il arrive, vous n’aurez rien d’exceptionnel demain. Le chercheur ne révolutionne pas le monde une fois par an, mais l’ensemble des chercheurs le fait une fois par siècle, et c’est déjà énorme3.
Ne reste que la réciproque. La vulgarisation scientifique, même dans son sens le plus noble, est trop souvent dédaignée par la communauté scientifique. Il faut aller vers les gens, et expliquer ce que l’on fait. Aujourd’hui, on ne peut pas se permettre de ne pas communiquer, et ça, ça signifie autant dire des choses qu’écouter ce qu’autrui a à nous dire.
Tout en étant juste. Ce que beaucoup de journalistes scientifiques oublient.
Un conseil à donner à ceux qui voudraient faire ce travail ?
Ne vous contentez pas de ce qu’on vous donne ! Lisez, cherchez, discutez… Non seulement directement dans votre domaine, mais aussi à côté. Vous avez plein de manières d’apprendre en plus de l’école, n’hésitez pas. Vous trouverez des choses ici même, et si ça ne vous suffit pas1, on vous propose des blogs informatiques ou scientifiques
Et j’ajouterai, soyez passionné. De toute façon, je connais peu de gens qui souhaitent faire un doctorat en n’étant pas passionnés.
Je donnerai d’ailleurs ces conseils à toute personne, quoiqu’elle veuille faire.
Pour les doctorants spécifiquement, commencez à chercher des financements assez tôt, prenez le temps de jauger le labo d’accueil, faites marcher vos réseaux (ce qui inclut vos profs) et restez motivés : on voit arriver des gens en doctorat assez tard dans l’année (il y a encore des entrées en janvier).
-
Et j’espère bien que vous êtes insatiables.
↩
Tu ne nous parles que de sciences « dures ». Et le cunéiforme, dans tout ça ?
Le cunéiforme ? Pas grand chose en vérité. Mais soit, quittons les sciences dures.
J’ai quelques vieilles amours en histoire et lettres que j’ai longtemps laissé de côté. Principalement du côté de l’Antiquité (histoire, textes1, mythologie…). Mais soyons honnête, mes connaissances (et le temps que j’y consacre) restent très limitées.
Disons que j’apprécie de voir autre chose, d’autres manières de penser. Je suis encore jeune, il me reste plein de temps pour apprendre.
-
Je ne saurais trop vous recommander de lire des livres comme Les métamorphoses d’Ovide ou l’Énéide de Virgile ; ils le valent amplement. Et je serais ravi d’avoir vos conseils de lecture.
↩
Si je passais dire bonjour, je trouverais quoi sur ton bureau ?
Pas grand chose, je le range, mon bureau !
Des stylos de toutes les couleurs (au moins un vert, un noir, un bleu et un crayon à papier, sinon je ne peux pas travailler ), des cahiers (un de brouillon, un à peu près propre), quelques bouquins, manuels et articles imprimés et une bouteille d’eau. Et un nécessaire de vélo (casque, gants, bonnet et bande réfléchissante).
Bien sûr, un PC, pour la lecture d’articles, les mini-programmes, les dessins trop compliqués à faire à la main, la rédaction, et les simulations, bien entendu…
Pas de plante, le bureau est malheureusement trop sombre.
Le mot de la fin ?
Soyez curieux !
Un très grand merci à Gabbro pour avoir joué le jeu en se prêtant à cette interview et à Dominus Carnufex pour sa relecture attentive et sa disponibilité. Maintenant, place à vos commentaires !