(BRUXELLES2) Jean-Claude Juncker avait promis une Commission européenne très politique. Ses commissaires l’ont ensuite répété dans toutes les langues…
A écouter le Premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, venu spécialement rendre compte, devant la presse ce mercredi (21 janvier), de la première discussion qu’a eu la Commission européenne sur le terrorisme (*), on peut avoir quelques doutes sur cette volonté qui tient plutôt de la bonne intention que des réalités…
Les réponses de Timmermans à toutes les questions concrètes ont été très timides, et sûrement pas à la hauteur des défis qui se présentent aujourd’hui en matière de défense des libertés. La Commission a toujours eu des difficultés à réagir en cas de crise, à surmonter ses propres querelles internes et à proposer aux citoyens un compromis entre la nécessaire sécurité et la recherche des libertés.
De belles valeurs…
Le Premier vice-président chargé de l’Etat de droit a certes fait une très belle envolée lyrique sur la nécessité de garder les valeurs européennes – « la tolérance (…), l’Etat de droit, le respect de la loi ». Et quelques petites phrases : Le terrorisme « est un immense défi posé à l’Union européenne ». L’espace « Schengen fait partie de la solution et n’est pas une partie du problème ». Il faut faciliter l’intégration de chacun, « ne pas perdre une partie de la population, et éviter l’exclusion ». « Chacun quel que soit sa race, sa religion (…) juifs, musulmans, chrétiens, athées, a sa place dans la société. Et la Commission fera ce qu’il faudra dans le futur à travers tous ses instruments ». Au passage, il s’est fait écho de l’inquiétude de la communauté juive : « Dans certains Etats membres, une majorité de la communauté juive n’est pas sûre d’avoir un avenir en Europe, c’est un défi immense aux fondements même de l’intégration européenne ». Un message qui résonne étrangement comme une réplique du message du Premier ministre israélien, appelant à l’Aliya des juifs français.
… mais peu de réponses concrètes
Passée cette introduction, quand est venu le temps des questions concrètes, le commissaire Timmermans a botté en touche à chaque reprise : il a soit renvoyé la balle aux Etats membres, soit avoué son ignorance, soit répondu à côté de la question. Une possible position sur le retrait des documents de voyage, passeports et cartes d’identité des personnes voulant combattre en Syrie ou présumés terroristes : « c’est de la compétence des Etats membres ». Une position commune sur les combattants étrangers ? « je n’ai pas de réponse à donner, je ne sais pas s’il y a discussion commune ». Les dépenses que devront faire les Etats membres et le respect du pacte de stabilité : à chaque Etat de réfléchir, « on doit faire des choix ». La question des écoutes téléphoniques : « une vaste question ». La surveillance d’internet et le dialogue : « je ne suis pas au courant ». Seul point un petit peu concret : une possible modification de la position de la Commission européenne sur les PNR, l’enregistrement des données aériennes. Quant à la stratégie européenne de sécurité, elle connait une brusque accélération. Au lieu de « avant l’été », elle est promise pour le mois de mai. Ouuh la…
Les Etats membres en première ligne
De fait, il semble bien que la Commission européenne ait décidé de laisser la main et l’initiative aux Etats membres sur une question aussi sensible que le terrorisme, quitte à recadrer au besoin une ou deux initiatives, ensuite. C’était en quelque sorte le « non message » qu’a transmis poliment, intelligemment, dans toutes les langues comme il sait bien le faire, Frans Timmermans. Cette « stratégie » est sans doute très fine mais très peu intelligible dans les opinions publiques qui, paradoxalement, attend beaucoup de l’Europe. La Commission Juncker retombe ainsi dans le travers de la Commission Barroso d’une Commission « en soutien » et non « à l’initiative ». Ce message difficile à comprendre de la part d’une Commission qui se prétend « politique » se double d’une petite querelle de voisinage qui achève de brouiller le tableau.
Un léger manque de coordination des structures européennes
Dans cette réunion, il manquait, en effet, un homme, essentiel car c’est celui qui connait le mieux le sujet, le coordinateur de la lutte anti-terroriste, le Belge Gilles De Kerchove. Certes celui-ci n’est pas membre de la Commission. C’est juste un haut fonctionnaire, dépendant du Conseil de l’UE. C’est-à-dire de l’autre côté de la rue. « Pourquoi l’inviter ? Mais il n’est pas membre de la Commission. Nous devions avoir un débat au sein du collège » m’a d’ailleurs répondu un proche de Juncker, quelque peu interloqué de cette question. Cependant De Kerchove a une connaissance, une perception de ce que veulent les Etats membres, une certaine capacité d’analyse qui seraient bien utiles aujourd’hui à la Commission. Il suit le sujet depuis des années. Et il « écoute beaucoup » aime-il à répéter. Et à l’écouter, il y a beaucoup à faire…
Que pourrait faire la Commission ?
Certes la lutte anti-terroriste est de la compétence, en premier lieu des Etats membres, qui ont la haute main sur la police, le renseignement, la justice — cela personne ne le conteste —, mais il y a une série de chantiers ou réflexions qui pourraient être enclenchées par la Commission, selon une première analyse. Celle-ci dispose, en effet, de plusieurs outils, législatifs ou financiers. Une (légère) harmonisation à 28 de certaines pratiques ne serait ainsi pas inutile : par exemple une définition du combattant terroriste européen (souvent dénommé à tort « foreign fighter), une modification de la décision de 2001 sur le terrorisme, la mise en place de canaux d’échanges, un encadrement des écoutes téléphoniques, un suivi plus concret des soutiens financiers des terrorismes, etc. Un petit coup de pouce financier à certaines structures (comme Europol ou les délégations de l’UE dans les Etats tiers) ou au réseau radicalisation ne serait pas aussi négligeable (une disposition d’ailleurs prévu par le Traité en cas d’alerte terroriste).
Appliquer la résolution de l’ONU en urgence ? …
La Commission européenne a totalement passé sous silence la résolution 2178 de l’ONU. A tort… L’Organisation des Nations-Unies avait, en effet, demandé à ses Etats membres « d’appliquer intégralement et immédiatement » et de toute « urgence » un ensemble de mesures (échanges d’informations aériennes = PNR, échange d’informations au niveau régional, contrôle aux frontières renforcés, lutte contre la radicalisation (détails parus sur le club : Face à EIIL, la liste noire anti-terroristes élargie. L’arsenal législatif et policier étendu (ONU). Cette résolution date d’il y a 4 mois (24 septembre). Qu’a entrepris l’Europe depuis pour l’appliquer ?
(Nicolas Gros-Verheyde)
(*) Deux bien faibles commissaires.
La Commission avait préféré mettre à l’abri les principaux commissaires concernés, à commencer par le commissaire chargé des Affaires intérieures, le Grec Avramopoulos. En pleine campagne électorale en Grèce, délicat… d’envoyer devant la presse, un responsable politique — dont certains en Grèce pronostiquent qu’il pourrait rentrer au pays dans quelques semaines pour occuper une fonction ou une autre. Quant à la commissaire à la Justice, la Tchèque Vera Jourova, elle a totalement disparu des radars. La réalité politique également c’est que le couple Avramopoulos-Androuvra n’est pas vraiment à la hauteur du couple précédent Malmström-Reding qui avait une verve et une connaissance des sujets que n’ont pas les 2 nouveaux commissaires. La Commission Juncker a une faiblesse : sur le plan Justice – Affaires intérieures. Et c’est un problème aujourd’hui.