Une histoire d'inflation

Un emprunt entre amis...

Imaginons que je vous emprunte 100€ et que je vous promette de vous les rendre l’année prochaine. 100€ empruntés, 100€ rendus. C’est un bon deal, non ?
Mmmh, attendez, me direz-vous. Il se trouve que l’inflation à l’heure actuelle est de 2%. Ce qui signifie que le prix des choses augmente en moyenne de 2% par an. Un objet qui coûte 100€ aujourd’hui coûtera 102€ l’année prochaine.

— Pour que je puisse conserver mon pouvoir d’achat, il faudrait donc que, pour les 100€ que je te prête maintenant, tu m’en rendes 102 l’année prochaine.
— Mais c’est du vol. Faux-frère !
— Tu as deux solutions : soit m’emprunter l’argent et profiter de ton achat dès maintenant en payant l’année prochaine, soit économiser cette année pour faire ton achat l’année prochaine. Or avec l’inflation, le prix de ton objet aura augmenté. Ce ne sera donc pas 100€ que tu devras économiser, mais 102. De plus, en te prêtant les 100€ maintenant, je me prive d’un achat de 100€ et je le reporte à l’année prochaine. Or l’année prochaine mon achat coûtera 102€. Inflation, tout ça…
— Ah oui, j’avais pas vu les choses de cette façon…

Reprenons tout ça : Si j’emprunte 100 sur un an à un taux de 2%, je dois rembourser 102, ce qui fait 100×1,02100 \times 1,02.
D’une manière générale :

L’emprunt d’un capital KK sur un an à taux ii entraîne un remboursement RR de :
R=K(1+i)R = K(1+i)

(Pour un taux à 2%, i=0,02i = 0,02)

Et pour quelques années de plus...

— Finalement, je vais avoir du mal à te rembourser l’année prochaine, mais plutôt dans deux ans. Je te devrai 104, c’est ça ?
— Hum, c’est pas aussi simple…

Avec l’inflation, les prix prennent 2% chaque année. L’année prochaine, les 100€ auront pris 2%, donc 102€. Mais l’année d’après, ce sont les 102€ qui prennent 2%. Ce qui revient plutôt à 104,04€.
— Ah oui…
C’est ce qu’on appelle les intérêts composés : les intérêts de cette année produisent eux-mêmes des intérêts l’année prochaine.
— Ah la vache !

Ah oui, l’inflation est un phénomène très destructeur de valeur. Une inflation identique chaque année ne produit pas une augmentation linéaire des prix, mais une augmentation exponentielle…
(Mais rassurez-vous, c’est aussi un phénomène très constructeur si on peut l’utiliser à son avantage, par exemple dans les investissements : un capital placé à un certain taux d’intérêt n’augmente pas linéairement, mais lui aussi de manière exponentielle.)

Du coup :
Avec un taux d’inflation ii :

  • au bout d’un an, R=K(1+i)R = K(1+i)
  • au bout de deux ans, R=K(1+i)×(1+i)=K(1+i)2R = K(1+i) \times (1+i) = K(1+i)^2
  • au bout de trois ans, R=K(1+i)3R = K(1+i)^3

Soit pour généraliser :

Un capital KK, remboursé à la nn-ème année au taux annuel de ii, entraîne un remboursement RR de :
R=K(1+i)n\boxed{R=K(1+i)^n}

Attention : pour l’instant, je parle d’un capital remboursé en année nn, pas d’un remboursement mensuel sur nn années, comme pour un crédit immobilier. Mais on y arrive bientôt.

Une histoire d'actualisation

— Ici, nous allons changer un peu de perspective. On va arrêter de parler d’inflation, mais plutôt d'actualisation.
— C’est quoi cette bête-là ?
— Bouge pas, je t’explique.

Si tu m’empruntes 100€ cette année, je te réclamerai 102 l’année prochaine. C’est parce que j’estime que 102€ l’année prochaine valent actuellement 100€. En fait ce que tu me rembourseras l’année prochaine doit avoir une valeur actualisée (c’est-à-dire une valeur ramenée à l’heure actuelle) de 100€.

Ainsi on peut réécrire la formule précédente en : K=R1+iK=\frac{R}{1+i} et pour un remboursement dans nn années : K=R(1+i)nK=\frac{R}{(1+i)^n} Ce qui se lit :

La valeur du remboursement, actualisée (à sa valeur actuelle), doit être égal au capital emprunté.

Ici on voit que le remboursement est actualisé par le facteur (1+i)(1+i) la première année, (1+i)2(1+i)^2 la deuxième année… (1+i)n(1+i)^n la nn-ième année.
Tu vois donc que les 102 que tu me rembourseras l’année prochaine (RR), en valeur actualisée, c’est-à-dire divisés par (1+i)(1+i), valent aujourd’hui 100€, c’est-à-dire le montant que je te prête (KK).

Le crédit, enfin...

— Et pour un crédit immobilier alors ?

Ici, on va parler d’un crédit amortissable à taux fixe. C’est le type de crédit dominant, d’ailleurs tu n’as sûrement jamais entendu ton banquier te parler d’autres types de crédits, mais sache que ça existe : crédit à taux variable, crédit à taux capé, crédit in fine, crédit à intérêts fixes, crédit à amortissement fixe…
Dans ce type de crédit, tu rembourses une mensualité fixe pendant plusieurs années (10, 15, 20, 25 ans…)

Imaginons que ce que le banquier veuille, c’est que la somme de tes remboursements soit égale au capital qu’il t’a prêté. Si on appelle KK le capital et AA ce que tu lui rembourses chaque année (ce qu’on appelle une annuité), il faut donc que : K=A+A+A+...+A+AK=A+A+A+...+A+A

Oui, mais le prêt est assorti d’un certain taux d’intérêt. Ce taux d’intérêt, c’est un taux d’actualisation. En fait, ce que le banquier veut, c’est que la somme de tes remboursements actualisés soit égale au capital qu’il t’a prêté.
Or on l’a vu, le remboursement est actualisé par le facteur (1+i)(1+i) la première année, (1+i)2(1+i)^2 la deuxième année… (1+i)n(1+i)^n la nn-ième année…

La formule du remboursement devient donc, pour un remboursement sur nn années : K=A1+i+A(1+i)2+A(1+i)3+...+A(1+i)n\boxed{K=\frac{A}{1+i}+\frac{A}{(1+i)^2}+\frac{A}{(1+i)^3}+...+\frac{A}{(1+i)^n}}

Voici donc la formule d’un prêt immobilier. Elle met en relation le capital emprunté, le remboursement, le taux d’intérêt et le nombre d’années de remboursement. En connaissant trois de ces variables (par exemple le capital, le taux et le nombre d’années), on peut calculer la quatrième (ici le remboursement annuel).


Note 1 : on va raisonner en annuités pour nos calculs, même si un crédit immobilier se calcule plutôt en mensualités. Nous verrons plus tard comment mensualiser tout ça (ce n’est pas trivial : il y a une histoire de taux proportionnel et de taux équivalent).

Note 2 : l’actualisation est une des notions de base en mathématiques financières. C’est une notion utilisée lorsqu’on raisonne en terme de flux financiers étalés sur plusieurs années (ce que rapporte un investissement par exemple).
Par exemple si on doit racheter une entreprise qui va générer 10 000€ de bénéfices annuels pendant 10 ans, on ne peut pas dire qu’elle vaut 100 000€. Chacun de ces bénéfices annuels devra être actualisé en fonction de son année de production, et en fonction d’un taux d’actualisation qui va prendre en compte l’inflation, le risque lié à l’entreprise…
Il existe d’ailleurs en banque et assurance le métier d'actuaire. C’est celui qui est chargé d’évaluer la valeur et le risque des actifs financiers, le montant des primes d’assurance…

Conclusion

— OK, mais le banquier du coup, il prend quoi comme taux ? L’inflation ?

Il doit en tenir compte. Mais il doit aussi tenir compte d’autres choses, dont notamment les taux directeurs de la Banque Centrale, le risque lié au profil du client, la marge bénéficiaire de la banque… bref, la détermination du taux est affaire de spécialistes. Concentrons-nous plutôt sur les calculs côté client.

Sauf que la formule donnée plus haut n’est pas manipulable en l’état, il va falloir la triturer un peu pour la rendre exploitable. Rendez-vous donc dans le prochain chapitre qui sera un peu plus mathématique, on va y parler suite géométrique, logarithme et exponentielle.