Imaginons une situation : vous êtes sur Mars avec un autre astronaute que vous n’aimez plus parce qu’il a pris votre couchette la nuit précédente et, dans un excès de colère, vous commettez l’irréparable !
Si ce scénario est à ce jour de la fiction, il est inéluctable que cela finira par arriver au regard de la propension des humains à la violence. Quelqu’un va commettre un meurtre dans l’espace, sur une autre planète ou une autre lune et, lorsque cela se produira, les autorités devront trouver le moyen d’attraper l’auteur et lui appliquer un loi pénale.
Ainsi, la question de la juridiction pénale dans l’espace est particulièrement intéressante en raison de l’augmentation de l’activité humaine. Le tourisme spatial, les intérêts privés et, à l’avenir, l’établissement de colonies humaines sont d’autant de situations nouvelles — entre États, entreprises et individus — qui soulèvent déjà des interrogations aujourd’hui !
- Une histoire de souveraineté ?
- Le parallèle avec la présence humaine en Antarctique
- Qui est compétent en cas de crime dans l'espace ?
Une histoire de souveraineté ?
L’espace — comme la haute mer, soit la partie de la mer située en dehors des zones de souveraineté et des zones économiques exclusives des États côtiers — est considéré comme res communis et res nullius : il appartient à tout le monde et à personne. En ce sens, il n’est pas le territoire d’un seul État.
Il existe actuellement 5 traités internationaux clés (fichier .pdf) régissant l’espace :
- le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes ;
- l’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique ;
- la Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux ;
- la Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique ;
- et l’Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes.
Il existe également d’autres sources de droit, comme l'Accord intergouvernemental relatif à la station spatiale internationale (IGA) qui, bien que n’étant pas un traité général en tant que tel, constitue néanmoins une source de droit pénal applicable à l’ISS.
La Convention sur la responsabilité a un rapport indirect avec la question de la compétence, car elle prévoit des procédures de règlement des demandes de dommages et intérêts, et la Convention sur l’immatriculation crée, quant à elle, une obligation d’immatriculer les objets spatiaux, ce qui aura une incidence sur la question de la compétence à l’égard d’un objet.
Attardons-nous un instant sur le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Entré en vigueur le 10 octobre 1967, c’est ce traité qui pose les fondements juridiques de l’exploration de l’espace.
Signé par plus d’une centaine d’États, ce traité a énoncé 5 principes qui sont, en substance, une invitation à la coopération et à la bonne conduite : l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique doivent être libres, dans l’intérêt de tous les pays, et ne doivent pas faire l’objet d’une revendication de souveraineté, et la lune et les autres corps célestes ne doivent être utilisés qu’à des fins pacifiques. Il est interdit aux États de placer des armes de destruction massive en orbite ou dans l’espace et la militarisation des corps célestes est interdite. Les États sont responsables des activités spatiales nationales et sont redevables des dommages causés par leurs objets spatiaux.
Loin de régir toutes les situations imaginables, ce traité fait plutôt office de « constitution » énonçant les principes de base qui régissent l’activité humaine dans l’espace. C’est ainsi qu’au fil du temps, le « droit de l’espace » s’est formé et développé pour répondre à des besoins spécifiques tels que la gestion des débris spatiaux, les télécommunications et de nombreuses dispositions du droit international applicable sur Terre — comme le droit de l’environnement — et ainsi que de multiples dispositions nationales s’intéressent au domaine spatial.
D’où la question suivante : dans quelles conditions les État(s) pourraient-ils appliquer leurs dispositions pénales dans l’espace ?
Le parallèle avec la présence humaine en Antarctique
Lorsqu’ils s’intéressent aux implications juridiques de la criminalité dans l’espace, certains chercheurs tournent le regard vers l’Antarctique où un nombre étonnant de crimes ont déjà eu lieu, notamment une tentative de meurtre dans une base russe (ainsi qu’un meurtre — selon le récit de Peter Suedfeld — à la hache, dans les années 1960, dans la station russe Vostok).
En mai 2000, Rodney Marks, un astrophysicien qui passait l’hiver au pôle Sud, est mort subitement après une maladie aigüe. Aucun vol ne pouvant atterrir pendant l’hiver glacial, le corps de Marks a dû être conservé pendant des mois, jusqu’à la fin octobre, puis autopsié en Nouvelle-Zélande. Cette mort mystérieuse a déclenché un incident international.
Marks était un Australien travaillant sur une base américaine (la station Amundsen-Scott) et l’enquête sur sa mort était menée en Nouvelle-Zélande. Il a été déterminé que le Dr. Marks avait été empoisonné au méthanol, et l’une des théories émises était le meurtre.
Selon le traité de l’Antarctique de 1961, qui est très similaire au traité sur l’espace extra-atmosphérique en ce qui concerne ses objectifs, le continent n’appartient à aucune nation1, ce qui rend le traitement d’affaires pénales très compliqué.
En cas de différend entre nations concernant des actes impliquant des personnes de nationalités différentes, l’article 8 comprend une disposition vague : « les parties contractantes concernées par tout différend relatif à l’exercice de la juridiction en Antarctique se consultent immédiatement en vue de parvenir à une solution mutuellement acceptable ». Outre ces dispositions, le Traité sur l’Antarctique ne fait aucune mention de la juridiction pénale sur le personnel en Antarctique. Par conséquent, il ne fournit aucune indication sur la manière dont les nations doivent parvenir à des « solutions mutuellement acceptables »…
Les États-Unis souhaitaient établir leur compétence parce que le Dr. Marks était un contractant américain et qu’il est décédé dans une base gérée par les États-Unis. L’intérêt de la Nouvelle-Zélande à enquêter découlait du fait que le décès s’était produit dans sa zone de revendication territoriale.
S’il y avait eu un suspect, sa nationalité aurait probablement été déterminante pour savoir quelle nation avait compétence sur l’acte criminel. Cependant, ce vide juridictionnel a conduit les États-Unis et la Nouvelle-Zélande à tenter d’établir leur propre compétence sur l’incident et ce, bien que la seule partie impliquée connue soit australienne. D’aucuns soulèvent que la justice australienne aurait fait jouer sa compétence passive (nous verrons cette notion dans un instant) s’il y avait eu un suspect et ce, à l’appui de sa compétence au titre de l’article 8(1) du Traité2.
- Si 7 États (l’Argentine, l’Australie, la Grande-Bretagne, le Chili, la France, la Nouvelle-Zélande et la Norvège) revendiquent des droits territoriaux et que les États exercent leur souveraineté sur leurs propres stations de recherche, aucune de ces revendications n’est officiellement reconnue par le traité sur l’Antarctique.↩
- Voyez l' art. 8(1) du Traité sur l’Antarctique : « Afin de faciliter l’exercice des fonctions qui leur sont dévolues par le présent Traité et sans préjudice des positions respectives prises par les Parties Contractantes en ce qui concerne la juridiction sur toutes les autres personnes dans l’Antarctique, les observateurs désignés conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article VII et le personnel scientifique faisant l’objet d’un échange aux termes de l’alinéa I b) de l’article III du Traité ainsi que les personnes qui leur sont attachées et qui les accompagnent, n’auront à répondre que devant la juridiction de la Partie Contractante dont ils sont ressortissants, en ce qui concerne tous actes ou omissions durant le séjour qu’ils effectueront dans l’Antarctique pour y remplir leurs fonctions. ».↩
Qui est compétent en cas de crime dans l'espace ?
Vous l’aurez compris, le fait qu’aucun État ne puisse exercer son autorité en Antarctique, sur la Lune ou Mars… ouvre la porte à des problématiques juridiques, mais ne veut pas dire que le continent blanc ou l’espace extra-atmosphérique sont exempts de lois nationales !
Le droit international permet aux pays d’affirmer leur juridiction en dehors de leur territoire de plusieurs façons, notamment par le biais du principe de nationalité, qui couvre les crimes commis par les citoyens d’un pays en dehors de ses frontières, et du principe d’universalité, qui permet aux pays de poursuivre quiconque pour des crimes graves.
Le droit de la compétence pénale extraterritoriale
En vertu du droit international coutumier, les États sont habilités à exercer leur compétence sur trois bases principales : la territorialité, la nationalité et l’universalité. Il n’existe pas de hiérarchie claire en matière de compétence en droit international, ce qui peut entraîner des tensions entre les États.
En bref, le principe de territorialité peut être invoqué lorsqu’un comportement a lieu à l’intérieur des frontières d’une nation (territorialité subjective), ou lorsque les effets du comportement sont ressentis à l’intérieur des frontières (territorialité objective). Un exemple de compétence territoriale objective peut être vu dans un meurtre hypothétique à la frontière entre l’État A et l’État B. Une arme à feu est tirée à travers la frontière de l’État A vers l’État B, où elle cause des blessures et la mort. Bien que l’auteur ait fait usage de l’arme dans l’État A, la blessure causée par la balle a eu lieu dans l’État B.
Le principe de nationalité peut fournir à un État des motifs de compétence lorsqu’une victime (nationalité passive) ou un auteur (nationalité active) est un ressortissant de cet État. Un exemple courant d’affirmation de la compétence en matière de nationalité active peut être observé en ce qui concerne des infractions comme le terrorisme lorsque l’auteur de l’acte est un citoyen de cet État. Un exemple de compétence en matière de nationalité passive est celui de l’État A qui légifère sur l’infraction consistant à porter atteinte, par imprudence ou intentionnellement, à l’un de ses citoyens partout dans le monde.
Le principe d’universalité est réservé aux comportements reconnus comme des crimes en droit international, tels que la piraterie, le génocide et les crimes contre l’humanité. Contrairement à d’autres motifs de compétence extraterritoriale, qui exigent un certain lien avec l’État régulateur (comme la nationalité), ce principe permet à chaque État de poursuivre certains crimes internationaux.
Le droit international reconnaît également un principe de protection de la compétence, selon lequel un État peut affirmer sa compétence à l’égard d’un comportement étranger qui menace la sécurité nationale.
Que dit le droit de l’espace en matière d’extraterritorialité ?
L’article 8 du Traité sur l’espace extra-atmosphérique dispose qu’« un État partie au traité sur le registre duquel se trouve un objet lancé dans l’espace extra-atmosphérique conserve sa juridiction et son contrôle sur cet objet, ainsi que sur tout membre de son personnel ». La référence à la notion de « personnel » semble impliquer qu’un État aurait juridiction sur tout personnel à bord du véhicule spatial, quelle que soit la nationalité de cette personne.
Ainsi, quant à la question de savoir qui poursuit les crimes spatiaux, la réponse courte est qu’un criminel de l’espace serait généralement soumis à la loi du pays de nationalité, ou du pays à bord duquel le véhicule spatial enregistré a été commis, car le traité accorde à ce pays l’autorité sur tout son « personnel ».
Vous me voyez venir… Le terme « personnel » n’est pas défini, ce qui soulève des questions quant à la situation de citoyens privés. Par exemple, un touriste spatial français volant à bord d’un engin spatial immatriculé aux États-Unis.
Comme indiqué précédemment, l’IGA contient des dispositions expresses sur la compétence en matière de criminalité à bord de l’ISS. Ces dispositions ne s’appliquent qu’à bord et ne sont contraignantes que pour les États partenaires. L’article 22(1) précise ainsi :
Le Canada, les États partenaires européens, le Japon, la Russie et les États-Unis peuvent exercer leur compétence pénale à l’égard du personnel se trouvant dans ou sur tout élément de vol et qui sont leurs ressortissants respectifs.
Il s’agit de la compétence active en matière de nationalité.
Si la victime d’un crime commis à bord de l’ISS était un citoyen — français, dans notre exemple — d’un autre pays partenaire, et si les États-Unis ne donnaient pas l’assurance qu’ils poursuivraient l’auteur du crime, le droit pénal français s’appliquerait.
Ceci est prévu par le deuxième paragraphe de l’article 22 qui prévoit une compétence passive en matière de nationalité, mais uniquement lorsque l’État partenaire dont l’auteur de l’infraction est un ressortissant soit "consent" à cet exercice, soit ne donne pas l’assurance qu’il poursuivra l’auteur de l’infraction.
Il est également possible que si le crime a eu lieu dans la section de la station spatiale d’un pays partenaire, le droit pénal de ce dernier puisse s’appliquer.
Quid si un crime se produit sur (un vol vers) la Lune ou Mars ?
Mais, pour les vols spatiaux qui ne se déroulent pas à destination de l’ISS, les choses sont moins claires. En effet, la disposition ci-dessus ne pourrait s’appliquer. Un touriste en vol vers Mars n’aurait aucun intérêt à monter à bord de l’ISS, et cet accord ne s’appliquerait donc pas.
L’article 3 du traité sur l’espace extra-atmosphérique prévoit toutefois que l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique doivent être « conformes au droit international ». Les principes de la juridiction extraterritoriale étant reconnus en droit international, ces principes peuvent également s’appliquer dans l’espace. Dès lors, il est fort probable que le droit pénal du pays d’immatriculation du véhicule spatial (article 8) s’applique, mais on peut envisager des complications si les États de nationalité des passagers tentent également de revendiquer leur compétence (article 3).
Ainsi, les crimes commis durant le trajet vers — ou sur — la Lune ou Mars, en particulier les incidents impliquant des ressortissants de différents pays, donneraient probablement lieu à des négociations diplomatiques…
Bien sûr, dire qu’un État est responsable de la poursuite d’un crime commis par l’un de ses citoyens est une chose, mettre en exécution ce pouvoir de poursuite en est une autre. L’on peut aisément imaginer qu’un(e) astronaute sur l’ISS n’est pas en mesure de fuir et sera arrêté(e) à son retour sur Terre. Mais quid d’une colonie sur Mars, par exemple ? Serait-il nécessaire d’envoyer des policiers, d’y installer l’infrastructure nécessaire au procès, etc. ?
Et par ailleurs, recueillir des preuves sur Mars pourrait être particulièrement difficile, les traces ADN par exemple se dégraderaient différemment sur Mars que sur Terre, en raison de l’exposition accrue aux rayonnements solaires due à l’atmosphère plus fine de la planète rouge…
Au fur et à mesure de la colonisation spatiale, de nouvelles questions et problématiques politiques, juridiques, voire éthiques vont se poser. Si nous versons ici bien plus dans la science-fiction, celle-ci permet déjà à des juristes de s’interroger, de se projeter sur l’évolution du droit de l’espace et d’identifier les problématiques nouvelles.
Illustration : Midjourney (sous licence publique CC BY NC 4.0 International)