« Féminicide » : de quoi parle-t-on ?

Une définition d’un terme que l’on croise de plus en plus

Les médias parlent de plus en plus de « féminicides », heureusement (parce qu’on en parle) et malheureusement (parce que le phénomène existe et donc qu’on a besoin d’en parler).

Conséquence : on entends de plus en plus d’avis sur ce qu’est un « féminicide », pas toujours bien renseignés.

Note de vocabulaire

On rencontre les termes « féminicide » et « fémicide » qui désignent la même chose. « féminicide » semble être plus utilisé en français que « fémicide » et donc j’utiliserai le premier ; mais certains documents – donc celui de l’OMS cité ici — préfèrent « fémicide ».

Ce que n’est pas un féminicide

« Féminicide », ça n’est pas une simple féminisation du mot « homicide ». C’est une erreur courante qui mène à de mauvaises interprétations du problème et des solutions que l’on pourrait à apporter.

Ça n’est pas non plus une tentative de faire parler des « seulement » 20 % de femmes victimes d’homicides en les mettant en valeur.

Enfin, ça n’est pas non plus un simple renommage de ce qu’on appelait « crime passionnel » il y a quelques années (un très mauvais terme, par ailleurs).

Non, la notion de « féminicide » recoupe une réalité très particulière, au point que l’OMS en a fait une définition et une étude, que l’on va voir maintenant.

Ce qu’est un féminicide – selon l’OMS

Toute cette section se base sur ce document (en français), que je vous conseille de lire.

Un féminicide, c’est le meurtre d’une femme.

On s’intéresse ici au genre de la victime, c’est le principal critère. Un féminicide peut être perpétré par une femme, même si c’est assez rare. Si on veut être un peu plus restrictif, l’OMS nous précise ceci :

La définition généralement admise du fémicide est l’homicide volontaire d’une femme, mais il existe des définitions plus larges qui incluent tout meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu’elles sont des femmes.

« Comprendre et lutter contre la violence à l’égard des femmes », OMS, page 1, encadré 1

L’OMS les recoupe en quatre sous-catégories :

  1. Le féminicide intime » (le meurtre d’une femme par un partenaire intime) ;
  2. Le crime « d’honneur » ;
  3. Le féminicide lié à la dot (surtout présent en Inde) ;
  4. Le féminicide non intime (surtout présent en Amérique latine, et qui a souvent lien avec des questions sexuelles).

Dans un féminicide, la victime connait très souvent son assassin – c’est même systématique dans la catégorie 1 par définition, et presque toujours le cas dans les catégories 2 et 3.

Le sujet m’intéresse, comment aller plus loin ?

D’abord, lisez « Comprendre et lutter contre la violence à l’égard des femmes », publié par l’OMS.

Une autre source intéressante d’informations, c’est la série d’articles Assassinées, Enquête sur les féminicides de 2023, de l’excellent journal en ligne Les Jours1. Accès payant, mais le journal vous offre un accès complet et gratuit à leur site pendant 3 jours, et vous n’avez même pas besoin de renseigner de moyen de paiement pour ça.



8 commentaires

Merci pour le billet, il a le mérite de remettre un peu d’ordre dans tout ça.

Après avoir lu le document de l’OMS, je ne trouve pas de réponse a ma question : lorsqu’ils parle "d’homicide volontaire sur des femmes" on est d’accord qu’ils parlent d’identité sexuelle et non d’identité de genre ?

Je m’attendais justement à lire qu’une des catégorie de feminicide est de ne pas être cisgenre. D’ou mon interrogation.

Désolé @firm1 mais je comprends mal ta question.

À priori il n’y a pas vraiment de raison de se baser sur l’orientation sexuelle (comment je comprends l’expression identité sexuelle). Les chiffres de l’OMS se basent sur le genre, ce qui me semble normal. Et il y a bien une catégorie femmes transgenres (et même hommes transgenres pour les meurtriers).

Il semblerait en effet que les femmes transgenres représenteraient une part proportionnellement plus importante des féminicides, en tout cas en France.

https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/statistics/Statistical_framework_femicide_2022.pdf

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J’avoue elle n’est pas claire ma question. Je vais tenter de reformuler.

Si on prend la définition de l’OMS de ce qu’est un féminicide, ça dit (entre autres):

La définition généralement admise du féminicide est l’homicide volontaire d’une femme, mais il existe des définitions plus larges qui incluent tout meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu’elles sont des femmes.

Je ne sais pas si l’OMS parle de femme au sens identité de genre ou simplement au sens identité sexuelle. En fonction de ce qu’ils entendent dans leur rapport par "femmes", les implications pourraient être différentes.

Notamment lorsqu’ils découpent les types de féminicides en 4 catégories :

  • Le féminicide intime;
  • Le crime « d’honneur » ;
  • Le féminicide lié à la dot ;
  • Le féminicide non intime.

J’aurai bien imaginé au moins une 5ème catégorie spécifique aux transgenres dans leur découpage (car j’ai intuitivement l’impression qu’ils y a beaucoup de féminicides liés à la question du genre).

Mais peut-être que je me trompes (mais l’article que tu posté ci-dessus @ache indique effectivement que ça mériterait une catégorie à part de la part de l’OMS)

Je pense pas qu’une catégorie à part ai un sens. Au contraire il me semble.

  • Déjà car le cas est en fait minoritaire, pas assez pour faire une catégorie à part entière je pense.
  • Puis, du coup, tu caches le motif si tu les comptes dans une catégorie à part entière.
  • Enfin j’ai le sentiment ça porte la faute sur la victime de les mettre dans une catégorie à part.

Ce que je ne comprends pas pour ma part est comment sont différentiés les féminicides commit pour simple motif que la personne soit une femme.

Aussi, je suis un tout petit peu critique sur le billet, car le document date de 2012. En 10 ans, les catégories ont je pense un peu évoluée et je ne suis pas sûr qu’on utilise encore le même système.

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Aussi, je suis un tout petit peu critique sur le billet, car le document date de 2012. En 10 ans, les catégories ont je pense un peu évoluée et je ne suis pas sûr qu’on utilise encore le même système.

ache

Je ne pense pas, le sujet évolue très lentement, et le travail de l’OMS est le dernier gros travail à ce sujet qui semble faire référence, surtout dès qu’on veut creuser un peu. Le document est encore utilisé comme référence un peu partout dans des publications récentes (même 2022), militantes (comme celle d’Osez le Féminisme pour qui une reconnaissance légale de ce terme est un combat ancien) ou même des papiers de revues scientifiques (« Le féminicide, est-ce si nouveau ? » ; par Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud, Dans Travail, genre et sociétés 2020/1 (n° 43), pages 149 à 153 ; https://doi.org/10.3917/tgs.043.0149).

On trouve d’autres définitions, comme celle du « Vocabulaire du droit et des sciences humaines » du Journal Officiel français (je ne savais même pas que ça existait) mais c’est vraiment des définitions à minima.

Voici aussi un peu de contexte autour de la création du document cité.

Je ne sais pas si l’OMS parle de femme au sens identité de genre ou simplement au sens identité sexuelle. En fonction de ce qu’ils entendent dans leur rapport par "femmes", les implications pourraient être différentes.

Effectivement, le féminicide est "simplement" le meurtre d’une femme. Il n’y a pas lieu de regarder le motif derrière cet acte. Tout comme un infanticide est le meurtre d’un enfant ou un patricide, le meurtre de son père ou un matricide, le meurtre de sa mère.

On a égard ici à l'action plutôt qu’au motif (ce qui est le cas de certaines peines spécifiquement prévues par le législateur). Ainsi le féminicide est l’acte de tuer une femme.

Enfin, ça n’est pas non plus un simple renommage de ce qu’on appelait « crime passionnel » il y a quelques années (un très mauvais terme, par ailleurs).

Ce n’est pas du tout la même chose, en fait. Le crime passionnel désigne, en criminologie, un meurtre ou une tentative de meurtre dont le mobile est la passion ou la jalousie amoureuse. Il s’applique tant aux hommes qu’aux femmes (H/H, H/F, F/F), bien que le second cas soit effectivement majoritaire.

Cette notion sert surtout à distinguer — je grossis le trait — le criminel ayant passé à l’acte dans un moment passionnel du tueur "professionnel" ou encore, du tueur psychopathe.

D’un point de vue criminologique, il est ainsi — je grossis le trait — usuellement considéré que le crime passionnel a lieu dans un instant de tension. Il est assez fréquent, quand on interroge les détenus, de constater chez eux des regrets quant à leur geste. Par distinction, un tueur professionnel n’éprouve aucune réaction émotionnelle forte. Il avait un "contrat" (ou une mission) et l’a exécuté.

Le crime « d’honneur » ;

Attention que techniquement, un crime d’honneur n’est pas spécifique aux femmes. Il l’est plus souvent que pour les hommes, mais en soi, un jeune garçon ayant des relations homosexuelles pourrait, dans certaines familles, être le motif d’un crime d’honneur. C’est quelque chose qui s’est produit dans des pays comme l’Inde ou le Pakistan.

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Je suis tout à fait d’accord avec toi Arius.

Le passage sur les « crimes passionnels » est là parce que j’ai beaucoup trop souvent lu des variantes autour de :

 féminicide, c’est juste un mot hype pour ce qu’on désignait par « crime passionnel » ou « crime obsessionnel » avant.

Et c’est tout simplement faux.

Pour les crimes d’honneur, c’est l’OMS qui fait cette catégorisation, mais en effet cette catégorie est plus large que les féminicides. De ce que je comprends du document, la catégorie est là pour deux raisons principales : les crimes « d’honneur » sont plus souvent perpétrés contre les femmes que contre les hommes ; et ils servent de prétexte pour couvrir des hommes (cas d’inceste par exemple).

Mais je confirme, il y a des communautés dans lesquelles un homme peut être assassiné sous prétexte « d’honneur ». Par exemple, dans les communautés gitanes du sud de la France dans les années 80 (et peut-être encore maintenant mais je n’ai pas l’information), toute atteinte à l’honneur de la famille pouvait faire l’objet d’un assassinat pour « laver cet honneur », quel que soit le genre de la victime. D’ailleurs, le bourreau pouvait être une femme si les circonstances s’y prêtaient.

Oui oui, mon commentaire visait juste à apporter quelques précisions sur les points soulevés et non à critiquer. Je ne retire pas une ligne de ton billet qui est très juste. :)

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