En anglais américain1, le 23 octobre s’écrit 10/23 (oui, les ricains ne font rien comme tout le monde et écrivent October, 23rd). Dès lors, ce matin à 6h02, nous étions "10/23 6:02 am", soit les 5 premiers chiffres du nombre d’Avogadro, qui est
(notez le , d’où 23 octobre).
Du coup, et comme il existe une journée d’un peu tout, de nos jours, ben c’est un peu la journée des chimistes. Du coup, c’est quoi le nombre d’Avogadro ?
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Merci @SpaceFox pour la découverte, oui le format MDY n’est pas utilisé dans tout les pays anglophones, mais principalement aux états-unis
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Que ?
Le nombre d’Avogadro, vous avez normalement dû le croiser dans votre vie en cours de chimie (il intervient aussi dans d’autres sciences, mais de manière plus discrète). Si vos souvenirs sont un peu flou, petit rappel.
Il n’est pas très pratique d’utiliser la masse quand on parle d’atome ou de molécules. En effet, un atome donné possède une masse qui est due à son nombre de proton et de neutrons (les électrons pesant 1882 fois moins que ces deux autres particules, c’est négligeable). Or, ce qui fait qu’un atome est un atome d’un élément donné, c’est son nombre de protons1 (tous les carbones possèdent 6 protons, par exemple, et se comportent pareils), donc les atomes de différents éléments ont intrinsèquement une masse différente.
Dans la vie de tous les jours, ce n’est pas grave. En effet, on a l’habitude de travailler avec des masses2 (ou "pire" des volumes3), et on ne fait au final que très peu de réactions chimiques à proprement parler: par exemple, la cuisson est une réaction chimique, mais on se fout un peu de la quantité de réactifs. Par ailleurs, vous ne mesurez pas vraiment la quantité de vinaigre que vous utilisez pour détartrer vos toilettes (trop, de toute façon, mais c’est parce qu’on n’est pas patient).
Par contre, quand on fait de la chimie, c’est tout de suite plus important: en effet, si on prend la réaction pour détartrer les toilettes avec du vinaigre, elle s’écrit comme suis:
Où on voit (en rouge) que 2 molécules de vinaigre (l’acide acétique) réagissent avec 1 molécule de calcaire (carbonate de calcium). On a donc une proportion 2 pour 1 en termes de nombre de molécules … Mais comme les masses par molécules sont différentes, on n’a absolument pas un rapport de 2 pour 1 en termes de masses (il est de 6 pour 5, à peu près, en considérant de l’acide acétique pur4). Et c’est sans parler des produits de la réaction, dont le même nombre de molécules est produit, mais avec des masses sensiblement différentes.
Bref, la masse et le volume, ce n’est pas des concepts pratiques en chimie. Ce que le chimiste aimerait, c’est pouvoir parler en nombre de molécules. Problème, une molécule c’est très petit, et à l’échelle humaine, quelques milligrammes de composés, ça fait déjà un très grand nombre de molécules. Et donc, plutôt que de dire "ajoute donc 20 000 000 000 molécules d’acide acétique dans ta cuvette de WC", le chimiste préférera parler en moles.
Alors la mole, ce n’est pas une unité en soi, c’est un facteur multiplicatif. Une mole de quelque chose, c’est une grande quantité de ce quelque chose, c’est même plus précisément le nombre d’Avogadro de fois ce quelque chose. Une mole de voitures, c’est à peu près voitures, soit beaucoup trop. Pourquoi ce nombre ? Déjà, pourquoi pas et ensuite parce que c’est le nombre d’atomes nécessaire pour qu’une mole d’atomes de carbone 12 pèse 12 grammes. Ce qui permet alors de convertir facilement, via la masse molaire (la somme des masses d’une mole de chacun des atomes d’une molécule) la masse en nombre de moles, donc de manipuler facilement le nombre de molécules, sans se trainer des nombres en notation scientifiques avec des puissances de 10 énormes. Et si je reprends l’exemple du détartrage, on aura donc que 2 moles d’acide acétique réagissent avec 1 mole de calcaire, et c’est quand même plus facile à dire que " molécules d’acide acétique réagissent avec molécules de calcaire".
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Et, pour rappel, le nombre de neutrons défini l’isotope de l’élément. Vous connaissez normalement le carbone 14 utilisé pour la datation. 14, c’est le nombre de nucléons (éléments constituant le noyau, soit la somme des protons et des neutrons). Du coup, le carbone 14 possède 8 neutrons, alors que le carbone "normal" (le plus abondant, le carbone 12) en possède 6.
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Et pas des poids: la masse est constante, le poids dépend de la gravité.
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Pourquoi pire ? Parce que la masse volumique est souvent différente du classique 1 kg = 1L, donc ça fait une série de différence en plus.
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Le vinaigre commercial n’est pas de l’acide acétique pur, loin de là.
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Comment ?
L’histoire du nombre d’Avogadro est intrinsèquement liée à la notion d’atome, et même si ça semble évident aujourd’hui, c’était loin d’être le cas au 19ième siècle. Et on ne peut pas leur donner tort: comment réussir à prouver l’existence de choses qu’on ne peut pas voir ? Alors évidement, Lavoisier étant passé par là, on sait déjà que "rien ne se perd, rien ne se crée, tout ce transforme", ce qui signifie qu’on a conservation de la masse, autrement dit que la masse des réactifs de départ est égale à la masse des produits à la fin, mais sans accepter le concept d’atome, difficile de comprendre le pourquoi. On peut se borner à constater que les éléments réagissent dans des proportions bien définies (mais comme on l’a vu plus haut, les proportions en termes de masse et en termes de nombre d’atomes sont différentes).
Pire encore, le concept de molécule n’est pas non plus accepté à l’époque, donc difficile de comprendre les réactions impliquant, par exemple, l’oxygène de l’air (qui est présent sous la forme de dioxygène, ). Néanmoins, c’est (entre autres) par les gaz que l’atomisme finit par être accepté. En effet, tous les gaz se comportent (à peu près1) de la même manière. Exemple typique,
Les expérimentateurs observent que 1 fois un certain volume d’oxygène plus 2 fois ce même volume d’hydrogène ne donne que 2 fois le volume de vapeur d’eau. C’est ce genre de réaction qui va laisser penser à Avogadro (ci-dessous) que le nombre de molécules dans un gaz est proportionnel au volume de celui-ci, et que l’oxygène et l’hydrogène sont en fait des gaz diatomiques, qui se décomposent pour former de l’eau. Il se trouve qu’il avait raison, et c’est pour cette raison que la constante porte son nom, à titre posthume.
Alors comment mesure-t-on la constante d’Avogadro ? Simple: on compte le nombre d’atomes pour une masse donnée de ceux-ci, évidement. Enfin, simple … Pas tant que ça, puisqu’à priori, on ne sais pas compter les atomes un par un. On choisit donc une méthode alternative:
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Soit on se sert du lien entre le nombre d’Avogadro et d’autres constantes physiques, la précision de cette constante dictant alors la précision du nombre d’Avogadro. C’est ce qui est fait actuellement, et la méthode utilisée fait que le facteur limitant la précision du nombre d’Avogadro est la précision avec laquelle on connait la constante de Planck, dont la valeur est mesurée par une autre expérience, la balance du Watt.
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Soit on se base sur un cristal. L’avantage de faire ça, c’est qu’on sait mesurer précisément la distance entre deux atomes d’une telle structure (par diffraction de rayon X), donc si on mesure ensuite (avec précision) la taille du cristal, on saura déterminer le nombre de molécules, donc le nombre d’Avogadro (à l’aide de la masse). Et c’est ce que des scientifiques ont tenté de faire en utilisant une sphère de silicium (choisi pour plein de raisons, entre autres parce qu’on sait générer des cristaux de silicium avec quasiment aucun défaut), mais plusieurs difficultés se mettent en travers de la route: oxydation, abondances isotopiques relatives du silicium 28 et 30, etc. À noter que cette expérience (et la précédent était également en lice pour la redéfinition du kilogramme (qui est indirectement liée au nombre d’Avogadro), mais en attendant, ça a permis d’obtenir les sphères les plus parfaites au monde (elles ont dû être polies dans les moindres détails, puisque ça joue sur la précision de l’expérience):
Bref, ce nombre d’Avogadro est encore amené à changer dans le futur (évidement, pas de grand-chose, et pour monsieur Tout-le-Monde, ça ne changera rien). Par contre, c’est toujours intéressant à regarder
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C’est la loi des gaz parfaits. Ce n’est pas vrai pour les liquides, par contre.
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Voilà. C’est pas grand chose, mais si vous avez apris quelque chose, j’ai gagné ma journée. À l’année prochaine