On cherche quoi, en fait ?
Comme je l’ai dit : l’étude des règles de droit qui régissent la conduite des hommes et des femmes en société.
Alors, de quelles règles juridiques parlons-nous ?
Bah les règles de droit international, les règles pénales, etc. qui sont votées par les parlementaires sur la base d’un corpus antérieur existant (voir plus bas) et qui visent à répondre à de nouvelles interrogations juridiques. Songeons ainsi à la protection de la vie privée, à la gestation pour autrui, l’intelligence artificielle, les neurotechnologies,…
Certaines règles (filiation, etc.) se basent sur des lois établies depuis des décennies. La recherche, dans ce cadre, vise à valider l’applicabilité de ces lois aujourd’hui. Par exemple, la peine de mort a été supprimée, pour quelles raisons ? Est-ce que ces raisons sont toujours valides aujourd’hui ? La conception même du droit pénal a évolué au fil du temps.
Pour d’autres (neurotechnologies, intelligence artificielle,…), tout ou presque est à faire et c’est là que le droit prend tout son sens : il n’est pas cloisonné, enfermé dans sa bulle. La science juridique est, par essence, pluridisciplinaire. On travaille avec des scientifiques (par exemple, les règles qui s’appliquent à l’espace extra-atmosphérique, l’intelligence artificielle), des médecins (sciences biomédicales (oui, on peut aussi faire des sciences dures en fac de droit ), j’ai d’ailleurs eu deux cours de sciences biomed et un de criminalistique), de la criminologie, etc.
Jadis, la sanction était la règle. Le droit pénal se voulait purement répressif. Au fil du temps, la recherche a permis de relever que le droit pénal avait d’autres fonctions, en lien avec d’autres sciences (réhabilitation, etc.) et d’autres modes d’application des peines ont été créées (peine de travail, surveillance électronique), la médiation pénale existe aussi, permettant de mettre face à face agresseur et victime.
Bien, sauf qu’aucun juriste n’est d’accord sur ce qu’est une "règle de droit" ou d’où elle provient (en tout cas dans tout ce que j’ai lu; voir les différents travaux sur le normativisme puis ceux sur le droit politique, entre autres bien entendu), y’en a même qui nie l’existence d’une règle de droit voire du droit en lui-même. Et tous ces juristes ne sont pas des L1 paumés et incultes, se sont pour la plupart des docteurs en droit et qui maintiennent pour autant qu’il y a un arrêt dogmatique très très court dans l’interprétation du droit qui remet en question l’existence même d’une science juridique. J’en viens même à penser que l’on devrait appeler ça davantage une "coutume juridique" qu’une science. Ca n’en dégraderait pas pour autant la richesse des cours mais ça aurait au moins le mérite d’être plus réaliste.
Une règle de droit provient de plusieurs sources (lois, arrêtés, jurisprudence, traités internationaux,…)… et la coutume est une règle de droit (principalement en droit international, mais pas que). Les preud’hommes, par exemple, sont nées d’une coutume. Enormément de règles de droit international (par exemple, le fait que "tuer des diplomates, c’est pas bien :p") sont nées de la coutume (et pour le coup, elle remonte à loin : l’antiquité).
Donc une règle de droit, si ça fait même des milliers d’années qu’on sait d’où ça vient, comment cela s’établit et, plus important encore, comment la faire évoluer. Le droit est intrinsèquement lié à l’humanité. L’être humain a toujours cherché à régir la vie en société pour assurer la paix sociale et encadrer (de manière impérative ou supplétive, selon que l’on souhaite ou non laisser une marge de manoeuvre entre les contractants) les échanges. Donc les règles de droit ont une origine aussi vieille que le monde. Elles n’arrivent pas comme ça, pouf, par magie. Le droit est indissociable de l’Histoire (c’est notamment pour cela qu’on refourge des cours de droit romain, qu’on étudie le Code Napoléon, etc.).
Etudier le droit, c’est étudier (aussi) les rapports humains. Comprendre comment le droit est influencé et influence les relations humaines. Et pour réaliser l’impact du droit sur nos vies, rien de tel qu’un exemple issus d’un des mes cours de droit :
When one thinks about international law, various images and ideas may pop in your mind: you may think at war and peace between nations, ongoing humanitarian crisis, or other global issues, like global warming or the protection of the environment. You may also think at the protection of basic human rights, from the freedom of speech and of demonstration to the right to food or the promotion of social rights for workers. Or more dramatically, you may think at despicable international crimes, in the context of violent uprisings or acts of terrorism. You may think at more personal dramatic events that affected your family in recent years, or at more distant events that made history and allowed for your parents or grand-parents to meet, or events that forced your family to migrate.
On a more peaceful note, you may just think at your latest long-distance flight, getting a visa at the embassy of the country you visited, or at the fruits from exotic places you bought yesterday at the supermarket. Maybe you’re employed or someone in your family is employed by a large transnational corporation and you’ve been living abroad because that company made investments there.
Or you have sailors in your family, commercial pilots or engineers working on off-shore oil platforms. Or just take your smartphone and look at it, and imagine, besides of course the incredible engineering and technology that made it, imagine the amount of law that was indeed going into it: not only the fact that you bought it and that you have also contracted with a phone company, which are largely issue of domestic law, but also the oceans, the phone has travelled after having been manufactured, the minerals that had to be extracted to make the components and that were exported, the patents that protect the software in all jurisdictions, the agreements that have been contracted in order for the data that you download to travel around the planet at the speed of light, etc.
As much as our daily lives are constantly influenced and shaped by rules of domestic law that go most of the time unnoticed, they are also increasingly influenced and shaped by rules of international law.
At a time of globalization, this does not come as a surprise: the more we interact with each other, the more we need common rules to sustain that interaction and make it predictable. Law mediates between us and offers us a common ground for action. And the complexity resulting from interaction calls for more law.
Je suis par ailleurs fortement en désaccord avec ce cher M. Ponsard car, si — comme dans d’autres sciences — on ne badine pas avec certaines règles juridiques (le principe non bis in idem que j’ai cité plus haut en est un exemple) aucune règle n’est en soi immuable. Certaines règles évoluent quand on prouve qu’elle ne reflète pas la réalité. C’est vrai pour certaines règles dans les sciences "dures", c’est également vrai, à plus forte raison même, dans la science juridique. Typiquement, les règles pénales qui sous-tendaient la peine capitale, la torture, etc. ont été battues en brèche et purement exclues de nos systèmes judiciaires.
Donc, "pas adossée à la recherche" mais un peu quand même ? Mouais.
Je ne sais pas trop ce qu’il en est en France, mais en Belgique, les deux sont indissociables (d’ailleurs, le travail méthodologique vise justement à se nourrir des papiers des uns et des autres).
J’apprécie énormément ta sollicitude mais il y a de fortes chances que d’autres sirènes m’appellent.
Je crois effectivement, et sans animosité, que le droit n’est peut-être pas la voie qui t’intéresse le plus si tu n’en perçois pas les nuances (bien qu’en L1, il est peut-être un peu tôt) et que tu as besoin de quelque chose de plus structurant à ce stade. Tout le monde n’est pas faire pour être juriste (ou devenir astronaute), ce qui compte c’est de trouver sa voie. Personnellement, je suis parti d’un cursus technico-scientifique vers le droit, et il n’y a pas de si grandes différences méthodologiques. D’autres ont étudié le droit pour au final se tourner vers un cursus scientifique.
Mais attention, il est un tort de penser que seule la science juridique serait un "bordel". Les nuances n’existent pas uniquement pour la science juridique. L’astrophysique est par exemple un autre domaine où les interprétrations peuvent être très très divergentes. Il y a souvent des papiers qui se contredisent les uns les autres et puis, petit à petit, en fonction de l’évolution de la recherche, un consensus nait. Cela n’est guère différent pour le droit.