Apprendre un jeu de stratégie

Question : quel est le point commun entre les échecs, StarCraft, le jeu de go, Civilization, le shôgi , Age of Empires et le jeu de dames ?

Réponse : ce sont, avec bien d'autres, des jeux de stratégie, qui permettent tous d'affronter un autre joueur en un contre un.

D'accord, me dira le lecteur perspicace, mais c'est un peu vague, car le genre est large. C'est parfaitement exact, et ça nous mène au deuxième point commun entre tous ces jeux : si vous vous lancez dans des parties en un contre un à n'importe lequel de ces jeux sans un minimum de préparation, vous allez perdre, systématiquement. Et ce sera très frustrant.

Or, tous ces jeux partagent une autre caractéristique (la troisième donc), qui est celle-ci :

L'immense majorité des jeux de stratégie qui se jouent en un contre un ont le même système d'apprentissage, c'est-à-dire qu'on apprend à y jouer de la même manière.

Ceci ne signifie pas qu'apprendre un jeu suffit pour tous les connaître, mais que la procédure à suivre pour apprendre n'importe lequel de ces jeux est exactement la même, que ce jeu soit physique ou un jeu vidéo, qu'il soit au tour par tour ou en temps réel.

Et c'est cette procédure que nous allons voir maintenant. Êtes-vous prêts ?

Ce que vous allez apprendre, et surtout ce que vous n'allez pas apprendre

Ce que l’on peut apprendre d’un jeu de stratégie avec un tutoriel, et ce qui va nécessiter d’aller plus loin

Pour commencer, un point qui doit être très clair dans votre esprit, c’est que ce tuto va vous apprendre une méthode, et uniquement une méthode. Ce qui implique que c’est à vous de l’appliquer sur votre jeu préféré, et que sans un minimum de travail de votre part, vous ne gagnerez rien.

C’est la dure loi des jeux de stratégie : tous sont des jeux d’intelligence, et les jeux de stratégie en temps réel sont aussi des jeux de réflexes et de précision. Ce sont donc, par définition, des jeux difficiles. Surtout lorsqu’on affronte des joueurs à son niveau, puisque le jeu ne peut pas, par construction, vous faciliter la vie, comme on pourrait l’imaginer dans d’autres types de jeu (indices dans un jeu de rôles ou d’aventure, aide à la conduite dans un jeu de sport, etc.).

Ainsi donc, ce qui va faire que vous gagnez dans un jeu de stratégie1, c’est votre compétence et, dans le cas d’un jeu en temps réel, la qualité de votre exécution. Si vous n’avez pas de chance, les éléments extérieurs peuvent influencer, comme dans toute activité, mais c’est rare. Sauf dans le cas où vous jouez à un jeu bizarre qui repose lourdement sur le hasard, mais en général c’est signe d’un mauvais jeu de stratégie.

Vous comprenez donc que ce tutoriel ne vous apportera qu’une chose : une méthode pour améliorer votre compétence avec vitesse et efficacité. Néanmoins, cette amélioration reste à votre charge.

Illustration : plateau du jeu go — CC-BY 4.0 SpaceFox, d'après CC-BY 2.0 zizou man

Les grandes lignes de l’apprentissage d’un jeu de stratégie

La méthode que je vous propose comporte dix points, que l’on peut séparer en deux grandes catégories.

Ce qui est nécessaire pour s’amuser vraiment

Si vous avez essayé de jouer en un contre un à n’importe quel jeu de stratégie, vous avez sans doute connu cette sensation désagréable : vous perdez contre tous vos adversaires, souvent de manière humiliante, tandis qu’eux avancent dans la partie à une vitesse qui vous paraît surnaturelle.

La réalité est aussi simple que triste : en réalité, vous ne savez pas jouer. Contrairement à certains types de jeux qui permettent de s’amuser sans trop perdre très rapidement, les jeux de stratégie sont souvent difficiles à prendre en main et surtout à maîtriser. Donc, les premières fois que vous vous retrouvez face à un adversaire humain, vous ignorez à peu près tout des règles de survie de base, et vous perdez lamentablement.

C’est normal, et on peut souvent y remédier en suivant les quatre points suivants :

  1. Connaître et comprendre les règles
  2. Les temps de jeu : ouverture, milieu de partie, fin de jeu
  3. Le style de jeu : attaque et défense, jeu agressif et défensif
  4. Savoir perdre

Tous ces points seront détaillés dans leur partie consacrée. Une fois maîtrisés, ce qui n’est en général pas très compliqué selon le jeu, vous aurez un niveau suffisant pour bien comprendre le jeu et vous amuser contre de vrais joueurs sans perdre systématiquement !

Aller plus loin et maîtriser le jeu

Une fois les bases acquises, peut-être que vous souhaiterez vous améliorer encore et encore. Je ne compte pas faire de vous un joueur professionnel, mais sachez que la méthode pour s’améliorer à un jeu de stratégie est là encore la même, quel que soit le jeu. C’est l’application de cette méthode qui devient plus difficile et demande beaucoup de travail si vous souhaitez devenir excellent dans votre jeu !

Les étapes supplémentaires sont donc :

  1. Tactique & stratégie
  2. Le métajeu
  3. Analyser ses défaites (et ses victoires)
  4. L’analyse de jeu, aller voir ce que font les autres – et surtout les professionnels
  5. L’entraînement
  6. Définir ses propres stratégies – le Graal !

Et voilà, maintenant nous sommes prêts à rentrer dans les détails !

Illustration : StarCraft II — © Blizzard Entertainment, Inc.


  1. Je pars bien évidemment du principe que vous ne trichez pas… 

Apprendre à s'amuser sans se faire éclater

1. Connaître et comprendre les règles

Là, vous devriez vous dire que je vous prends pour un imbécile : si vous vous attaquez au jeu multijoueur, bien sûr que vous connaissez les règles !

Eh bien, la réalité n’est pas si simple… êtes-vous sûr que vous connaissez vraiment les règles ? Et surtout, êtes-vous bien certain que vous les avez comprises ?

Sur un jeu physique, la connaissance des règles n’est en général pas bien compliquée, car mis à part quelques cas pathologiques et points de détail, elles sont généralement assez simples.

Là où ça se complique, c’est dans le cas des jeux vidéo. D’abord, parce que les règles sont souvent beaucoup plus complexes car il y a beaucoup plus de mécaniques et d’éléments à prendre en compte. Les échecs, c’est six pièces différentes, autant de règles de déplacement et une poignée de règles en plus. Les dames, c’est deux pièces différentes et quelques règles. Dans le jeu de go (que personne ne qualifierait de « simple »), toutes les pièces sont identiques et il n’y a que quelques règles. Par contre, un jeu comme StarCraft, c’est des dizaines d’unités et de capacités spéciales. Les Civilization, c’est des dizaines d’unités aussi, et plusieurs couches de règles pour les gérer.

Ensuite – et là c’est plus vicieux – parce que le jeu peut vous donner l’impression que vous maîtrisez les règles alors qu’il n’en est rien. L’exemple typique, c’est le jeu qui a une campagne solo et un mode de jeu contre une intelligence artificielle. On peut tout à fait maîtriser ces deux modes sans problèmes, et pour autant perdre de façon pitoyable contre le premier humain venu. Pourquoi ? Parce qu’en général les règles et unités du mode solo sont différentes du mode multijoueur1, et parce que souvent les intelligences artificielles sont d’un niveau pitoyable et jouent de manière très différente d’un être humain.

Pour commencer, les IA n’ont pas la moindre idée de la manière habituelle de jouer (un concept appelé métajeu et qui sera détaillé dans la partie « Aller plus loin ») et donc ne vont pas jouer comme des humains normaux. Ensuite, souvent elles trichent. Et quand elles ne trichent pas, elles peuvent être d’un niveau très variable selon le jeu : les meilleures IA sont littéralement impossibles à battre au Puissance 4, d’un très bon niveau aux échecs, d’un niveau d’un amateur éclairé au go, franchement pitoyables à StarCraft II2, …

Vous comprenez donc que pour avancer sereinement dans le jeu en un contre un, vous devez connaître et comprendre les règles qui le régissent.

Ça passe par quelques étapes très simples, mais hélas un peu rébarbatives :

  1. Lire l’aide, ou se faire expliquer les règles.
  2. Suivre le tutoriel spécifique s’il existe.
  3. Comprendre et connaître dans les grandes lignes (pas besoin de rentrer dans les détails à ce niveau) quelles unités et mouvements sont efficaces dans quels cas, et inversement savoir quand les unités sont inefficaces ou les mouvements dangereux.
  4. Découvrir le vocabulaire propre au jeu, ça vous sera très utile pour la suite.

Et voilà ! Cette étape paraît idiote, est un peu casse-pieds, mais évitera de vous faire avoir parce que vous avez essayé une stratégie que les règles du jeu vouent à l'échec !

Illustration : jeu d’échecs géants — CC-BY-SA 3.0 SpaceFox d'après CC-BY-SA 3.0 EurovisionNim

2. Les temps de jeu : ouverture, milieu de partie, fin de jeu

La majorité des jeux de stratégie voient leurs parties se découper en trois phases, dont les noms sont explicites :

  1. Ouverture
  2. Milieu de partie
  3. Fin de jeu

Dans les jeux vidéo en temps réel, l’ouverture est souvent appelée build order (« ordre de construction »), puisqu’elle correspond à l’ordre dans lequel on construit les premiers bâtiments et unités. On rencontre aussi les termes anglais early game (début de partie), mid game (milieu de partie) et late game (fin de partie).

Si chacune de ces étapes a ses règles et implications propres, la gestion fine du milieu de partie et de la fin de jeu n’ont, en général d’intérêt qu’à partir d’un niveau avancé. J'insiste sur le fait qu'ils s'agit d'une règle générale ; vous devez vous renseigner sur ce qu'il en est pour votre jeu préféré, sans quoi vous pourriez être incapable de gagner uniquement parce que vous ne maîtrisez pas les règles élémentaires des fins de partie.

Par contre, voici le piège dans lequel tout débutant va tomber :

Seules certaines ouvertures sont viables !
Les autres ouvertures vont vous faire prendre un tel retard en milieu et fin de partie qu’il vous sera impossible de gagner à cause d’elles.

Vous devez donc apprendre quelques ouvertures, qui correspondent à votre niveau de jeu et à votre style de jeu. Ces ouvertures se trouvent facilement sur Internet ou auprès de vos amis, mais ça nécessite souvent de connaître un minimum le vocabulaire spécifique du jeu. Voici des exemples d’ouvertures pour les échecs, StarCraft II, le go, Civilization 5 (en anglais)…

Illustration : shôgi — CC-BY-SA 3.0 SpaceFox d'après CC-BY-SA 3.0 Tamago915

Et puisqu’on parlait de style de jeu, détaillons ce point !

3. Le style de jeu : attaque et défense, jeu agressif et défensif

Car oui, presque tous les jeux de stratégie sont des jeux d’agression et défense, et pour les rares qui n’en sont pas, le fait de mener la partie, c’est-à-dire faire des actions choisies qui forceront l’adversaire à y réagir au lieu de jouer comme il le veut, peut être assimilé à un jeu agressif.

Le choix d’un type de jeu, agressif ou défensif, se fait selon divers paramètres :

  • Les préférences du joueur, bien sûr ;
  • Dans les jeux au tour par tour, le fait d’être le premier ou le deuxième joueur peut favoriser tel type de jeu ou tel autre ;
  • Dans les jeux dissymétriques (où tous les joueurs n’ont pas les mêmes unités), le choix du type d’unité influe aussi (selon le jeu : race, tribu, peuple, etc.).

En règle générale, un jeu agressif va donner des parties plutôt courtes et intenses, mais ces stratégies sont risquées : s’il est contré, le joueur agressif n’a pratiquement plus aucune chance de gagner. Inversement, un jeu défensif va plutôt donner des parties longues et posées – avec une bonne chance de reprise si une tentative tactique échoue. Ces techniques sont souvent plus difficiles à apprendre au début, et se basent souvent sur la contre-attaque pour battre l’adversaire.

Cela dit, une partie est généralement constituée de phases agressives et défensives.

Si vous jouez sur Internet de manière agressive, vous constaterez que beaucoup de vos adversaires détestent perdre contre une telle stratégie. La raison est simple : comme la victoire est généralement rapide, elle donne l’impression d’être facile, et donc le perdant croit s’être fait avoir par un déséquilibre du jeu. Or, les jeux sont généralement équilibrés3 et cette impression n’existe que parce que le perdant n’a pas conscience de toutes les fois où cette stratégie a échoué.

Illustration : WarCraft II -- © Blizzard Entertainment, Inc.

Et puisqu’on parle de gagner ou de perdre, voici qui nous amène au dernier point de cet apprentissage de base :

4. Savoir perdre

Vous détestez perdre. C’est normal, personne n’aime perdre. Si vous jouez beaucoup aux jeux vidéo, vous aurez peut-être remarqué que beaucoup de jeux solos modernes font tout pour qu’il vous soit pratiquement impossible de perdre : outre le système de sauvegarde, on trouve profusion d’aides, d’indices, de systèmes de reprise d’action, voire de magouilles de gameplay, etc. Si vous jouez contre une IA, vous allez probablement régler (plus ou moins consciemment) son niveau pour que votre nombre de victoires soit largement supérieur à votre nombre de défaites.

Or, ici vous allez jouer en un contre un, contre un adversaire humain.

Ça implique, à moins d’être excellent ou de n’avoir aucun adversaire de votre niveau à disposition, que vous allez perdre la moitié de vos parties. Et donc que la moitié de vos parties vont vous frustrer. Or, ce chiffre de 50 % de victoires ne sort pas de mon chapeau : si vous l’atteignez, c’est tout simplement que vous jouez contre des adversaires qui sont à votre niveau.

Eh oui, jouer contre des adversaires de votre niveau implique de perdre la moitié de vos parties ! Et ce parfois sur des erreurs idiotes…

Dans tous les cas, rappelez-vous ceci :

Dans un jeu de stratégie, le but est de gagner. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » manière de ce faire : si votre adversaire a gagné sans tricher, il mérite sa victoire, à vous de trouver la parade !

Et en général elle existe : je me répète, mais les jeux grand public vraiment déséquilibrés sont rares et normalement les correctifs arrivent vite.

Dans tous les cas, ce n’est qu’un jeu. Peut-être que des professionnels jouent une carrière et des dizaines de milliers d’euros sur une partie ; pas vous. Vous jouez pour le plaisir et si vous ne prenez plus de plaisir à jouer (donc à perdre : vous jouez contre des adversaires de votre niveau)… arrêtez de jouer !

Illustration : Le hnefatafl, l’un des jeux de tafl -- Domaine public

Prêt à jouer ?

Vous l’avez vu, il n’y a pas grand-chose à faire pour passer de l’étape « grand débutant incapable de gagner une partie » à celle, bien plus valorisante, de « débutant qui connaît assez le jeu pour s’amuser ».

Quatre règles simples (et encore, il y en a une qui s’apprend une fois pour toutes), qui vous permettront de vous amuser avec le jeu, au lieu de vous battre contre lui.

Selon les jeux, la complexité de leurs règles et la complexité de leur maîtrise minimale, vous pouvez compter entre une et six-sept heures de jeu avant de maîtriser ces quatre points. C’est un investissement, que ce soit clair. Mais croyez-moi : passer du stade où vous galérez à comprendre quelque chose, à celui où vous vous amusez (et c’est le but du jeu !) contre vos adversaires est très valorisant et vaut vraiment ce petit investissement !


  1. En général les débuts de partie sont très différents – or ils sont primordiaux, cf. le point 2. Dans certains jeux, les unités sont limitées, voire carrément différentes, entre les modes solo et multijoueur. C’est tellement vrai que Blizzard a mis en place, dans StarCraft II, un mode spécial pour apprendre à jouer en multijoueur contre des humains, parce que les joueurs débutants étaient dégoûtés par la différence entre les deux modes. 

  2. À la sortie de l’extension « Heart of the Swarm », la meilleure IA était d’un niveau mi-argent, soit vers le 20ème centile en partant de la fin sur le classement mondial. Autrement dit, les 4/5 des joueurs tous niveaux confondus sont meilleurs que la meilleure IA

  3. Je parle des jeux correctement développés. Équilibrer un jeu, particulièrement un jeu de stratégie temps réel avec beaucoup d’unités, est une vraie gageure et nécessite énormément de temps. Si le développeur du jeu ne s’est pas investi correctement sur ce point, le jeu peut avoir de vrais problèmes d’équilibre mais déterminer si c’est le jeu qui a un problème ou non, c’est aussi un exercice délicat… Un jeu en cours de développement (bêta, early access…) a lui toutes les chances d’être déséquilibré. 

Aller plus loin : devenir bon dans son jeu préféré (1)

Si vous lisez cette section, c’est que vous avez lu la première partie et que vous désirez savoir comment devenir encore meilleur à votre jeu de stratégie préféré. Ou alors que vous êtes curieux, c’est bien aussi. Quoi qu’il en soit, vous êtes prêts ? C’est parti !

On va commencer par trois points qui concernent directement votre jeu.

5. Stratégie & Tactique

Tout jeu de stratégie mêle en réalité deux aspects souvent mal compris, voire confondus : la stratégie et la tactique. Comprendre ces deux facettes et ce qu’elles impliquent est primordial pour appréhender la suite.

On va commencer avec deux définitions, tirées du Wiktionnaire :

Stratégie, nom féminin. Partie de l’art militaire qui consiste à préparer, à diriger l’ensemble des opérations d'une guerre.

Tactique, nom féminin. Art de disposer et de manœuvrer les troupes sur le terrain, de les employer au combat.

C’est un peu vague, mais ça donne une idée de départ : la stratégie est générale, et la tactique est un sous-ensemble, un élément, de la stratégie générale. Eh bien dans un jeu, ça s’applique exactement de cette manière.

Définir et appliquer une stratégie

Jusqu’ici, vous jouiez sans doute plus ou moins à l’instinct, à partir d’une ouverture et en improvisant au fur et à mesure de la progression de la partie. Vous vous doutez bien que pour devenir meilleur, cette technique va vite montrer ses limites.

Au début de chaque partie – et probablement plusieurs fois par partie en réalité –, vous devrez définir une stratégie. C’est-à-dire que vous allez réfléchir à la manière dont vous allez progresser dans le jeu pour battre votre adversaire, bien sûr en tenant compte de ses réactions probables.

Là où l’exercice devient compliqué, c’est que pour gagner, il vous faut une bonne stratégie. Et qu’est-ce qu’une bonne stratégie ?

  • Elle vous permet de gagner (… d’accord, je ne vous apprends rien là).
  • Elle vous permet de vous adapter à votre adversaire1 pour éviter de perdre à la première difficulté.
  • Dans le cas d’un jeu en temps réel, elle est adaptée à votre niveau d’exécution : certaines stratégies nécessitent beaucoup de technique pour être exécutées de manière efficace.
  • Elle est optimisée.
  • Idéalement, vous avez plusieurs stratégies en réserve et vous variez. Si vous jouez toujours de la même manière, vos adversaires vont très vite utiliser les stratégies antagonistes des vôtres…

Tout ça implique de se renseigner, de tester, d’essayer et de s’approprier des stratégies. Et tous ces tests impliquent de perdre sur des stratégies inefficaces ou mal adaptées – vous devez donc savoir perdre.

Dans tous les cas, n’oubliez jamais ceci :

Aucun plan de bataille ne survit au premier contact avec l’ennemi.

Beaucoup trop de sources différentes.

User de différentes tactiques

Les tactiques, elles, sont les mouvements courts que vous allez effectuer pour développer votre stratégie : attaque d’un point précis, diversion, défense d’une zone, etc.

Au contraire des stratégies, les bons mouvements tactiques sont rarement originaux. Leurs principales qualités sont l’efficacité, d’adaptation à la stratégie et, surtout dans le cas des jeux en temps réel, la qualité de réalisation.

N’hésitez pas à vous renseigner sur les tactiques possibles dans votre jeu préféré. Puis, travaillez-les encore et encore, jusqu’à ce que vous puissiez les appliquer sans y réfléchir et lors des situations adaptées. Certains jeux ont des mécanismes (exercices, cartes de jeu vidéo…) qui permettent de travailler spécifiquement telle ou telle tactique.

Les jeux de guerre, domaine public.

Les jeux de guerre (wargames) sont très anciens, et souvent plus tactiques que stratégiques. Domaine public.

6. Le métajeu

J’en avais parlé brièvement dans le paragraphe sur les IA du point 1 :

Le métajeu (aussi connu sous son nom anglais de meta-game), c’est la manière habituelle qu’ont les joueurs de jouer au moment où vous jouez, plus particulièrement en ce qui concerne les ouvertures.

En quoi est-ce important ? Tout simplement parce cette façon habituelle de jouer va modifier la pertinence et l’efficacité des ouvertures et des stratégies.

Imaginons trois stratégies : A, B et C. Vous avez l’habitude de jouer B, parce que tout le monde joue A et que B est très efficace contre A. Donc, vous gagnez souvent. Puis pour une raison quelconque, vous abandonnez le jeu pour quelque temps puis revenez. Comme d’habitude, vous jouez B, confiant dans vos capacités. Et là, vous perdez. Mais pas parce que vous jouez mal : tout simplement parce que plus personne ne joue A : vos adversaires ont compris que A était trop faible contre B ; et maintenant tout le monde joue C, qui est le contre parfait de B.

Voici un exemple en trois graphiques, tirés de « A data-driven exploration of the evolution of chess: Popularity of openings over time ». L’auteur y montre l’évolution des 3 premiers coups aux échecs (1er coup blanc, 1er coup noir, 2e coup blanc) depuis 1850 :

Pendant environ 40 ans (de 1850 à 1890), pratiquement toutes les parties (> 80% du total) commençaient de la même manière. Et même aujourd’hui, l’immense majorité des premiers mouvements tient dans 4 choix seulement sur 20 mouvements théoriquement possibles2.

Premier coup noir

Quoiqu’un peu plus varié, le premier coup des noirs se choisit lui aussi dans une poignée de possibilités. L’évolution du métajeu est ici très visible, avec « Open Game » qui était presque systématique mais ne représente plus que 10% des parties – entre autres à cause du changement des ouvertures des blancs.

Deuxième coup blanc

En choisissant la bonne stratégie, vous allez déstabiliser votre adversaire avec quelque chose de complètement inattendu par rapport au métajeu. Mais c’est un jeu dangereux : votre stratégie incongrue doit être viable, et si l’adversaire en connaît un contre, vous pouvez aller droit à la défaite.

Par rapport au métajeu, deux stratégies sont viables :

  1. Le suivre et jouer ce qui est attendu. Après tout, si tout le monde à haut niveau joue de cette manière, c’est que ce sont des stratégies fiables. Par contre, vous serez attendus, donc votre exécution et votre adaptation à votre adversaire doivent être parfaites.
  2. Jouer contre le méta-jeu et utiliser des stratégies inhabituelles. Vous déstabiliserez probablement l’adversaire (ce qui est une bonne chose) mais vous ne pourrez pas vous appuyer sur des habitudes solides. Attention aussi aux stratégies qui étaient très jouées il y a peu : elles sont connues, et surtout elles ont un contre connu – ce qui explique pourquoi elles ne sont plus jouées.

7. Analyser ses défaites (et ses victoires)

Utiliser les bonnes tactiques et stratégies, jouer avec le métajeu, ce sont de bons pas pour avancer vers un meilleur niveau de jeu. Néanmoins, ça ne suffit pas : vous ne progresserez jamais réellement si vous ne déterminez pas ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré dans votre jeu.

Et pour ce faire, pas d’autres choix que l’une des choses les plus difficiles d’un point de vue psychologique :

Vous devez analyser vos victoires et surtout vos défaites.

Et oui, quand on vient de se prendre une rouste, c’est rare d’avoir envie de se repasser le film de son humiliation – et c’est normal. Hélas, il n’existe aucune technique qui vous permettrait de vous passer de cette étape.

Ainsi donc, après chaque partie, vous devriez vous poser les questions suivantes :

  • Qu’est-ce que j’ai réussi ?
  • Que dois-je améliorer ?
  • Quels éléments précis de mon jeu ont mené à ma victoire / défaite ?
  • Même question avec le jeu de mon adversaire ?
  • Si j’ai perdu, est-ce que j’aurais pu gagner cette partie ? Comment ?
  • … et d’autres questions spécifiques au jeu auquel vous jouez.

Notez que si l’exercice est difficile du point de vue du mental, il est généralement rapide, car la réponse à ces questions est généralement évidente.

Mais ce n’est pas tout ! Ceci fait, vous devez appliquer les enseignements tirés de vos analyses, sans quoi elles seront d’une inefficacité totale. À quoi bon connaître vos faiblesses si vous ne cherchez pas à les corriger ?

Illustration : The Battle for Wesnoth — GNU Free Documentation Licence

Le lecteur observateur commence à apercevoir une constante à travers ces premiers conseils : pour atteindre un vrai bon niveau à un jeu de stratégie (et plus généralement à tout jeu nécessitant de vraies compétences, qu’elles soient physiques ou mentales), il faut passer d’une logique d’amusement pur à une logique de gagne et de volonté d’amélioration, ce qui est une façon très différente d’appréhender le jeu. Attention : je ne dis pas que l’une est meilleure que l’autre. Les deux sont parfaitement valides et c’est tout à fait normal et honorable de vouloir simplement s’amuser ; comme il n’y a aucun problème à vouloir maîtriser un jeu sur le bout des ongles.


  1. On trouve néanmoins des stratégies, en général très agressives (et appelées all-in, comme au poker), qui vous permettent de gagner très rapidement… ou de perdre très rapidement si elles sont contrées, parce qu’elles ne sont pas du tout adaptables. Très pratiques pour tenter un coup de poker, mais dangereuses. 

  2. Avancer n'importe quel pion de une case (8 mouvements), avancer n'importe quel pion de deux cases (8 autres mouvements) et avancer l'un des deux cavaliers en vers le haut à gauche ou le haut à droite (2 x 2 mouvements). Toutes les autres pièces sont bloquées. 

Aller plus loin : devenir bon dans son jeu préféré (2)

Maintenant qu’on a les principales armes pour travailler sur son propre jeu, que diriez-vous d’élargir l’horizon et de réfléchir à un niveau plus global ?

8. L’analyse de jeu, aller voir ce que font les autres – et surtout les professionnels

Dans le point précédent, vous avez vu l’importance d’analyser ses victoires et ses défaites pour connaître ses forces et ses faiblesses.

Ce travail, s’il est indispensable, reste incomplet. L’idéal serait de savoir ce que font vos adversaires, pour pouvoir s’en inspirer et bien sûr trouver les stratégies antagonistes. La simple analyse de vos propres parties vous donne une petite idée de la réponse, puisque mécaniquement vous analysez aussi le jeu de l’adversaire. Mais, n’y a-t-il pas un moyen d’aller plus loin ? De découvrir des stratégies et tactiques sans avoir à les inventer ou les subir soi-même ?

Le mentor et les parties pédagogiques

Si vous connaissez quelqu’un de vraiment plus fort que vous et qui a du temps à vous consacrer, demandez-lui, au lieu de disputer une classique partie à handicap, une partie pédagogique.

Qu’est-ce donc que cela ? Tout simplement, au lieu de chercher à vous battre, votre adversaire va vous montrer une stratégie précise – définie à l’avance ou non. Vous allez la jouer ensemble, puis s’ensuivra une séance d’évaluation pendant laquelle vous discuterez de la partie en cours et de ce que vous en avez appris. Les détails dépendent de la stratégie étudiée : parfois, vous serez livrés à vous-même pendant le jeu, parfois votre mentor vous demandera d’appliquer une stratégie particulière, ce qui permet par exemple d’en étudier le contre.

Ces parties pédagogiques sont plus ou moins faciles à obtenir, selon le contexte. Généralement, les jeux asiatiques (comme le go) incluent ce concept dans leur apprentissage ; et faire partie d’un club ou d’une équipe simplifie la découverte d’un mentor.

Les joueurs de très haut niveau, les professionnels

Certains jeux sont tellement joués qu’on y trouve de véritables experts, voire même des personnes dont l’activité principale et rémunérée est de jouer. Les exemples les plus évidents dans cette catégorie sont des jeux de stratégie combinatoire abstraits comme les échecs ou le go ; mais on trouve aussi des joueurs professionnels sur certains jeux vidéo.

Comme ces excellents joueurs s’affrontent dans des tournois de haut vol, le joueur lambda pourra en profiter pour étudier les stratégies et tactiques utilisées par les meilleurs dans le domaine. Même s’il n’y a pas de professionnels de votre jeu fétiche ni même de tournoi proposant des prix, je suis à peu près certain qu’un championnat existe et vous donnera accès à des parties captivantes.

Si l’étude de parties de très haut niveau est généralement passionnante pour qui s’intéresse vraiment à un jeu dans les détails, cette analyse comporte deux difficultés :

  1. Il n’existe pas toujours de moyens simples d’étudier les parties jouées. Même si le jeu permet cette étude via des feuilles de match ou des replay de jeu vidéo, certaines compétitions ne diffusent hélas pas ce matériel.
  2. Ce n’est pas parce qu’on a compris une stratégie que l’on peut l’appliquer. Les stratégies jouées par les meilleurs peuvent demander, pour être viables, une profondeur de réflexion et/ou une capacité d’exécution bien au-delà des possibilités de l’amateur doué.
Iron Squid 2

Iron Squid 2, tournoi professionnel de StarCraft II dont les phases finales ont rempli le grand amphithéâtre du Palais des Congrès de Paris (3700 places, sans compter ceux qui ont suivi l’évènement sur Internet).

9. L’entraînement

Vous savez comment jouer, comment progresser, comment profiter de vos forces, comment annihiler vos faiblesses et vos adversaires ; vous savez où trouver les meilleurs conseils et les stratégies les plus efficaces. Bravo ! Maintenant, vous avez en main toutes les clés pour devenir excellent à votre jeu favori !

Il ne reste plus qu’à mettre toute cette belle théorie en application. Enfin, quand je dis « plus qu’à », c’est une façon de parler.

Ce que vous devez maintenant faire pour atteindre vos rêves de gloire les plus fous, c’est accomplir l’étape la plus simple est la plus difficile de toutes :

  • S’entraîner.
  • S’entraîner encore.
  • S’entraîner plus.

Car il n’y a aucune magie. Quel que soit votre talent, quelles que soient les stratégies que vous maîtrisez, vous n’arriverez jamais à un bon niveau sans l’entraînement. Sur les jeux les plus connus, les meilleurs ne sont pas des génies au don inné. Ce sont des génies parce qu’ils jouent tout le temps, des heures et des heures par jour, et qu’ils y pensent quand ils ne jouent pas. Le tout dans le but de faire mieux.

Alors, à moins de vouloir devenir professionnel – ce qui requiert une volonté de fer – pas la peine d’en arriver à de telles extrémités ; mais n’espérez en aucun cas devenir bon dans un jeu de stratégie sans un minimum d’investissement temporel.

Et comme vous qui me lisez êtes probablement adulte ou en passe de l’être, vous avez perdu cette merveilleuse capacité de l’enfance à s’amuser en apprenant. Vous aimez avoir les résultats là, tout de suite, sans effort – et c’est normal. Donc vous devrez aussi apprendre à gérer votre frustration, votre courbe d’apprentissage… tant de choses qui sortent du cadre de ce tutoriel, et pour lesquelles je ne peux que vous dire : « Bon courage ! ».

Illustration : Bagh Chal — CC-BY-SA 4.0 SpaceFox d'après CC-BY-SA 4.0 Outlookxp

10. Définir ses propres stratégies – le Graal !

Et voilà ! Vous êtes maintenant prêt à concevoir vos propres stratégies ! N’oubliez pas que c’est un exercice délicat, et que chaque nouvelle idée va demander des dizaines de parties pour poncer parfaitement la réalisation avant d’obtenir quelque chose de viable… et qu’en toute logique vous allez perdre beaucoup de ces parties de test ! Donc, si vous détestez perdre, appliquez les stratégies déjà éprouvées, ça vous sera moins frustrant.

L’échelle des stratégies ressemble à celle-ci :

  1. Inventer une stratégie.
  2. Inventer une stratégie qui permet de gagner au moins de temps en temps.
  3. Inventer une stratégie qui permet de gagner au moins la moitié du temps.
  4. Inventer une stratégie qui permet de gagner au moins la moitié du temps contre des joueurs de votre niveau.
  5. Inventer une stratégie gagnante même quand elle est comprise par votre adversaire – parce qu’elle est difficile à contrer.
  6. Inventer une stratégie qui vous permet de progresser en battant régulièrement des joueurs plus forts que vous.
  7. Inventer une stratégie efficace, si correctement utilisée, à haut niveau.
  8. Inventer une stratégie utilisé dans le métajeu à haut niveau.
  9. Inventer une stratégie de haut niveau qui porte votre nom1.
  10. Inventer une stratégie qui impose un changement des règles pour être contrée.

Bon, d’accord, tout le monde est capable du niveau 1… Créer une stratégie de niveau 4 est déjà très bon, et vous pouvez être fiers de vous si vous créez votre propre stratégie de niveau 5.

Aussi curieux que ça puisse paraître, le niveau 10 est possible, en particulier dans les jeux vidéo où les règles sont souvent complexes et donc difficiles à équilibrer. Cela dit, même les jeux très anciens n’échappent pas à cette tendance. Par exemple, le jeu de go avantage le premier joueur, donc le deuxième reçoit des points (le komi) pour compenser cet avantage. Cette compensation a évolué au cours du temps, au fur et à mesure que les stratégies se sont affinées.

Illustration : Awalé - CC-BY-SA Zubro


  1. À condition que ce soit une stratégie gagnante… certains ont vu leur nom associé à un échec stratégique retentissant, comme le coup du berger aux échecs. 


Voilà, vous savez maintenant quelle procédure suivre pour vous amuser puis vous améliorer à n'importe quel jeu de stratégie :

La découverte du jeu et l'amusement

  1. Apprivoiser les règles.
  2. Utiliser les ouvertures, et savoir comment, dans les grandes lignes, on continue et finit une partie.
  3. Connaître l'attaque et la défense, les styles de jeu agressifs et passifs, et surtout lequel vous convient le mieux.
  4. Savoir perdre, car ce n'est qu'un jeu, un de ceux qu'on ne peut pas gagner à tous les coups.

Atteindre un bon niveau

  1. Connaître de bonnes stratégies et tactiques.
  2. Connaître le métajeu et en profiter.
  3. Savoir analyser ses défaites et victoires pour utiliser ses forces et combler ses faiblesses.
  4. S'inspirer de ce que font les meilleurs en restant dans le réalisable.
  5. S'entraîner.
  6. Créer ses propres stratégies.

Et vous, quel est votre jeu de stratégie préféré ? Quel est votre niveau ? Comment y êtes-vous arrivé ?


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26 commentaires

Yep, et en plus mes infos avaient probablement 2-3 ans de retard au moment d'écrire l'article :)

Par contre, une telle IA dans nos PC, ce n'est pas pour demain : certes ça tourne sous Linux, mais le matériel utilisé comporte 1202 CPUs et 176 GPUs.

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