Le CdS actuel traite des arbres : un sujet qui paraît très anodin, n'est-ce pas ? Pourtant, si l'on y prête un peu attention, l'arbre tient une place de choix dans de nombreuses civilisations. Par exemple, si je vous demande un symbole du Canada, vous ne m'indiquerez pas le castor canadensis ou le cheval canadien, mais bien l'érable. Vous devez aussi connaître l'importance du Sakura au Japon – une fête lui est dédiée. Pareillement, l'arbre est prédominant au niveau cultuel : il est non seulement adoré en tant qu'idôle (arbre votif), mais il tient aussi un rôle important dans les grandes religions. Dans le judéo-christianisme, l’Éden est un jardin rempli d'arbres ; la vie de Bouddha a été jalonnée par des arbres ; etc.
Bref, vous l'aurez compris, l'arbre joue de nombreux rôles dans différentes cultures et sa symbolique est si riche qu'elle mérite d'être étudiée. L'article qui suit va donc tenter de lister et d'expliquer les rôles joués par l'arbre dans diverses civilisations. Il s'agit d'un article initiatique, qui sera donc accessible à tous.
Vous êtes prêt(e)s ? C'est parti !
- L'arbre compris comme arbre-monde
- Hiver et printemps, mort et résurrection
- Déesses sylvestres : quand le mot arbre se décline au féminin
- Symbolique propre de quelques arbres
- Pour finir
- Quelques pistes pour creuser le sujet
- Remerciements
L'arbre compris comme arbre-monde
L'un des rôles les plus fréquents est sans aucun doute celui d'arbre-monde (ou arbre du monde), c'est-à-dire d'arbre géant qui relie les diverses parties de l'univers.
L'exemple d'arbre-monde le plus connu est sans conteste Yggdrasil, dans la mythologie nordique : il s'agit d'un arbre colossal 1 qui relie les neuf mondes existants. L'arbre en question est habité par de nombreuses créatures, notamment par un serpent maléfique, Níðhöggr, qui le ronge peu à peu, et par un aigle, Hræsvelgr, qui lutte contre Níðhöggr. L'arbre-monde résume le monde et rend tangibles toutes les tensions, toutes les dualités : par exemple, le combat entre Hræsvelgr et Níðhöggr évoque le combat entre bien et mal. Mais Yggdrasil n'est pas le seul arbre-monde : dans l'univers inventé par Tolkien, les arbres de Valinor tiennent une place prépondérante dans la structuration du monde.
Par ailleurs, l'arbre est un élément hautement symbolique puisqu'il fait la jonction entre diverses parties du monde : il est présent sous terre avec ses racines, sur terre avec son tronc et dans le ciel avec son feuillage. Cela fait de lui un axis mundi par excellence, c'est-à-dire un objet connectant la Terre, le Ciel et le Monde Souterrain. On attribue à l'arbre un pouvoir de communication avec les divinités célestes ou souterraines : c'est pour cela par exemple que des oracles, comme à Dodone, révélaient leurs prophéties à côté d'un arbre 2 et que l'Éveil de Bouddha s'est produit sous un arbre, l'Éveil étant l'accès à la sagesse céleste.
On observe des considérations similaires dans le chamanisme asiatique (chez les Mongols, les Bouriates, les Toungouses, etc.), où l'arbre sert à communiquer avec les puissances célestes ou chthoniennes 3 . Plus largement, la notion d'arbre-monde se retrouve dans maintes traditions superstitieuses, notamment la Kabbale.
Le symbole de l'arbre-monde est présent dans de nombreuses civilisations, qui n'ont pourtant jamais été en contact : il est si fréquent de retrouver cet arbre-monde qu'il est considéré comme un archétype, c'est-à-dire comme un symbole primitif et universel faisant partie de l’inconscient collectif.
Le mythologue Mircea Eliade affirme que « jamais un arbre n'a été adoré rien que pour lui-même, mais toujours pour ce qui, à travers lui, se révélait […] » 4 : c'est particulièrement vrai dans le cas de l'arbre-monde, qui servait à mettre en contact les hommes et les dieux. Pourtant, il est d'autres rôles assumés par l'arbre qui font de lui un objet de vénération.
Hiver et printemps, mort et résurrection
Chaque année, les frondaisons des feuillus disparaissent inéluctablement et la végétation devient moins visible. Le parallèle entre hiver et mort date de la nuit des temps, de même que la comparaison entre printemps et renaissance. Dans de nombreuses civilisations, on retrouve des mythes narrant la mort puis la résurrection d'une divinité dont le nom varie selon les peuples : Attis, Zagreus, Dumuzi, Perséphone, Osiris, Xipe Totec, etc. ; la divinité en question est bien sûr la personnification de la végétation, et il s'agit encore d'un archétype.
Mais revenons à nos moutons : le retour du printemps après l'hiver évoque le triomphe de la vie sur la mort, ce qui fait de la végétation renaissante un symbole de victoire. C'est pour cela que la palme et les lauriers ont été les attributs de Niké 1 , déesse grecque de la Victoire. L'arbre, en tant que plante, est lui aussi associé à cette renaissance : il a donc une symbolique similaire.
Il faut ajouter à cela une propriété de l'arbre : celle de subsister en partie durant l'hiver. Alors que toutes les plantes herbacées meurent, le tronc de l'arbre et ses branches restent visibles : l'arbre ne meurt donc pas entièrement, ce qui est d'autant plus vrai pour les arbres sempervirents qui ne perdent pas leurs feuillages et gardent leur verdeur. Pour cette raison, l'arbre est aussi un symbole de résistance et de combat. En outre, la Croix de Lorraine, symbole de résistance et de lutte victorieuse, pourrait vraisemblablement être inspirée de l'arbre : c'est du moins ce que laissent penser plusieurs peintures rupestres 2.
Récapitulons : dans le cas de l'arbre-monde, l'arbre n'était considéré que comme un objet ; avec sa symbolique de victoire et de résistance, il est perçu comme un élément dynamique ; néanmoins, il peut aussi être lié à un être animé et sexué.
Déesses sylvestres : quand le mot arbre se décline au féminin
La mythologie peut quelquefois aller jusqu'à attribuer une identité et une conscience à des objets qui n'en ont pas : c'est le principe de l'animisme, croyance archaïque. Comme nous l'avons dit plus haut, plusieurs civilisations ont considéré que l'arbre était ou était lié à un être doué de certaines caractéristiques, notamment la conscience et la féminité.
Tout d'abord, les arbres fruitiers sont souvent considérés comme féminins, alors que les symboliques précédemment exposées présentaient plutôt l'arbre comme un élément asexué. Cela est explicable par l'archétype de la femme nourricière : en raison de cet archétype, la plupart des organismes qui produisent naturellement de la nourriture sont considérés comme féminin, et les arbres fruitiers ne dérogent pas à la règle. Par conséquent, de nombreuses divinités sont associées à la fois aux arbres et à la fécondité, notamment Pomone 1, Xochiquetzal, Taweret ou encore les Salabhanjikas 2.
Les déesses sylvestres les plus connues sont incontestablement les dryades. Divinités mineures, elles sont alternativement bonnes ou mauvaises, nourrissant les bergers ou poussant les voyageurs au bord des précipices. Par ailleurs, la mythologie gréco-romaine tardive a distingué deux groupes de nymphes sylvestres : les hamadryades, liées à un arbre précis, meurent lorsque ce dernier est abattu, tandis que les dryades peuvent survivre si la forêt qu'elles surveillent est rasée. Le lien entre ces divinités et les arbres donne lieu à de nombreux interdits : par exemple, les Romains consultaient des augures 3 avant de raser des forêts, sous peine d'être maudits et métamorphosés comme Dryope (voir image ci-dessus). Cette dernière, ayant arraché quelques fleurs à une plante interdite, avait été elle-même transformée en arbre, d’après Ovide 4 . Les contes de ce type ont été tellement pris au sérieux que certains bois étaient déclarés luci, c'est-à-dire interdits. On ne pouvait y chasser, ni y habiter, ni bien sûr couper des arbres.
Bref, chez les Grecs et les Romains, on ne rigole pas avec les dieux, même lorsqu'il s'agit de quelques relents d'archaîque animisme … Aujourd'hui encore, cet héritage n'a pas tout à fait été oublié : preuve en est l'évocation de dryades dans des récits fantastiques comme Narnia ; ce qui hier était vu comme une menace est aujourd'hui un moyen de faire rêver.
Finalement, toutes les symboliques exposées précédemment sont globales et traitent des arbres sans les différencier selon leurs espèces. Mais comme vous devez le savoir, certains arbres ont aussi une symbolique propre, due à leurs caractéristiques : c'est ce que nous allons étudier dans la partie suivante.
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Pomone vient du latin Pomum, qui signifie … fruit. Cela explique certaines locutions comme pomme de terre, pomme de pin, etc. ↩
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Ce ne sont pas des déesses à proprement parler, mais ces statues indiennes sont associées à la végétation et à la fertilité à la fois. ↩
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C'est-à-dire les prêtres interprétant les présages. ↩
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Les Métamorphoses, Publius Ovidius Naso, IX, 340-348. ↩
Symbolique propre de quelques arbres
La symbolique de l'amandier
Commençons par un arbre à la symbolique simple : l'amandier. Vers le mois de février, l'amandier fleurit précocement, dès que la température dépasse les seize degrés Celsius. Cette propriété en a fait un symbole de vigilance spirituelle dans toute la littérature biblique et rabbinique, au point même que Tou Bichvat, fête juive célébrant la végétation et la nature, coïncide approximativement avec l'éclosion des fleurs d’amandier. La symbolique de cet arbre est donc très forte pour le peuple juif et certaines chansons célèbrent cet arbre, comme Haskediya pora'hat (« L’amandier est en fleurs ») de Dushman et Ravina.
Par ailleurs, si elles sont un signe de renaissance, les fleurs de l'amandier éclosent de façon précoce : elles sont donc fragiles et exposées au gel tardif. L'amandier combine donc dans sa symbolique la (re)naissance vivace et la fragilité. Van Gogh a d'ailleurs peint, pour fêter la naissance de son neveu, un tableau intitulé Amandier en fleurs.
Autre aspect, qu'il faut mentionner pour avoir fait le tour du sujet, certains ont fait l'analogie entre le lait d'amande (i.e. un liquide réalisé à partir d'amandes pressées) et la semence humaine. Il en découle de très nombreux contes, tous semblables les uns aux autres : par exemple, une jeune fille qui s'endort sous un amandier en rêvant à son fiancé pourrait se réveiller enceinte, etc.
La symbolique de l'olivier
Passons à l'olivier, arbre avec une symbolique plus riche. Il s'agit d'un symbole phare de la culture méditerranéenne. Cet arbre peut être utilisé de nombreuses manières : ses olives sont confises ou pressées, son bois peut être utilisé pour la construction, le chauffage ou l'ébénisterie. Tout ce qui vient de l'olivier peut servir : même les grignons, déchets de l'extraction d'huile, sont employés pour nourrir le bétail ou pour le chauffage. Étant donné ses multiples produits, cet arbre a une symbolique vraiment très positive : il est symbole de richesse et d'abondance ; la dureté et la densité de son bois en font aussi un symbole de force – on disait que la massue d'Hercule était constituée de bois d'olivier.
L'olivier est aussi un symbole de longévité et de vitalité, en raison d'une caractéristique curieuse. En effet, il peut vivre pendant très longtemps, car il possède la capacité de surgeonner : cela signifie qu'il va rejeter un tissu cellulaire de même composition génétique (appelé souquet ou drageon) 1. Ce tissu va alors se développer et devenir un autre olivier, aux côtés de l'olivier initial qui va dépérir. Sachant qu'un seul olivier peut vivre plus d'un millénaire, ça fait une belle espérance de vie pour toute une lignée d'oliviers… Cette espérance de vie peut tout de même être grandement raccourcie par le froid ou les maladies.
Bref, comme il a été dit plus haut, l’olivier est tout simplement l'arbre par excellence dans la culture méditerranéenne, culture dont nous avons beaucoup hérité. On lui attribue donc souvent les symboliques générales exposées précédemment : victoire, paix après la lutte, etc. On le considère notamment comme l'arbre de la paix dans notre culture occidentale, mais cette symbolique peut être attribuée à d'autres arbres dans d'autres cultures (par exemple, le Pin blanc est l'arbre de la paix pour les Iroquois 2).
Voilà, il s'agissait de la symbolique de quelques arbres en particulier. Nous ne prétendons avoir fait une description exhaustive, ni même d'avoir choisi les exemples les plus pertinents : d'autres arbres ont certaines symboliques très particulières, notamment le cyprès, l'aubépine, le bouleau, le frêne, le chêne, etc.
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Attention, les souquets ne sont pas des clones. Ils ont beau avoir le même génotype, l'expression des gènes peut être différente. ↩
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« [La confédération iroquoise] avait pour symbole l'Arbre de la paix (le pin blanc) » (Les premières nations du Canada, Olive Patricia Dickason, Éditions du Septentrion, 2005, p. 69) ↩
Pour finir
Tout au long de cet article, j'aurai essayé de vous intéresser à un domaine assez méconnu et pourtant captivant : le domaine des mythologues et des symbologues. Nous avons vu que l'arbre pouvait avoir des symboliques variées, qu'elles soient générales ou spécifiques à une espèce.
Encore une fois, je n'estime pas avoir fait une liste exhaustive de tous les rôles attribués à l'arbre : j'aurai simplement tenté de rassembler ces rôles et de les expliquer. Si toutefois vous trouvez cet article incomplet, libre à vous de le dire dans les commentaires et de mener vos propres recherches. Jetez donc un coup d'oeil à la rubrique suivante, cela vous aidera à avancer.
Quelques pistes pour creuser le sujet
Vous voulez aller plus loin ? Ça n'est pas étonnant : les études de mythologie comparative sont tout simplement fascinantes . Pourtant, c'est un domaine très trouble où tous les types d'individus coexistent ; on peut donc croiser des gens qui, avec des éléments historiques, veulent étayer des thèses assez abracadabrantes, qu'elles soient religieuses ou anti-religieuses. Maintenant que cet avertissement est délivré, voici des références intéressantes.
Tout d'abord, certains écrits méritent d'être indiqués, même si je ne suis pas d'accord avec l'intégralité de leur contenu :
- Le Rameau d'or de James G. Frazer est un vieux et gros bouquin, mais il a été l'une des pierres fondatrices de l'étude comparative de mythologie. Rien qu'en lire des extraits peut être très enrichissant ;
- Mythologie des arbres de Jacques Brosse. Cet auteur a beaucoup écrit à propos des arbres, mais ce livre contient quasiment tout ce qu'il y a à savoir sur le sujet ;
- Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Robert Laffont, 1982 ;
- La symbolique des arbres de Pierre-Émile Rocray, opuscule de 1997. Disponible en PDF ;
- Symbolisme de l'arbre, Brigitte Boudon, Editions du Huitième jour, 2010.
Si vous lisez des langues étrangères :
- Forests: the shadow of civilization, Robert P. Harrison, 1992 ;
- The Forest in Folklore and Mythology, Alexander Porteous, 2002 ;
- Die Mythologie der Bäume, Lore Becker, 2002 ;
- Botschaft der Bäume, Gerda Gollwitzer , 1984.
En tout cas, si vous vous intéressez à ce domaine, désirez plus d'infos ou avez simplement apprécié cet article, postez un commentaire ou envoyez-moi un message.
Remerciements
- Merci à Dominus Carnufex, qui m'a donné de bons conseils pour la rédaction de cet article ;
- Un grand merci aux relecteurs de cet article (Vayel, adri1 et artragis ) et à son validateur ;
- Merci à Björn Lindberg pour l'icône de cet article ;
- Je crois que je ne remercierai jamais assez toute la communauté de Zeste de Savoir, en particulier les créateurs du site, pour ce site et pour l'idée des CdS.