Les billets précédents :
Je rappelle que j’ai peu d’expérience du monde du travail et manque donc probablement de recul sur ces questions. Aussi, ne prenez pas mon propos pour argent comptant, n’oubliez pas qu’il est subjectif et n’hésitez pas à le nuancer ou à le remettre complètement en question.
L’absence de feuille de route
Quand j’ai commencé mon stage en mars, c’était le bazar. Pour rappel, j’ai rejoint une start-up londonienne développant un outil pour créer des modèles simulés (notamment pour faire des prédictions). Elle était composée de deux équipes techniques (en dehors des commerciaux donc) :
- Back-end : développement de l’outil pour créer des modèles (sous forme de programme informatique) ;
- Front-end : développement d’une interface web pour interagir avec les modèles créés.
Sauf que, comme beaucoup de start-ups à Londres (dans la fintech comme ils disent), l’entreprise se voulait AI-powered, c’est-à-dire basée sur l’intelligence artificielle. Pourquoi ? Parce que ça fait bien, et donc rapporte de l’argent. Bon, pour être honnête, quand on travaille dans la simulation, faire de l’intelligence artificielle, surtout quand ça veut juste dire faire des statistiques, ce n’est pas absurde : on a créé des modèles, on veut en analyser le comportement et s’assurer qu’ils décrivent le monde correctement (ce qu’on peut faire en comparant données de simulation et données réelles historiques).
C’est là que j’interviens. Du mieux que je peux. Effectivement, il n’y avait pas de feuille de route ni de responsable clair du produit. L’entreprise avançait plus ou moins à l’aveuglette. Alors imaginer que quelqu’un soit en mesure de me dire sur quoi travailler, en sachant que personne n’avait les connaissances statistiques requises ni ne savait ce que voulaient les clients (qui l’ignorent d’ailleurs eux-mêmes), c’était on ne peut plus illusoire.
Il en a découlé que je travaillais dans mon coin, seul, lisant des papiers de recherche pour grapiller des idées. Je ne peux pas reprocher à cette position d’être contraignante vu que personne ne me demande rien. Par contre, j’ai connu mieux comme source de motivation.
Demander lors d’entretien d’embauche si l’entreprise a une feuille de route (une roadmap) ou, à minima, une personne bien désignée en charge de la définir.
Demander si on sera amené à interagir avec le reste de l’équipe.
Une audience inappropriée
Voyant l’autonomie que j’avais, j’ai sauté à pieds joints dans la flaque d’eau. Jeune, ambitieux et surtout stupide, je me suis dit (et on m’a dit) que c’était l’opportunité pour moi de démarrer ma carrière sur les chapeaux de roues, de prendre des initiatives et compagnie. J’ai vite été remis à ma place. Non seulement mes supérieurs ignoraient ce qu’ils attendaient de moi, mais ils étaient également incapables de juger de la qualité de mon travail.
Effectivement, il y avait dans l’entreprise un unique modélisateur. Il aurait pu faire office de client interne et me guider dans mon travail, mais il préférait assister à des réunions commerciales dans lesquelles il jouait le rôle de l’expert (« Notre plateforme, basée sur l’intelligence artificielle, se veut un outil pour prendre des décisions éclairées. Elle vous accompagne dans… »).
En outre, personne (y compris le modélisateur) n’avait de compétences en validation de modèle, ni en statistiques. Il en résultait que les personnes jugeant mon travail le considérait inapproprié car trop compliqué (on parle ici de trucs comme une régression linéaire sur une série temporelle ou du terme de « p-valeur » qui n’est pas suffisamment clair).
Il était donc ardu pour moi, face à un retour peu enthousiaste, de déterminer s’il était causé par un travail de mauvaise qualité (ce que je considère probable au vu de mon inexpérience) ou « simplement » par le fait que mon audience n’était pas représentative de celle allant potentiellement utiliser ces outils : il était supposé, mais pas clairement défini, que les modélisateurs, en l’occurrence majoritairement des quants, savaient analyser un modèle à l’aide d’outils statistiques (mais je ne parierais pas là-dessus).
S’assurer que l’audience est bien définie (notamment les pré-requis à satisfaire) et qu’un échantillon de cette audience est en mesure de nous fournir des retours notre travail.
L’absence de retours techniques
Le manque d’expertise interne dans mon domaine m’a également privé de retours techniques. Non seulement j’ignorais si mon travail était approprié pour le produit, mais je n’avais également pas, ou très peu, de commentaires techniques construits.
Personne ne pouvait juger de la pertinence de la méthode statistique utilisée ou encore de la qualité du code Python (le reste de l’équipe travaille soit avec Java soit avec Javascript). Or, avoir quelqu’un pour répondre à nos questions et pointer nos erreurs, c’est quand même fichtrement pratique pour progresser dans son domaine.1
S’assurer de la présence et disponibilité d’une personne plus expérimentée ou plus intelligente que nous pour pointer nos erreurs et répondre à nos questions.
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Par exemple, Franck Ramus et Daniel T. Willingham en parlent.
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En résumé, il me fallait déterminer à la fois :
- Les problèmes à résoudre ;
- Les outils à mettre en place pour les résoudre ;
- Comment implémenter ces outils.
Pour une première expérience en entreprise, ça me semble beaucoup. Personnellement, j’aurais volontiers sacrifié de la liberté pour plus d’encadrement, ce qui m’aurait permis d’apprendre bien plus efficacement. Je ne prétends par contre pas que c’est le cas de tout le monde, ni que ça sera toujours le mien.
- Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation similaire ? Comment l’avez-vous gérée ?
- Vous assurez-vous de la présence d’une feuille de route, d’une audience appropriée et de retours techniques de qualité quand vous vous renseignez sur une entreprise ?
- Vos critères ont-ils évolué au cours du temps ?
- Pour ceux en charge d’une équipe, faites-vous attention à ce que tout le monde, en particulier les débutants, puisse apprendre efficacement (notamment de ses erreurs) ?