Tous les ans, le NaNoWriMo — mot valise signifiant « National Novel Writing Month » — se déroule du 1er novembre à minuit jusqu’au 30 novembre à 23 h 59. Il s’agit d’un défi annuel qui consiste à écrire un roman d’au moins 50 000 mots, pendant la période indiquée, dans une langue au choix et sur un thème aussi au choix.
La récompense ? Le plaisir d’avoir participé et d’être parvenu à un tel objectif tout en respectant les règles établies. On parle effectivement de « nano rebels » qui, par exemple, vont commencer l’écriture un peu avant novembre ou reprendre un roman inachevé pendant cette date. La triche est permise, c’est à la discrétion de chacun, mais l’objectif est vraiment de se dire :
J’ai écrit un roman complet de 50 000 mots en un mois et dans les règles.
Dans ce billet, je vais pous parler de mon projet de roman, du déroulement de l’écriture (notamment les apports personnels) et ce que j’envisage pour la suite.
Je dédie ce billet à @SpaceFox et à @lthms dont je me revendique être un humble successeur.
Sauf mention contraire, les illustrations sont soumises à la licence du billet, à savoir CC0.
- Un attrait (un amour ?) pour le Japon
- « L’art est la seule chose à laquelle on survit »
- Un travail de préparation sommaire
- Le déroulement
- Et la suite ?
Un attrait (un amour ?) pour le Japon
Certains qui me connaissent bien — voire très bien savent que j’aime le pays du Soleil Levant et sa culture. Rien d’étonnant puisque nous sommes très nombreux à l’apprécier.
Ajoutez à cela un penchant pour l’écriture (à cause du même penchant pour la programmation ?), un penchant pour les arts martiaux (l’informaticien qui essaie de faire quelque chose de son corps et de son esprit ?), un penchant pour l’Histoire (la curiosité du programmeur qui pousse à explorer d’autres domaines ?)…
Tout cela m’a mené à m’intéresser à une époque au Japon que l’on appelle le Bakumatsu 「幕末」. Cet idéogramme signifie, en gros, « fin du gouvernement sous la tente », où « tente » ici fait référence à la « tente militaire », au « pavillon ». On parle donc de la fin d’une dictature militaire.
En effet, de 1853 à 1869, le Japon traverse une période de doutes, de révoltes, d’escarmouches qui vont conduire à la guerre avec la déstitution du gouverneur militaire, ou shōgun 「将軍」 au profit de l’Empereur qui n’avait jusque là qu’un pouvoir symbolique.
En ce qui concerne les anecdotes de cette période, j’ai été très ému (et je le suis encore) de découvrir qu’il existait un groupe de jeunes rōnin 「浪人」 — des samouraïs sans suzerain — qui se sont rangés du côté du shōgun afin de le protéger jusqu’à la toute fin, tel de vrais samouraïs alors qu’il n’en avaient pas le véritable titre, tout en appliquant dans une rectitude exemplaire le code de chevalerie que les guerriers étaient tenus d’observer : le bushidō 「武士道」. Ce groupe en question, c’est le shinsengumi 「新選組」.
L’un des membres proéminents de ce groupe, Hijikata Toshizō 「土方歳三」 était le vice-commandant de ce groupe. Sur sa page wikipédia, je suis tombé au hasard sur cet extrait :
Un officier français qui reconnaît la valeur d’un Japonais. C’était beau.
Entre temps, j’ai appris que ce personnage avait inspiré le personnage principal du film « Le Dernier Samouraï » et que Napoléon III avait envoyé des Français au Japon pour instruire des samouraïs aux techniques de guerre occidentale.
Des Français. Au Japon. Qui cotoyaient des samouraïs.
Il fallait que j’explore tout cela. Après quelques voyages au Japon et quelques recherches bibliographiques, au fur et à mesure que j’en apprenasse davantage, j’était de plus en plus séduit par ce que je découvrais.
J’étais cependant assez contrarié d’admettre que Brunet avait davantage de popularité au Japon qu’en France, en plus d’être connu grâce à un film qui ne fait que s’en inspirer (très grossièrement). Et s’il n’a pas fait de choses aussi « grandes » que d’autres de nos sommités, fût-ce Jeanne d’Arc ou encore De Gaulle, je me suis quand même dit : et si on essayait de le faire connaître à notre manière ?
Ça, c’est la partie « amour du Japon ». Maintenant, qu’est-ce qui m’a donné envie d’écrire un roman ?
« L’art est la seule chose à laquelle on survit »
Écrire un roman, pff, quelle galère !
D’abord parce qu’il s’agit d’un projet de longue haleine, ensuite parce que, me connaissant trop bien, je ne stagne jamais très longtemps sur le même projet. Je me lasse vite. C’est un défaut qu’il m’est difficile de corriger malgré mes intentions de le faire.
Écrire un roman, c’est possiblement laisser une trace de son passage sur Terre, dans la petite Histoire ; laisser son nom, quelque part, dans les méandres du fonds de la Bibliothèque nationale de France. C’est résister contre l’ordre établi, contre la bienpensance générale qui fait croire qu’on n’en est pas capable, contre les codes, la honte, les idées reçues. C’est résister contre le constat qu’on a mieux fait d’adhérer à notre routine déjà toute tracée.
Écrire, c’est nourrir son esprit. Comme peindre. Comme jouer de la musique. C’est exprimer ce qu’on a en soi, au moyen de détours artistiques en tout genre. @nohar sait de quoi je parle.
Vous et moi, on écrit beaucoup. Des tutoriels, des articles, ou simplement pour aider notre prochain sur les forums. Cela n’a pas l’air d’un travail en soi parce que ça nous passionne, mais cela représente beaucoup pour moi. Peut-être pour vous aussi.
Face à ces constats que celui d’avoir des difficultés à me tenir à un projet, en plus d’aimer l’écriture… C’était sûr, il fallait que je m’essaie à quelque création littéraire. Et si mes prédecesseurs susmentionnés s’y sont prêtés, pourquoi pas moi, après tout ?
Le NaNoWriMo était tout indiqué.
Un travail de préparation sommaire
Ainsi, je me suis donc dit : « il faut que je dore le blason de la France et que je romance une amitié entre Jules Brunet, officier français, et Hijikata Toshizō, membre notoire du shinsengumi. »
L’Histoire ne décrit pas bien leurs échanges. À vrai dire, elle est très sommaire sur ce qu’a pu faire Jules Brunet là-bas. Je me suis dit que je tirerai parti de ces zones d’ombre.
Pendant mes recherches, j’ai appris qu’un Français nommé Christian Polak avait fait un travail ineffable sur la documentation des différents échanges franco-japonais, tant commerciaux que militaires.
À titre indicatif, saviez-vous qu’il a existé une route de la soie entre Lyon et Yokohama ? Les canuts avaient besoin des vers à soie du Japon, plus résistants que les vers français ! Si Lyon est la capitale de la soie, c’est grâce au Japon !
En effet, la première source d’information que j’ai consultée, non sans peine, c’est l’ouvrage « Soie et Lumières » de Christian Polak. J’ai dû me rendre à la salle Richelieu de la BnF.
Pour ceux qui s’en souviennent, j’avais lancé une discussion sur le forum à cause de ce livre et vous avez été très nombreux à m’aider.
Dans ce livre, j’avais les grandes lignes sur la présence de militaires français au Japon, ce qui faisait office de plan pour mon roman.
La source qui m’a le plus aidé n’est autre que l’ebook « L’engagement des officiers français dans la fin du shogunat et la restauration de Meiji (1867–1869) » d’Emmanuel Faubry. Il s’agit d’une resource plus complète, et c’est cet auteur qui m’a révélé ses sources, dont l’ouvrage de Christian Polak.
Le Service Historique de la Défense, souvent abrégé SHD, renferme les archives militaires des différents corps d’armée. Dans son ebook, M. Faubry communiquait, au travers d’une impressionnante bibliographie, des cotes (des numéros de dossiers) du SHD qui renfermaient un grand nombre de correspondances écrites des Français de l’époque au Japon.
Vous voulez voir la gueule de la cote ? Admirez :
Ce carton renferme un nombre impressionnant de billets de correspondances, de lettres, toutes manuscrites, qui datent de 150 ans environ ! C’est de la folie.
J’aurais aimé vous faire voir quelques photographies, mais il me faut disposer d’un accord exprès du SHD. Ce que je n’ai pas… Il faut dire que ces braves gens exigent un courrier postal là où un email arrangerait tout le monde. Cela étant, je ne suis pas déçu d’avoir fait le chemin jusqu’au château de Vincennes pour avoir visité les lieux.
Il ne me restait plus qu’à travailler sur quelques détails en ce qui concerne mon roman : les personnages, les scènes où ils se trouvent, le déroulement général de mon histoire, etc.
J’y ai passé tout le mois d’octobre au point de m’écarter volontairement de mes projets personnels d’ordre informatique. C’est dire si j’y croyais, à ce roman !
Le déroulement
50 000 mots en trente jours, cela fait, en moyenne, 1 667 mots par jour.
Comme le premier novembre est un jour férier en France (la Toussaint), cela m’a permis d’avoir le temps de m’y mettre. Je savais déjà que mon prologue porterait sur une anecdote de 1864, la fameuse rebellion des portes Hamaguri où Hijikata, qui se bat corps et âmes avec un sabre, constate que les armes à feux et l’artillerie sont bien plus efficaces pour supprimer les adversaires en nombre.
De quoi lancer la grande question du roman : est-ce la fin de la chevalerie et des hommes au sabre ?
Bref, je ne suis pas là pour vous gâcher la surprise. Figurez-vous juste que j’ai écrit cette première scène dès minuit jusqu’à… 3 h du matin, je crois ?
Et comme le 1er novembre était un jeudi et que le lendemain était un jour non travaillé jusqu’au week-end, j’avais quatre jours pour écrire le maximum de mots. En effet, dans le NaNoWriMo, l’objectif n’est pas la qualité, mais la quantité. Il faut écrire sans se corriger. Je ne parle pas de l’orthographe mais du remaniement de certaines tournures de phrases, de certains paragraphes, etc. car c’est un travail de plus grande ampleur qui saurait venir après…
Et parce que la qualité primait, j’ai réussi à carburer à 5 000 mots par jour dès mes débuts. Sans compter de ma fainéantise, de mon manque d’imagination et de motivation sur certaines scènes, du remaniement de ma succession de scènes, de mes pauses pour réfléchir et m’aérer…
Je me suis rendu compte que j’avais surtout envie d’écrire des dialogues que des descriptions. J’ai donc admis que ce dernier point était à travailler. Faire le NaNoWriMo, c’est se découvrir, mettre en évidence ses forces mais aussi ses faiblesses.
Et les encouragements de mon entourage, aussi. C’est quelque chose qui m’a beaucoup motivé. Sans parler de ceux qui font aussi le NaNoWriMo, avec qui on partage, en plus d’un objectif commun, des émotions, des craintes, des questionnements, etc. J’ai même demandé à être parrainé pour cette année. C’était rassurant d’entendre que j’étais sur la bonne voie et que j’avais, semble-t-il, assez bien préparé mon NaNoWriMo.
Je me suis rendu compte que j’aurais pu le préparer mieux que ça. Car en m’attardant sur des scènes, j’ai dû revoir certains détails historiques qui m’ont incité à connaître un peu plus en profondeur certains détails de l’Histoire jusqu’à certaines anecdotes. C’est pour moi l’un des gros points positifs de cette expérience.
J’avais atteint les 50 000 mots en onze jours. Mon brouillon final fait autour de 60 000 mots, terminé en deux semaines, le tout sur un clavier orthogonal « bépo » que j’avais commencé à apprivoiser quelques mois plus tôt. Il ressemble à ça :
Qu’on se le dise, c’est un investissement double :
- le prix du clavier est assez élevé (au-delà de la centaine d’euros),
- il m’a fallu apprendre une nouvelle disposition de clavier.
J’en suis extrêmement content ! Je fais encore quelques fautes de frappe, certes, mais l’acquisition d’automatismes se fait vite si on fait le choix de se soustraire une fois pour toute aux dispositions archaïques « qwerty ». Ce que j’ai fait !
Bilan : j’ai écrit autour de 60 000 mots pour narrer les péripéties d’un Français qui, parti au Japon pour instruire des Japonais aux génies de l’armée française et autres techniques occidentales, s’est tellement épris pour ce pays qu’il a démissionné de l’armée pour se battre jusqu’à la fin avec les rebelles qui refusaient que les impérialistes aient la main mise sur l’archipel tout entier.
Et la suite ?
Pfiou ! J’ai envie de faire plein de choses. Mais s’il y en a une que je ne veux faire de suite, c’est retravailler mon roman en profondeur. Pourquoi ?
Car, je l’avoue, c’est mon côté flemme, mon inhibition face à la difficulté qui reprend le dessus. J’en ai parlé comme un défaut au début de mon billet et j’ai même sous-entendu que je travaillerais bien à le corriger !
En vérité, cela m’a énormément motivé à achever mon œuvre — si tant est que cela soit qualifiable d’œuvre…
Sauf qu’entre temps, cela m’a donné envie de me remettre à l’apprentissage du japonais ! D’autant plus que j’ai découvert qu’un certain romancier nippon, Kenichi Satō de son état, aurait écrit un roman en japonais sur Jules Brunet. Le livre s’intitule 「ラ・ミッション 」 et se lit ra misshon, où le « r » se prononce comme un claquement de langue et ressemble au « L » français. Vous l’aurez compris : le titre se traduit par « La mission ».
Sur la couverture, il s’agit d’une représentation de Jules Brunet.
Vous vous doutez bien que j’ai une envie irrésistible de le lire ! D’où mon souhait de me remettre à l’apprentissage du japonais. Qui veut la fin, veut les moyens.
Vous voulez savoir à quoi ressemblait Jules Brunet, au fait ? Vous pourrez le voir sur la photo ci-dessous. Je l’ai grossièrement entouré, en espérant tout de même que, avec un peu de référencement, on amène des curieux sur Zeste de Savoir !
J’ai aussi envie de retenter le NaNoWriMo l’an prochain avec plusieurs idées :
- raconter une péripétie parallèle à mon roman, cette fois du côté des opposants ;
- écrire un roman dans une langue étrangère (anglais, espéranto, japonais…) ;
- m’essayer à la science fiction ;
- utiliser des contraintes formelles.
Ce ne sont pas les idées qui manquent !
Et quand on aura repris du poil de la bête, on essaiera d’aller jusqu’à la publication de mon roman sur Brunet.
Ainsi s’est achevé le NaNoWriMo de l’année 2018. Une expérience inoubliable que je recommande chaudement à chacun d’entre vous.
Eh, tu crois que je me suis tapé toute la lecture de ton billet pour ne pas pouvoir profiter de ton manuscrit ?
C’est que, j’en rougis un peu, de mon brouillon.
Mais si vous y tenez vraiment… Eh bien, tout est là : https://github.com/Ge0/un-petale-dans-la-braise
J’ai en effet utilisé github pour sauvegarder mes travaux même si ça n’est pas très approprié. On a bien vu un lama se prêter au même exercice sur un livre de programmation ! Punaise, je parle encore de lui, vous allez croire que je lui voue un culte sans limites, à force. En tout cas, l’informaticien que je suis ne se refait pas.
N’oubliez pas que je n’ai, volontairement, rien corrigé. Il y a donc des fautes d’orthographe, de typographie, des tournures de phrase capillotractées et des scènes à remanier…
Je vous remercie pour le temps que vous aurez passé à lire ce billet. À vrai dire je doute que beaucoup le fassent, car j’ai vraiment trop parlé.
Je remercie également tous ceux qui ont cru en moi, trop nombreux pour être cités. Je ne me pardonnerais pas d’en oublier.
J’espère vous avoir convaincus, au moins. Je vous quitte sur cette dernière note qu’est le potentiel quatrième de couverture de mon roman !
À l’année prochaine !