Qu'est-ce qu'un nombre ?
Je ne sais pas vous, mais pour moi la notion de nombre est devenue totalement floue… Je suis arrivé en ayant une petite idée de ce que c’est, et je repars avec le cerveau tout embrouillé. Des nombres à quatre dimensions, mais où va-t-on ? Merci bien le tuto ! Finalement, qu’est-ce qu’un nombre ?
En tout cas, c’est une question qui fait partie de la grande histoire des maths :
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au début, un nombre servait à compter : d’ailleurs, au début, n’était pas un nombre (comment peut-on compter « rien » ?). Mais n’était pas considéré comme un nombre non plus, on ne compte que quand il commence à y avoir plusieurs objets.
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puis les fractions : ça allait encore, ils pouvaient servir à compter des morceaux d’objet….
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les nombres négatifs étaient bannis : comment une quantité pouvait-elle être négative ? On les appelait les nombres absurdes. Ils n’ont d’ailleurs été acceptés que bien après les nombres complexes.
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Puis les pythagoriciens découvrent la mesure de la diagonale du carré : , impossible à représenter par un « nombre » (rationnel). Catastrophe, puisque les pythagoriciens considéraient que tout était nombre ! C’est à partir de là que la géométrie serait devenue la reine des sciences, pour aboutir aux Eléments d’Euclide, car la géométrie permettait de représenter des choses que l’arithmétique échouait à faire.
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Les nombres sont ensuite revenus sur le devant de la scène, avec le développement de l’algèbre, pour des raisons bassement matérielles (commerce, développement du taux d’intérêt, amenant à résoudre des équations). Et les équations ont fait apparaître les nombres complexes… : l’ensemble . Rapidement acceptés en tant que nombres parce qu’ils étaient utiles, ils servaient à résoudre des équations. Et en plus, on leur a trouvé une représentation géométrique en 2D. Ils pouvaient du coup servir à représenter des rotations dans le plan.
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Du coup, pourquoi s’arrêter là ? Inventons des nombres qui permettent de faire des rotations dans l’espace, se dit Hamilton. C’est la naissance des quaternions, des « nombres » à 4 dimensions (3 ce n’était pas possible, pour quelques raisons obscures d’algèbre récalcitrante). C’est la naissance de l’ensemble (H comme hypercomplexes).
Mais scandale : la multiplication des quaternions n’est pas commutative. C’est ce que certains auteurs ont appelé la libération de l’algèbre. On se libère des lois algébriques qu’on croyait immuables (cette période s’accompagne d’ailleurs de la libération de la géométrie, avec les géométries non euclidiennes).
- Du coup, pourquoi s’arrêter là ? Libérons-nous des autres lois. Enlevons l’associativité (on obtiendra les octonions (ensemble ), puis les sédénions ()). Puis on inventera plein d’autres ensembles, qui se différencient par les lois et les opérations qui y sont acceptées…. On ne parle plus alors de nombre, mais d’éléments d’un ensemble structuré par des opérations algébriques : des structures algébriques.
La notion de nombre perd son statut central vu que les éléments de ces structures peuvent être n’importe quoi : des vecteurs, des fonctions, des polynômes, des rotations géométriques…
Du coup, qu’est devenue la notion de nombre en maths ? Finalement, un nombre n’a pas de définition formelle mathématique. Ce qui est un peu ironique car si on demande aux gens dans la rue « Qu’est-ce que les maths ? », la réponse la plus probable sera « la science des nombres » (définition qui a cessé d’être vraie dès Pythagore).
Peut-être qu’on peut au moins se raccrocher aux nombres entiers, qui ont l’air plus naturels.
Pourtant laissez-moi vous narrer une histoire que Roger Penrose raconte dans son livre A road to infinity :
Imaginez un monde où les êtres intelligents ne sont pas formés comme nous, mais forment une sorte de brouillard uniforme. Toutes les parties de ce brouillard sont des êtres vivants, ils communiquent entre eux, mais il n’y a pas d’individus, juste un tout inséparable. Eh bien, il n’y a aucune raison que la notion de nombre entier émerge chez les mathématiciens de cette espèce !
Finalement, les nombres entiers ne sont-ils pas qu’une construction mentale ayant émergé dans notre cerveau pour modéliser le monde tel que nous le percevons ?
De même pour l’addition : elle semble naturelle, elle émerge lorsque nous mélangeons des cailloux. Pourtant, elle s’applique (par récurrence) à une infinité de nombres. Il n’existera donc jamais assez de cailloux pour représenter toutes les additions…
Alors, d’où viennent les additions si elles ne viennent pas des cailloux ? Les nombres existent-ils ? Les maths existent-elles ? Les avons-nous découvertes, ou inventées ?
C’est un débat millénaire, et nous n’allons pas le résoudre ici… Je vous laisse cette vidéo qui présente différents points de vue :
J’aime particulièrement le point de vue des fictionalistes. Les maths seraient… une belle histoire, un peu comme nos contes et nos mythologies. Et tout comme les contes servent à émerveiller les enfants, et sont utiles à leur développement, les maths nous sont utiles à nous aussi… et peuvent nous émerveiller. Mais ne sont rien d’autre qu’une histoire, où les fées et les lutins sont remplacés par les exponentielles et les logarithmes…
Le monde mathématique ressemblerait-il à ça ?
La beauté des mathématiques
Titre un peu provocateur… Comment peut-on trouver les mathématiques belles ?
A la question d’un journaliste : « Qu’appelez-vous une belle équation ? », Dirac a répondu : « Si vous êtes mathématicien, vous savez ce que je veux dire. Si vous ne l’êtes pas, je ne peux pas vous l’expliquer ».
La réponse semble un peu élitiste, mais si vous réfléchissez, est-ce vraiment différent dans les autres domaines ? Pourriez-vous m’expliquer ce qu’est une belle musique ? Un beau tableau ?…
Alors, qu’est-ce qui peut rendre les mathématiques belles ? Elles ont l’air froides, austères, constituées de symboles incompréhensibles. Mais ne dirait-on pas la même chose d’une partition musicale ? Des symboles froids, austères, incompréhensibles…
La différence, c’est qu’on peut apprécier une belle musique sans forcément comprendre ces symboles. Et on n’a pas besoin d’être historien d’art pour apprécier un beau tableau. Ce qui n’est malheureusement pas le cas en maths. La beauté mathématique est cachée dans ses équations, ses démonstrations,… Alors certes, il existe des objets mathématiques visuels, comme les fractales ou le nombre d’or, qui révèlent un peu cette beauté, ce qui explique qu’ils sont très présents dans la vulgarisation mathématique. Mais ils restent à mon sens très superficiels, ils ne nous font pas pénétrer au coeur du mystère.
J’espère avec ce tuto vous avoir fait un peu découvrir cette beauté : d’un paysage froid et austère ont émergé des structures, des coups de génie, des nouvelles dimensions,… Un peu comme une série de mots qui, mis bout à bout, se mettent soudain à raconter une histoire.
Le début d'un long voyage
Nous avons rencontré des nombres, des opérations, des logarithmes, des équations… Nous avons vu le lien qui les reliait. Nous sommes allés au-delà de l’infini, nous avons voyagé dans la quatrième dimension…
Mais ce n’est que le début du voyage. Il reste encore plein de choses passionnantes à découvrir : les fonctions, les espaces vectoriels, la géométrie… et même les géométries.
Plus vous avancerez dans votre voyage, plus vous découvrirez de liens entre tous ces objets. Nous venons d’ailleurs ici même de voir le lien entre nombres et géométrie.
Je compare toujours les mathématiques à une randonnée en montagne : au début, on visite des paysages complètement différents : des prairies, des forêts, des lacs,… puis on commence l’ascension du versant. C’est dur, avec parfois des passages très escarpés (très théoriques), mais quand on se retourne, le paysage est sublimé, on le voit d’un tout autre point de vue. Et quand on arrive au sommet,…
Voilà tout ce que je vous souhaite : continuer le voyage, être curieux, continuer à apprendre, à découvrir…
Apprendre… A ne surtout pas confondre avec "étudier" : étudier, c’est chiant, c’est scolaire, c’est sanctionné par une note à la fin de l’année. Alors qu'apprendre, c’est s’ouvrir à de nouveaux horizons.
Malheureusement, peu de gens apprennent à faire la différence…
Et ce n’est pas moi qui le dit1
Je vous souhaite un bon voyage…
- C’est rare de croiser Nathalie Portman dans un cours de maths, alors profitez-en ↩