Le droit, c'est moi ou... c'est un énorme bordel ?

Quand la scientificité d'un domaine ne saute pas aux yeux d'un L1

Le problème exposé dans ce sujet a été résolu.

Bonjour à tous et à toutes !

Si le titre vous a fait quelque peu sauter de votre chaise, je vous prierais malgré tout de ne pas m’en tenir rigueur lorsque vous me répondrez. Disons simplement que c’est la forme la plus directe que j’aurais pu donner à ma problématique sans en dénaturer l’essence. Quitte à ce qu’elle énerve certains lecteurs ou certaines lectrices, elle a eu moins le mérite de retranscrire correctement mon interrogation.

Pour le contexte

L’année dernière j’ai dû abandonner ma première année de droit au bout d’un mois et demi parce que je me suis rendu compte que, à 100km de chez moi et sans logement (ce qui signifie autant d’allers-retours par semaine que vous pourriez l’imaginer), la fatigue montre le bout de son nez à vitesse grand V. A tel point que je m’endormais sur mes copies, ce qui ne m’est jamais arrivé de ma vie. Etant d’un tempérament nerveux, le sommeil ne me tombe pas dessus si facilement.

La péripétie

Bref. Cette année, j’ai un logement. Puisque j’avais toute une année de calme (propice à de longues sessions de jeu sur Total War: Warhammer III), je me suis dit qu’il serait peut-être intéressant de se pencher sur la santé de la science juridique, puisque les profs nous bassinaient déjà à ce sujet lorsque j’étais à la faculté. Et là, sans vouloir faire dans le dramatique, bah… c’est le néant. Y’a aucun consensus scientifique, même pas un petit, sur ce qu’est le droit. Je sais, on apprend ça en première année de licence, je suis au courant. Mais ça ne pose problème à personne, justement ? Parce que moi si. Prenons la médecine. La faculté de médecine a construit une "ligne pédagogique" autour de laquelle les différents cours vont s’articuler. Cependant, qui est-ce qui tranche entre une "ligne pédagogique" et une autre ? Le consensus scientifique. Ce dernier représente ce sur quoi les scientifiques sont globalement d’accords ou, dit autrement, ce que les scientifiques reconnaissent comme une connaissance. Donc ça justifie effectivement que l’on enseigne quelque chose à des étudiants, puisque l’on estime que l’on a des connaissances scientifiquement établies.

Si certains aspects de la médecine sont encore aujourd’hui discutés, ce qui est parfaitement normal et souhaitable car signe d’une science en bonne santé, elle n’en est pourtant pas à chercher l’objet de son étude. Pourtant, c’est bien ce qu’il se passe aujourd’hui avec le droit: aucun juriste ne semble pouvoir se targuer de connaître l’objet d’étude de sa science. Et je trouve ça affreusement anxiogène, pour un apprenti-juriste, de se dire que l’on se lance dans l’étude de quelque chose qui ne semble pas être encadré par le minimum d’objectivité et de rigueur que l’on pourrait attendre d’une communauté scientifique.

Ma question est donc la suivante:

Quel est votre ressenti, voire, encore mieux, votre expérience, par rapport à ce que je vous raconte ?

Est-ce que je me plante totalement ?

Questions plus précises:

Selon vous, vais-je trouver une approche scientifique du droit en allant à la faculté ?

ou

Vais-je me retrouver, à l’inverse, dans une sorte de mélange de politique et d’opinions dans lequel on désigne du "juridique" ici et là, sans jamais trop savoir qu’est-ce qui est juridique de ce qui ne l’est pas ?

Note: J’imagine que vous ne le ferez pas de toute façon, mais je tiens à préciser que je ne cherche pas à conforter mon biais de confirmation. Dans l’absolu, je préférerais avoir totalement tort.

Je remercie par avance celles et ceux qui prendront le temps de me répondre, vos avis me sont très précieux.

En préalable, il convient de s’interroger sur la notion de science. Il est bien évident que la science musicale a une approche très différente de la science astronomique.

Un petit tour de moteur de recherche me donne des pistes qui pourraient nourrir ta réflexion.

Comment concevoir aujourd’hui la science du droit ?

Philosophie du droit et théorie du droit, ou l’illusion scientifique

Possibilité et limites d’une science du droit

Ce dernier texte commence ainsi :

Si les travaux qui se présentent explicitement comme relevant d’une science du droit sont rares, bien plus rares encore sont les contributions à une recherche épistémologique sur la possibilité et le statut de cette science.

Il y a donc peu de chance que tu puisse trouver une approche scientifique du droit en allant à la faculté .

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Bonjour @etherpin !

En préalable, il convient de s’interroger sur la notion de science. Il est bien évident que la science musicale a une approche très différente de la science astronomique.

Bien évidemment. Toutefois, ce ne sont pas les diverses formes que peut adopter la science que je vise (et tu sembles l’avoir compris tant les ressources vers lesquelles tu m’as renvoyées me paraissent pertinentes) mais bien les choses qui se font passer pour de la science mais qui n’en sont pas. D’ailleurs, bien que je reste le produit de mon siècle, je ne porte pas fortement en moi le préjugé selon lequel une science devrait obligatoirement reposer sur une approche quantitative des choses; je pourrais donc concevoir que certaines sciences ne chiffrent pas tout de fond en comble, la démarche scientifique étant, àmha, d’abord un positionnement philosophique avant d’être une pratique. Cependant, les premières représentations que l’université m’a donné du droit semblent bien loin de celles que je me fais de celles de la science, même celles ne reposant pas sur une approche fortement basée sur le quantitatif.

Il y a donc peu de chance que tu puisse trouver une approche scientifique du droit en allant à la faculté .

Mh, c’est bien ce que je craint. Je vais aller malgré tout lire tous les papiers - je m’étonne de ne pas être tombé dessus plus tôt - que tu m’as recommandé pour me faire mon avis. Merci beaucoup.

Cela dit, si d’autres interventions souhaitent fournir des papiers d’épistémologie qui envoient des signaux contraires (ou pas), je suis preneur ! Et pas que des papiers, d’ailleurs. S’il y a des juristes dans le coin, je prends les expériences aussi. :D

La science juridique étudie fondamentalement l’être humain, la société humaine et est donc, par essence, imparfaite parce que l’objet de l’étude est imparfait et subjectif.

Bien sûr, et tu auras l’occasion de le constater dans le cadre de tes études, il y a une méthodologie de recherche en matière juridique. Il y a de la doctrine, de la jurisprudence. Parfois, les positions sur un sujet donné seront unanimes (ou à tous le moins, majoritaires), parfois les divergences de vue entre spécialistes, entre juridictions seront plus prononcées.

Mais c’est ce qui fait (aussi) la beauté des métiers du droit. Personne n’a la réponse à toutes les questions, chaque situation juridique, chaque dossier est unique et il faut se garder de nos propres biais.

La science juridique est l’étude des règles de droit qui régissent la conduite des hommes et des femmes en société. Contrairement à la physique (ou d’autres branches), une même étude ne donnera pas forcément le même résultat parce que l’objet de l’étude n’est fondamentalement pas objectivable. Mais cela ne signifie pas — pour autant —  qu’il n’existe pas une méthode de recherche (comme pour toutes les autres sciences humaines). Ce qui diffère, c’est l’interprétation d’une situation donnée (par exemple, la question de l’admissibilité des preuves récoltées illégalement dans une procédure pénale ou civile) mais la doctrine, la jurisprudence utilisent une méthodologie juridique (recherche de décisions similaires, étude des travaux préparatoires d’une loi, recherches doctrinales, etc.).

C’est cette subjectivité inhérente à la société humaine, cette imperfection qui rend la pratique et l’étude du droit intéressante. Il y a une certaine beauté dans l’évolution de la pensée juridique au fur et à mesure de l’avancement de la société civile.

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La science juridique étudie fondamentalement l’être humain, la société humaine et est donc, par essence, imparfaite parce que l’objet de l’étude est imparfait et subjectif.

[…]

Contrairement à la physique (ou d’autres branches), une même étude ne donnera pas forcément le même résultat parce que l’objet de l’étude n’est fondamentalement pas objectivable.

C’est un peu circulaire comme argument. On qualifie l’humain d’imparfait/d’irrationnel/de subjectif parce qu’on n’a pas trouvé de modèle rationnel qui décrit le comportement humain de manière convaincante. Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas de tel modèle, et donc que "l’imperfection" des sciences humaines en général est intrinsèque. Ça peut aussi être juste qu’on est mauvais à nous modéliser nous-mêmes. En pratique, ça change pas grand chose au problème celà-dit.

La science juridique étudie fondamentalement l’être humain, la société humaine et est donc, par essence, imparfaite parce que l’objet de l’étude est imparfait et subjectif.

[…]

Contrairement à la physique (ou d’autres branches), une même étude ne donnera pas forcément le même résultat parce que l’objet de l’étude n’est fondamentalement pas objectivable.

C’est un peu circulaire comme argument. On qualifie l’humain d’imparfait/d’irrationnel/de subjectif parce qu’on n’a pas trouvé de modèle rationnel qui décrit le comportement humain de manière convaincante. Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas de tel modèle, et donc que "l’imperfection" des sciences humaines en général est intrinsèque. Ça peut aussi être juste qu’on est mauvais à nous modéliser nous-mêmes. En pratique, ça change pas grand chose au problème celà-dit.

adri1

Je suis assez d’accord. Cela étant, les sciences humaines essaient depuis des années d’y parvenir sans succès. Je ne vois que deux raisons possibles : soit ce caractère imparfait rend l’objectivation impossible (et quand on voit, par exemple, l’irrationnalité de certaines décisions prises par le ouvlir russe dans le conflit ukrainien, on ne peut que constater que cet élément imprévisible existe), soit comme tu l’indique, que nous n’avons pas trouvé le modèle adéquat et dans ce cas je m’interroge sur la manière dont on pourrait y parvenir.

À ce stade, en tous cas, la première interprétation peut (je pense) offrir une piste de réflexion à l’interrogation de l’OP.

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Par ailleurs, je précise une chose :

Ce dernier représente ce sur quoi les scientifiques sont globalement d’accords ou, dit autrement, ce que les scientifiques reconnaissent comme une connaissance. Donc ça justifie effectivement que l’on enseigne quelque chose à des étudiants, puisque l’on estime que l’on a des connaissances scientifiquement établies.

C’est également vrai pour le droit. Il y a des consensus.

Par exemple, il n’existe pas de jurisprudence divergente sur le principe non bis in idem applicable en droit pénal, pas de divergences sur les règles du droit des successions.

Les divergences se posent sur des points précis du droit.

Par exemple, les règles relatives à la filiation et la jurisprudence y relative sont plutôt bien établie. Par contre certaines thématiques plus précises, comme la gestation pour autrui, soulèvent des questions juridiques (et sociétales) nouvelles… Et là, oui, il existe des positionnements plus conflictuels.

Mais justement, dans l’enseignement, ces divergences sont expliquées. Selon les interprétations et la jurisprudence existant, les étudiants sont invités à la réflexion sur le sujet.

Mais tu es en L1, c’est encore le tout début de ton parcours au sein de la faculté de droit. Tu vas, au cours de ton cursus, apprendre les règles établies avant d’étudier ces questions. ;)

Et tu verras — une fois devenu praticien du droit — l’intérêt et l’attrait de ces questions juridiques. ;)

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Salut @Arius,

Sans aucune animosité aucune, j’attendais cette réponse qui est celle typique d’un juriste ou au moins d’un "humain qui fait du droit". :P

Nos professeurs nous l’ont sortie très souvent. Et c’est motivant, je dis pas, très motivant même. Mais ça ne répond pas à mes inquiétudes.

@adri1 a déjà pas mal amorcé ce que j’aurais pu opposer à cette interprétation (tautologique selon moi). Cependant, j’aimerais apporter quelques éléments "à charge" supplémentaires. Encore une fois pas dans une optique de "défoncer la science juridique" mais bien parce que y’a un "truc" qui me dérange dans quelque chose que j’estime beaucoup.

Je vais me risquer à comparer ce qui me paraît comparable à la science juridique (science humaine et sociale): la psychologie (science humaine et sociale). Bien qu’il y ai encore quelques débats et donc des désaccords, l’objet de cette science semble être relativement stable. Au moins d’apparence. Je l’accorde ça a l’air d’être moins le cas pour la psychologie sociale qui dispute son objet en partie avec la sociologie. Il n’en demeure pas moins que je n’ai pas l’impression que l’ensemble de la communauté scientifique de la sociologie (ou de la psychologie) soit en train de se battre par papiers interposés pour répondre à la question

On cherche quoi, en fait ?

Autrement dit, je ne suis pas en train de pointer du doigt le fait que les sciences sociales puissent être imparfaites, je pointe du doigt la santé épistémologique (?), l’état du consensus épistémologique de l’une de ces sciences sociales, qui semble davantage se noyer que les autres (et ce depuis désormais au moins un siècle).

Là où les autres se questionnent sur les méthodes pour décrire les effets découlant de ou contenus par leur objet, la science juridique se questionne sur l’existence même de son objet car elle ne le trouve pas.

Bien, la science juridique ne trouve pas son objet. Mais c’est quoi, mon problème, avec ça, au juste ? Bah ce qui me pose un gros problème c’est de voir avec quelle autorité on assène des vérités qui n’en sont en fait pas du tout. On pourrait s’attendre à une rectitude toute calculée et presque militaire (grossissons le trait jusqu’au bout) dans des disciplines où le consensus scientifique est, soyons gentils, au moins formé. Là, ce n’est même pas le cas. Même le rapport de l'HCERES de mon établissement dit texto

La formation n’est pas adossée à la recherche. Les étudiants sont toutefois initiés à la recherche dans le cadre des TD et peuvent bénéficier des manifestations organisées par les centres de recherche de l’URCA.

Donc, "pas adossée à la recherche" mais un peu quand même ? Mouais.

EDIT: le fait que les cours dispensés en faculté de droit ne soient pas adossés à la recherche scientifique n’est pas une preuve que la recherche en science juridique n’existe pas. En revanche, ça signifie que l’on enseigne hors du consensus scientifique. Ce qui est déjà un signal au mieux pas terrible.

cette partie a été écrite après que le site m’a notifié qu’une nouvelle réponse avait été apportée avant que je ne poste

C’est également vrai pour le droit. Il y a des consensus.

Oui mais qui se basent sur quoi, si l’objet même de cette science n’est pas défini ? En logique, si les prémisses sont fausses, difficile d’obtenir une conclusion vraie. Du coup comment on peut obtenir des conclusions vraies quand ces prémisses n’existent pas, ou une fois sur deux, ou qu’elles se mélangent à d’autres et parfois pas ? J’ai beau ne pas être très cartésien, ça ne me paraît pas logique pour autant.

Si je reprends ta définition de ce qu’est la science juridique, tu dis:

La science juridique est l’étude des règles de droit qui régissent la conduite des hommes et des femmes en société.

Bien, sauf qu’aucun juriste n’est d’accord sur ce qu’est une "règle de droit" ou d’où elle provient (en tout cas dans tout ce que j’ai lu; voir les différents travaux sur le normativisme puis ceux sur le droit politique, entre autres bien entendu), y’en a même qui nie l’existence d’une règle de droit voire du droit en lui-même. Et tous ces juristes ne sont pas des L1 paumés et incultes, se sont pour la plupart des docteurs en droit et qui maintiennent pour autant qu’il y a un arrêt dogmatique très très court dans l’interprétation du droit qui remet en question l’existence même d’une science juridique. J’en viens même à penser que l’on devrait appeler ça davantage une "coutume juridique" qu’une science. Ca n’en dégraderait pas pour autant la richesse des cours mais ça aurait au moins le mérite d’être plus réaliste.

Prenons le papier "Pour un moment épistémologique du droit (constitutionnel)". Xavier Magnon dit:

Pour les juristes, cette démarche constructive impose de disposer d’une théorie du droit, c’est-à-dire d’une description et d’une formalisation globale de ce qu’est et de comment fonctionne le droit en général. Ils doivent disposer d’une définition du droit susceptible de l’identifier quels que soient ses contextes d’application et expliciter comment celui-ci se structure, s’organise en général. Tel est l’objet d’une théorie générale du droit que de proposer une définition et de permettre une identification de ce qu’est le droit en général et de comment il fonctionne, indépendamment de tel ou tel autre droit positif particulier. Une fois posée, cette théorie du droit fournit le cadre conceptuel à partir duquel il sera possible d’observer tous les droits en vigueur quels qu’ils soient et, surtout, au-delà de leurs contingences et de leurs spécificités.

Si l’on parle de proposer une vision commune de ce qu’est le droit, par inférence on peut en conclure qu’il n’y a pas de vision commune de ce qu’est le droit, sinon on n’en discuterait pas. Pour aller plus loin, X. Magnon parle de proposer une nouvelle théorie du droit comme une grille de lecture permettant de lire le monde juridique. Cependant cette nouvelle théorie du droit s’inscrit dans une liste qui ne cesse de s’agrandir mais qui, pourtant, n’a jamais permis de dégager une vision commune. Il y a les normativistes, les iusnaturalistes, les partisans du droit politique (Jus Politicum, p.x.), sans parler des théories marginales dont l’un de mes professeurs, Régis Ponsard, est le concepteur.

Pour conclure je tenterai de retranscrire ce qu’il s’est dit lorsqu’il (Ponsard) s’est fait interpelé par un élève en amphi:

L’élève:

Mais, en définitive, l’interprétation et la valeur de la loi repose sur quelque chose. Il y a des règles avec lesquelles on ne peut pas transiger, n’est-ce pas ?

R. Ponsard (il sourit):

Je vous laisse à vos illusions parce que c’est nécessaire pour la suite de notre cours. Cependant, notez une chose: le droit est un bordel. Un bordel qui se contredit, qui ne résout que très rarement les problèmes pour lesquels on l’a fait naître, voire crée de la violence là où il n’y en avait pas.

Au début je n’en ai rien retenu, jusqu’à ce je plonge mon nez dans l’épistémologie juridique qui n’a rien à envier au Marvel Comics Universe… :-°

Et le pire, c’est que je lis de l’épistémo pour tenter de me convaincre que ça tient la route. Et à chaque fois je suis encore moins convaincu. Exemple avec "Comment concevoir la science du droit aujourd’hui ?" (proposé ici) qui a quand même été publié 36 ans auparavant et on peut constater que des débats identiques traversent la communauté des juristes aujourd’hui.

Et tu verras — une fois devenu praticien du droit — l’intérêt et l’attrait de ces questions juridiques. ;)

J’apprécie énormément ta sollicitude mais il y a de fortes chances que d’autres sirènes m’appellent. >_<

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On cherche quoi, en fait ?

Comme je l’ai dit : l’étude des règles de droit qui régissent la conduite des hommes et des femmes en société.

Alors, de quelles règles juridiques parlons-nous ?

Bah les règles de droit international, les règles pénales, etc. qui sont votées par les parlementaires sur la base d’un corpus antérieur existant (voir plus bas) et qui visent à répondre à de nouvelles interrogations juridiques. Songeons ainsi à la protection de la vie privée, à la gestation pour autrui, l’intelligence artificielle, les neurotechnologies,…

Certaines règles (filiation, etc.) se basent sur des lois établies depuis des décennies. La recherche, dans ce cadre, vise à valider l’applicabilité de ces lois aujourd’hui. Par exemple, la peine de mort a été supprimée, pour quelles raisons ? Est-ce que ces raisons sont toujours valides aujourd’hui ? La conception même du droit pénal a évolué au fil du temps.

Pour d’autres (neurotechnologies, intelligence artificielle,…), tout ou presque est à faire et c’est là que le droit prend tout son sens : il n’est pas cloisonné, enfermé dans sa bulle. La science juridique est, par essence, pluridisciplinaire. On travaille avec des scientifiques (par exemple, les règles qui s’appliquent à l’espace extra-atmosphérique, l’intelligence artificielle), des médecins (sciences biomédicales (oui, on peut aussi faire des sciences dures en fac de droit :p ), j’ai d’ailleurs eu deux cours de sciences biomed et un de criminalistique), de la criminologie, etc.

Jadis, la sanction était la règle. Le droit pénal se voulait purement répressif. Au fil du temps, la recherche a permis de relever que le droit pénal avait d’autres fonctions, en lien avec d’autres sciences (réhabilitation, etc.) et d’autres modes d’application des peines ont été créées (peine de travail, surveillance électronique), la médiation pénale existe aussi, permettant de mettre face à face agresseur et victime.

Bien, sauf qu’aucun juriste n’est d’accord sur ce qu’est une "règle de droit" ou d’où elle provient (en tout cas dans tout ce que j’ai lu; voir les différents travaux sur le normativisme puis ceux sur le droit politique, entre autres bien entendu), y’en a même qui nie l’existence d’une règle de droit voire du droit en lui-même. Et tous ces juristes ne sont pas des L1 paumés et incultes, se sont pour la plupart des docteurs en droit et qui maintiennent pour autant qu’il y a un arrêt dogmatique très très court dans l’interprétation du droit qui remet en question l’existence même d’une science juridique. J’en viens même à penser que l’on devrait appeler ça davantage une "coutume juridique" qu’une science. Ca n’en dégraderait pas pour autant la richesse des cours mais ça aurait au moins le mérite d’être plus réaliste.

Une règle de droit provient de plusieurs sources (lois, arrêtés, jurisprudence, traités internationaux,…)… et la coutume est une règle de droit (principalement en droit international, mais pas que). Les preud’hommes, par exemple, sont nées d’une coutume. Enormément de règles de droit international (par exemple, le fait que "tuer des diplomates, c’est pas bien :p") sont nées de la coutume (et pour le coup, elle remonte à loin : l’antiquité).

Donc une règle de droit, si ça fait même des milliers d’années qu’on sait d’où ça vient, comment cela s’établit et, plus important encore, comment la faire évoluer. Le droit est intrinsèquement lié à l’humanité. L’être humain a toujours cherché à régir la vie en société pour assurer la paix sociale et encadrer (de manière impérative ou supplétive, selon que l’on souhaite ou non laisser une marge de manoeuvre entre les contractants) les échanges. Donc les règles de droit ont une origine aussi vieille que le monde. Elles n’arrivent pas comme ça, pouf, par magie. Le droit est indissociable de l’Histoire (c’est notamment pour cela qu’on refourge des cours de droit romain, qu’on étudie le Code Napoléon, etc.).

Etudier le droit, c’est étudier (aussi) les rapports humains. Comprendre comment le droit est influencé et influence les relations humaines. Et pour réaliser l’impact du droit sur nos vies, rien de tel qu’un exemple issus d’un des mes cours de droit :

When one thinks about international law, various images and ideas may pop in your mind: you may think at war and peace between nations, ongoing humanitarian crisis, or other global issues, like global warming or the protection of the environment. You may also think at the protection of basic human rights, from the freedom of speech and of demonstration to the right to food or the promotion of social rights for workers. Or more dramatically, you may think at despicable international crimes, in the context of violent uprisings or acts of terrorism. You may think at more personal dramatic events that affected your family in recent years, or at more distant events that made history and allowed for your parents or grand-parents to meet, or events that forced your family to migrate.

On a more peaceful note, you may just think at your latest long-distance flight, getting a visa at the embassy of the country you visited, or at the fruits from exotic places you bought yesterday at the supermarket. Maybe you’re employed or someone in your family is employed by a large transnational corporation and you’ve been living abroad because that company made investments there.

Or you have sailors in your family, commercial pilots or engineers working on off-shore oil platforms. Or just take your smartphone and look at it, and imagine, besides of course the incredible engineering and technology that made it, imagine the amount of law that was indeed going into it: not only the fact that you bought it and that you have also contracted with a phone company, which are largely issue of domestic law, but also the oceans, the phone has travelled after having been manufactured, the minerals that had to be extracted to make the components and that were exported, the patents that protect the software in all jurisdictions, the agreements that have been contracted in order for the data that you download to travel around the planet at the speed of light, etc.

As much as our daily lives are constantly influenced and shaped by rules of domestic law that go most of the time unnoticed, they are also increasingly influenced and shaped by rules of international law.

At a time of globalization, this does not come as a surprise: the more we interact with each other, the more we need common rules to sustain that interaction and make it predictable. Law mediates between us and offers us a common ground for action. And the complexity resulting from interaction calls for more law.

Je suis par ailleurs fortement en désaccord avec ce cher M. Ponsard car, si — comme dans d’autres sciences — on ne badine pas avec certaines règles juridiques (le principe non bis in idem que j’ai cité plus haut en est un exemple) aucune règle n’est en soi immuable. Certaines règles évoluent quand on prouve qu’elle ne reflète pas la réalité. C’est vrai pour certaines règles dans les sciences "dures", c’est également vrai, à plus forte raison même, dans la science juridique. Typiquement, les règles pénales qui sous-tendaient la peine capitale, la torture, etc. ont été battues en brèche et purement exclues de nos systèmes judiciaires.

Donc, "pas adossée à la recherche" mais un peu quand même ? Mouais.

Je ne sais pas trop ce qu’il en est en France, mais en Belgique, les deux sont indissociables (d’ailleurs, le travail méthodologique vise justement à se nourrir des papiers des uns et des autres).

J’apprécie énormément ta sollicitude mais il y a de fortes chances que d’autres sirènes m’appellent. >_<

Je crois effectivement, et sans animosité, que le droit n’est peut-être pas la voie qui t’intéresse le plus si tu n’en perçois pas les nuances (bien qu’en L1, il est peut-être un peu tôt) et que tu as besoin de quelque chose de plus structurant à ce stade. Tout le monde n’est pas faire pour être juriste (ou devenir astronaute), ce qui compte c’est de trouver sa voie. Personnellement, je suis parti d’un cursus technico-scientifique vers le droit, et il n’y a pas de si grandes différences méthodologiques. D’autres ont étudié le droit pour au final se tourner vers un cursus scientifique.

Mais attention, il est un tort de penser que seule la science juridique serait un "bordel". Les nuances n’existent pas uniquement pour la science juridique. L’astrophysique est par exemple un autre domaine où les interprétrations peuvent être très très divergentes1. Il y a souvent des papiers qui se contredisent les uns les autres et puis, petit à petit, en fonction de l’évolution de la recherche, un consensus nait. Cela n’est guère différent pour le droit.


  1. Ainsi, non seulement il n’y a pas encore de consensus sur (par exemple) la manière dont la vie a pu commencer sur Terre, mais il n’y a même pas d’accord sur l’endroit où elle a commencé (ça fuse dans tous les sens, c’est un "bordel" pour reprendre ton expression ;) ). Autre exemple, jusque dans les années 80 (environ), la plupart des astronomes pensaient que les quasars étaient des noyaux actifs de galaxies (NAG) et que la source d’énergie des NAG provenait de l’accrétion d’un trou noir massif. Il existait plusieurs arguments à l’appui mais d’autres astronomes ont fait une véritable levée de bouclier contre cette hypothèse. Aujourd’hui, il y a un consensus sur une partie (consistant à dire qu’un quasar est une région active autour d’un trou noir) de la question, mais des divergences existent encore au sujet de ces quasars et ces divergences peuvent exister durant des décennies. Tout comme en droit, on informe les étudiants à propos de ces divergences d’opinion.
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Je crois effectivement, et sans animosité, que le droit n’est peut-être pas la voie qui t’intéresse le plus si tu n’en perçois pas les nuances […] et que tu as besoin de quelque chose de plus structurant à ce stade.

Je pense surtout que nous ne nous comprenons pas ou ne nous sommes pas d’accords ou un peu des deux. Mon propos de base c’est que j’ai l’impression qu’un bon nombre de choses gravitant autour de la discipline ne tient pas à grand-chose et le comportement de mes professeurs de TD n’ont pas arrangé la chose. Quand j’ai peu ou prou posé la même question à un prof de TD, le seul truc qu’il a su me répondre c’est "si vous cherchez des réponses arrêtées, vous êtes mal tombé". Et pour le contexte, la question était juste "et donc euh… on sait pas ce qu’est précisément le droit ?". Ce sera dans la même faculté que l’on te dira "bah on sait pas" et tout de suite derrière "le droit c’est le droit, mon bon ami, il est aussi matériel que mes bottes".

Donc certes, y’a de l’histoire et c’est probablement la seule chose qui me parait tangible et cohérent et qui, justement, apporte une bonne vue d’ensemble de comment l’organisation des sociétés s’est faite tout du long. Le reste paraît si décorrélé du réel (savoir appliquer un syllogisme ne saurait servir de fondement à quoi que ce soit, àmha) que ça m’a poussé à venir poser ma question.

Je ne sais pas trop ce qu’il en est en France, mais en Belgique, les deux sont indissociables

Bah ça basiquement ça fait encore une fois partie des énièmes débats de la "science juridique" qui ne sont pas tranchés et qui pourtant me paraissent cruciaux pour enseigner quelque chose. Le droit (terme polysémique à souhait pour le meilleur comme pour le pire) c’est:

  • la science juridique donc l’étude des règles de droit (définition circulaire) ?
  • Le phénomène (idem) ?
  • Les normes juridiques (idem) ?
  • La communauté des praticiens du droit (idem) ?
  • La communauté des théoriciens du droit (idem) ?
  • Les juges ?
  • Les institutions politiques ?
  • Un peu de tout ça ?
  • Joker ?

Suivant la réponse, on se positionne dans une théorie ou dans une autre mais, objectivement, on ne décrit pas le droit.

Mais attention, il est un tort de penser que seule la science juridique serait un "bordel".

Non, justement, je n’ai rien contre le "bordel" a priori. C’est encore une fois pour ça que je pense que je m’exprime mal. Ce n’est pas le débat scientifique qui m’apparaît comme illisible (je l’ai même précisé dans l’une de mes premières interventions), au contraire. Aucune nouvelle idée ne peut voir le jour sans ça. C’est plutôt d’ériger ce que l’on appelle aujourd’hui le droit comme une vérité tangible que tout le monde pourrait voir, d’en parler comme si c’était évident, alors que l’état de la recherche épistémologique à ce niveau est au point mort et ne tranche rien. Xavier Magnon dit que c’est précisément le problème de "l’épistémologie" actuelle du droit qui est trop neutre en s’interdisant de trancher (cf. la source que j’ai fournie).

Enfin bref, je suis déjà en train de rédiger un nouveau pavé. Donc je m’arrête là et je prends bien tout en note ce que tu me dis. Après tout tu es un petit morceau de la doctrine :p

PS: Concernant R. Ponsard, il ne dit pas que les normes sont immuables. Du peu que j’ai récupéré de son cours, c’est même strictement le contraire puisque sa théorie se base sur l’idée que chaque norme juridique est "digérée" par la société et de cette digestion, composée des habitus, de la morale et des codes sociaux locaux, ne reste que ce que l’on appelle le droit. Il défend aussi l’idée que l’analyse d’une situation juridique doit reposer sur l’histoire, la linguistique, la sociologie et la psychologie et toutes les sciences auxiliaires qui pourraient permettre de sonder le plus précisément possible l’impact d’une norme donnée sur la société - et réciproquement - pour constater l’état de cette "digestion".

PS (bis, désolé…): Pour rebondir rapidement sur ta note de bas de page concernant le fait que l’on ne puisse pas dire aujourd’hui où est-ce que la vie est apparue sur Terre et donc que je verrais ça comme un "bordel": pas du tout. Ca n’a rien de problématique parce que l’arrêt dogmatique est très large. Evidemment que l’on doit, à un moment donné, appliquer un arrêt dogmatique dans notre argumentation, sinon on régresserait et il serait tout bonnement impossible de recherche quoi que ce soit. Cependant, comparer notre ignorance quant aux origines de la vie sur Terre à notre difficulté de définir clairement et formellement ce qu’est le droit dans ses détails, ce serait alors estimer que l’arrêt dogmatique devrait se placer à "le droit, c’est le droit", tout comme on dit "bon, y’a eu de la vie sur Terre et point barre". Sauf que si le second ne pose pas vraiment de soucis sur le moyen-terme (voire le long-terme) pour effectuer de la recherche, comment ne pourrait-il ne pas en être autrement pour le premier ? Oui, je sais, "l’objet d’étude n’est pas objectivable", toussa, mais quand même.

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Je pense surtout que nous ne nous comprenons pas ou ne nous sommes pas d’accords ou un peu des deux. Mon propos de base c’est que j’ai l’impression qu’un bon nombre de choses gravitant autour de la discipline ne tient pas à grand-chose et le comportement de mes professeurs de TD n’ont pas arrangé la chose. Quand j’ai peu ou prou posé la même question à un prof de TD, le seul truc qu’il a su me répondre c’est "si vous cherchez des réponses arrêtées, vous êtes mal tombé". Et pour le contexte, la question était juste "et donc euh… on sait pas ce qu’est précisément le droit ?". Ce sera dans la même faculté que l’on te dira "bah on sait pas" et tout de suite derrière "le droit c’est le droit, mon bon ami, il est aussi matériel que mes bottes".

Bah, c’est que tes profs sont des branques ou sont tellement perchés dans l’étude de la philosophie du droit qu’ils en oublient les fondamentaux. Il y a bien entendu une question épistémologique, mais je ne crois pas que cette dimension devrait être enseignée "avant" l’apprentissage du droit matériel. Ça devrait être l’inverse.

J’ai toujours trouvé les cours de L1 trop décorrelés du droit. Surtout quand on a, trop souvent, des profs qui se la jouent et rendent le droit moins abordable qu’il ne l’est en réalité.

Alors bien entendu, les règles de droit ne sont pas en soi intangibles. Comme en sciences, il y a des règles qu’on pensait nettement définies… jusqu’à ce que le contraire arrive.

Tel était le cas des règles relatives au mariage ou à la filiation jadis. Il y a eu une différence notable entre la société civile qui concevait qu’on puisse avoir des relations extraconjugales et la justice qui se rattachait dur comme fer à la norme de droit.

Tu voulais savoir ce qu’est le droit et d’où il vient, je n’ai pas eu de difficultés à te le dire. Certes, le but ici n’est pas de faire un cours mais je peux t’assurer que rares sont les praticiens qui vont dire "Oh… le droit n’existe pas" ou "En fait, il n’y a pas de règles de droit", "mais qu’est-ce que le droit ?!". Le droit existe dans la moindre de nos actions. Tous les jours. Les gens n’y prêtent pas attention car même les choses les plus "naturelles" comme acheter un pain… est en réalité du droit. Aucun juriste ne fait de dépression parce qu’il ou elle soudainement eu l’impression que le droit n’existait pas. :D

Si, il existe et il y a des règles bien définies dans toutes les branches du droit. Il y a des règles que l’on doit appliquer (par exemple, dans l’interprétation d’une notion juridique), il y a des règles d’ordre public qui n’appellent aucune convention contraire (par exemple, on ne peut signer un contrat visant à assassiner quelqu’un, l’objet du contrat étant illicite), il y a des règles impératives établies par le législateur dans les lois votées qui visent à protéger une catégorie de personnes dans un domaine précis (les consommateurs en droit de la consommation, par exemple) et il y a des règles supplétives, surtout en matière contractuelle, parce que le législateur a choisi de laisser la possibilité aux gens de contracter comme ils le souhaitent.

Il y a donc, contrairement à ce que tu relèves, une tangibilité du droit (sinon, on ne pourrait pas faire notre boulot). On fait d’ailleurs référence au "droit matériel", soit toutes les règles qui permettent d’appliquer le droit.

Mais tangibilité ne veut pas dire immuabilité ou Vérité dogmatique. Ce fut le cas jadis. Aujourd’hui, le droit est bien perçu comme devant évoluer et s’adapter à la société (mœurs, etc.). La société civile accepte difficilement que le droit reste en retard. Les règles de droit peuvent en soi évoluer pour s’adapter. Pourquoi ? Parce qu’elles visent à encadrer la vie en société et, dans une société démocratique, le peuple (via ses députés) peut dire qu’on devrait par exemple permettre aux couples homosexuels d’avoir des droits et de s’unir.

Alors, évidemment, tout n’est pas remis à zéro du jour au lendemain. Mais, à la manière d’une loi en sciences qui se révélerait fausse, rien n’est en soi immuable.

Ma note visait justement à relever que le débat peut rendre la science illisible, au vu du volume d’informations contradictoires. Mais ça n’en reste pas moins un élément essentiel du domaine scientifique.

Ma réponse n’est pas une réponse de "juriste" en ce que je défendrais "bec et ongle" le droit. Elle est liée au fait que le cursus que j’ai choisi m’a directement mis dans le cambouis. J’ai non seulement étudié l’origine du droit mais aussi ce qu’est le droit dès la première année.

Et je n’ai jamais eu de doutes sur ce qu’était le droit, sur la recherche scientifique dans le domaine, etc. parce que, durant mes études, j’ai eu l’occasion de voir comment et pourquoi le droit était appliqué de telle ou telle façon.

En première année, on se coltine souvent des profs qui introduisent (mal) au droit en se limitant à asséner des généralités et ne jamais répondre en pratique à une question. Mais ce n’est pas la faute du droit, c’est la pédagogie du prof.

https://zestedesavoir.com/articles/4388/meurtre-sur-mars-le-droit-penal-face-a-la-colonisation-de-lespace/

Cet article, par exemple, montre foncièrement comment on imagine le droit face à une situation nouvelle.

Si l’on ne comprenait pas ce qu’est le droit, ce serait un peu compliqué à faire. ;)

Mais vraiment, en L1, tu n’as pas encore le recul nécessaire car tu n’es pas vraiment entré dans la matière. L’introduction au droit en première année est notoirement mauvaise (c’est d’ailleurs en révision en Belgique, je ne sais pas ce qu’il en est en France) parce que trop décorrelée des cours que tu auras en 2e et 3e, et la suite du cursus. Pourtant, c’est en étudiant le droit administratif, le droit pénal etc. que l’on apprend la méthode et le droit (son origine, où il en est aujourd’hui et comment il pourrait évoluer), mais surtout les véritables questions que se posent les juristes (et non, ce n’est pas "qu’est-ce le droit ?" :D ).

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Salut,

Je n’y connais rien en droit. Je voulais élargir le point de vue aux autres disciplines du savoir, ce que vous avez commencé à faire. J’ai l’impression que le point de vue « le droit c’est le bordel et les autres disciplines savent mieux ce qu’ils font » est biaisé par le fait que de nombreuses autres disciplines se font une meilleure pub.

Les maths, emblématique temple de la rigueur… où au début du 20esiècle, les fondations étaient tellement douteuses que les mathématiciens se sont mis à tout refonder pour être sûr d’avoir une base logique solide ! Et maintenant, on continue à se questionner sur quelles sont les bonnes bases pour avoir les bons théorèmes, et encore, c’est pas le pire. Et puis l’objet des maths modernes est fort différent de ce qu’il a été auparavant.

La physique, la nature presque entièrement comprise il y a un siècle et qui se retrouve maintenant incapable de connecter ses deux théories majeures ! Surtout quand une des deux théories tient plus du jet de dés que de la « vraie » physique. Tout tient avec des bouts de ficelle, heureusement qu’on le cache aux premières années ! Et pourtant, c’est une des disciplines les plus fructueuses actuellement, notamment pour son utilité en ingénierie.

Bref, il y a toujours des querelles, des controverses ou des divergences, des zones d’ombre, dans toutes les disciplines. Je pourrais encore trouver des exemples, y compris récents, même dans les disciplines les plus respectables. Il y a des disciplines où ces débats sont plus visibles, et ça montre peut-être un certain degré de maturité ou difficulté d’étude plus grande, mais c’est quelque chose de normal pour moi.

Bref, quand on me dit que le droit, c’est en gros l’étude des règles de droit et leurs diverses sources (coutume, arrêtés, etc.), je trouve que c’est déjà bien suffisant. Le reste c’est un débat, comme il y devrait y en avoir au sein de toute discipline saine. Si on n’est pas sûr de tout, tant mieux, ça veut dire que ça n’est pas dogmatique. :D

Salut,

Pourtant, c’est bien ce qu’il se passe aujourd’hui avec le droit: aucun juriste ne semble pouvoir se targuer de connaître l’objet d’étude de sa science

RandomConsoleCowboy

C’est une question profondément philosophique que tu poses ici et le droit n’est pas la seule discipline à en souffrir si tu pousses le même raisonnement un peu plus loin. La biologie est par exemple l’étude du vivant. Alors on voit un peu près ce que c’est le vivant, on en a même une idée assez précise, maintenant est-ce que l’on en a une définition définitive et complète, non. Cela n’empêche pas la discipline d’exister et d’étudier, dans les faits et pour ce que l’on en connaît, le vivant.

C’est un peu pareil pour le droit, ce n’est pas parce que tu n’en a pas une définition claire et définitive que tu ne peux pas étudier le droit tel qu’il existe et est reconnu aujourd’hui.

Tu peux faire botter en touche pas mal (si pas toutes) les disciplines si tu pousses les questions existentielles ou philosophiques assez loin, pour la simple et bonne raison qu’on a actuellement pas de réponse claire et définitive sur celles-ci : « qu’est-ce que la vie ? », « qu’est-ce que l’Univers » (oui, je sais, on en a une description assez détaillée, mais non complète), etc.

Ce genre de questions existera probablement toujours et si elles génèrent en toi de l’anxiété, il va probablement falloir essayer de vivre avec, parce qu’il n’y aura probablement pas de réponse à celles-ci, soit avant un long moment, soit jamais.

Vais-je me retrouver, à l’inverse, dans une sorte de mélange de politique et d’opinions dans lequel on désigne du "juridique" ici et là, sans jamais trop savoir qu’est-ce qui est juridique de ce qui ne l’est pas ?

RandomConsoleCowboy

La politique et le droit sont de mon point de vue les deux faces d’une même pièce. Les deux ont un même objet : régir la vie en société. Si le droit n’a pas pour seule source la politique et si la politique n’a pas uniquement pour objet de régir la société par des règles, les deux sont intrinsèquement liés. Établir des règles régissant une société est politique et implique un équilibre entre des opinions divergentes (ou d’imposer une opinion par la force en s’en foutant complètement des autres :p ).

C’est d’ailleurs dans ce cadre que ta question initiale : « qu’est-ce que le droit » prends encore davantage sens. Qu’est-ce qui différencie les règles imposées par un État dit « démocratique », d’un autre, « dictatorial » ? S’agit-il de droit dans les deux cas ? Quid des règles imposées au sein d’une organisation mafieuse, s’agit-il toujours de droit ? Et, dans la négative, qu’est-ce qui les différencie ?

Comme l’a dit @Arius, ce sont des questions propres à la philosophie du droit et la réponse n’est pas évidente. Cela reste toutefois très intéressant comme sujet d’étude.

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Whoa. Si ça continue, il va falloir diviser ce fil de discussion en tomes. :-°

Bon, déjà, merci infiniment à tous et toutes pour vos interventions, toutes utiles à mes yeux (d’où le fait que la plupart des posts soient maintenant verts… 😅 ). J’avoue humblement avoir porté le préjugé que @Aabu a su pointer et, au vu des exemples que vous m’apportez (notamment à propos des mathématiques et de la physique), je peux difficilement continuer à utiliser ce critère pour comparer la science juridique des autres (sciences).

@Taurre

La biologie est par exemple l’étude du vivant. Alors on voit un peu près ce que c’est le vivant, on en a même une idée assez précise, maintenant est-ce que l’on en a une définition définitive et complète, non. Cela n’empêche pas la discipline d’exister et d’étudier, dans les faits et pour ce que l’on en connaît, le vivant.

Effectivement, je ne m’étais pas amusé à comparer cet objet. Mais j’attendais justement des personnes travaillant dans ou s’intéressant à d’autres sciences pour venir me dire si je me trompais ou non dans ce raisonnement. En partant de là, je suis assez d’accord que ça serait très piégeux d’attendre une définition claire et définitive de l’objet pour débuter des recherches puisque ça pourrait découler vers une sorte de régression récursive de la recherche (objet pas clair ➡ pas de recherche ➡ …).

Ce genre de questions existera probablement toujours et si elles génèrent en toi de l’anxiété, il va probablement falloir essayer de vivre avec, parce qu’il n’y aura probablement pas de réponse à celles-ci, soit avant un long moment, soit jamais.

L’histoire de ma vie, un peu. :D

Je ne vais pas le cacher, ça me dérange de ne pas avoir des réponses à ces questions. Mais de ce que vous semblez me dire, ne pas pouvoir répondre à certaines problématiques fondamentales sur lesquelles reposent sa science est le lot du chercheur et du jeune universitaire, indépendamment de sa discipline. Donc j’essaierai de me débrouiller avec ça, sans éluder les critiques que je pourrais émettre pourvu qu’elles soient étayées et on verra ce que tout ceci me réserve.

D’ailleurs, @Arius, ta description de la L1 correspond assez fidèlement au ressenti que j’ai eu pendant le peu de temps où j’ai assisté aux cours (encore une fois en dehors de l’Histoire). Décorrélé du réel, sans fondements. Aucune relation abstraction-réalité en dehors, paradoxalement, des cours de droit numérique que l’on nous dispensait. Donc je suis assez étonné que tu me dises que la L2 ainsi que les années suivantes soient différentes de ce que l’on nous enseigne en L1 mais j’en prends bien note et vais y réfléchir.

En tous cas, tu respectes l’une des règles non écrites de tout praticien du droit […]

Damnède. Manquerait plus que je sois un crypto-apprenti-juriste. Ca aurait le mérite de rendre toute cette discussion très méta.

Merci encore en tout cas !

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D’ailleurs, @Arius, ta description de la L1 correspond assez fidèlement au ressenti que j’ai eu pendant le peu de temps où j’ai assisté aux cours (encore une fois en dehors de l’Histoire). Décorrélé du réel, sans fondements. Aucune relation abstraction-réalité en dehors, paradoxalement, des cours de droit numérique que l’on nous dispensait. Donc je suis assez étonné que tu me dises que la L2 ainsi que les années suivantes soient différentes de ce que l’on nous enseigne en L1 mais j’en prends bien note et vais y réfléchir.

C’est le retour systématique des étudiants. Tu n’es pas le premier.

Effectivement, la L2, c’est vraiment l’entrée en matière : droit pénal, administratif, droit civil, droit des obligations (attention à celui-ci). En France, je sais que selon les cursus, tu as aussi des cours/TD en anglais (current legal issues, droit européen,…), philosophie du droit etc.

C’est fréquemment interprété comme la pire année car le volume d’informations à digérer peut être impressionnant.

Le volume redescend en L3 car à partir de la 3e année, les étudiants sont rodés, connaissent les bases du droit. Donc là, il y a déjà des cours avec une granularité plus intéressante (droit international public et privé, vous avez en France des cours de procédures, de contentieux,…). Et une fois arrivé dans le programme de Master, généralement on sait ce qui nous intéresse ou moins, mais c’est la meilleure partie car mis à part les cours obligatoires du programme, le gros des cours est à la carte. Tu as beaucoup plus de cours d’options qu’en licence.

Mais c’est vrai que la L1 dans d’autres branches est beaucoup plus intéressante. Je ne sais pas pourquoi les facultés persistent à caser ces cours en L1. Pour moi, ils ne sont intéressants qu’après avoir déjà vu les bases du droit tel qu’il est appliqué aujourd’hui. C’est compliqué de trouver un sens au droit sans véritablement avoir eu l’occasion d’y toucher à ce stade.

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Je ne vais pas le cacher, ça me dérange de ne pas avoir des réponses à ces questions. Mais de ce que vous semblez me dire, ne pas pouvoir répondre à certaines problématiques fondamentales sur lesquelles reposent sa science est le lot du chercheur et du jeune universitaire, indépendamment de sa discipline. Donc j’essaierai de me débrouiller avec ça, sans éluder les critiques que je pourrais émettre pourvu qu’elles soient étayées et on verra ce que tout ceci me réserve.

RandomConsoleCowboy

Pour compléter ce que tu dis : s’interroger sur l’objet de tes études n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire. D’une part cela te permet de conserver un regard critique (les professeurs de droit qui perdent pieds avec la réalité, c’est pas ce qui manque :-° ) et d’autre part cela ouvre la voie à de vraies questions, qui ne sont pas anodines.

À la question « qu’est-ce que le droit ? », tu as une partie de la philosophie du droit qui y répond de manière, je dirai « matérialiste », en posant que ce qui fait qu’une règle est du droit ou non est la présence d’un corps capable de les faire appliquer, au besoin par la force. Dit autrement, il n’y a de droit que si la règle est en mesure d’être effectivement appliquée, de manière contrainte si nécessaire. Ce qui fait que pour cette branche de la philosophie du droit, l’État n’est pas le seul à produire du droit puisqu’il n’est pas le seul à pouvoir forcer l’application d’une règle.

Ce genre de réflexion font écho à des théories politiques (on peut penser à l’anarchisme par exemple qui met le pouvoir, dit autrement la contrainte, au centre de sa réflexion) et permettent de mettre en lumière certains aspects du droit que l’on a parfois tendance à perdre de vue alors qu’ils sont à sa source.

En résumé, si ce genre de question ne doit pas t’empêcher de réaliser tes études de manière sereine, ne les laisse pas de côté ou ne les considère pas négativement, questionner les fondements est une excellente chose. ;)

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Tsss ! Fallait que tu cases la référence à l’anarchisme :P

Plus sérieusement, j’approuve et c’est même sain de se poser des questions. Ça peut même faire l’objet d’un mémoire ou d’une thèse de fin d’étude.

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[…]

C’est le retour systématique des étudiants. Tu n’es pas le premier.

[…]

Arius

[…]

En résumé, si ce genre de question ne doit pas t’empêcher de réaliser tes études de manière sereine, ne les laisse pas de côté ou ne les considère pas négativement, questionner les fondements est une excellente chose. ;)

Taurre

Très bien, je vais tâcher de m’en souvenir.

Concernant la partie de la philosophie du droit dont tu parles @Taurre, c’est étonnant, parce que c’est de cette manière que je conceptualise les choses de mon côté1. Je ne pensais pas qu’il y avait déjà eu des travaux à ce sujet. Est-ce que tu aurais des références, sous la main ? Je suis curieux.

Quoi qu’il en soit, merci encore une fois pour toutes vos explications et vos encouragements, j’apprécie beaucoup. Et merci évidemment à toutes celles et ceux qui ont également participé à l’enrichissement de la discussion, que je garderai, de toute façon, sous le coude.


  1. à la différence près que j’en suis arrivé à cette lecture du droit dans le sens "opposé". D’abord une lecture plutôt "anarchique" de la politique - donc du pouvoir - puis du droit (qui est directement lié au pouvoir, donc je ne suis pas très original :D )

Concernant la partie de la philosophie du droit dont tu parles @Taurre, c’est étonnant, parce que c’est de cette manière que je conceptualise les choses de mon côté1. Je ne pensais pas qu’il y avait déjà eu des travaux à ce sujet. Est-ce que tu aurais des références, sous la main ? Je suis curieux.

RandomConsoleCowboy

De mémoire, les éléments que je t’ai donné se basent sur un ouvrage de Lucien François : « Le cap des Tempêtes, Essai de microscopie du droit ». Je préviens ceci dit : comme beaucoup d’ouvrages de philosophie, faut parfois s’accrocher un peu. :-°

(Note : l’ouvrage n’est pas engagé politiquement, du tout, il s’agit d’une réflexion et d’une analyse méthodique philosophique.)

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