Ce billet est l’écrit sur lequel je me base pour ma chronique, chaque mercredi, lors de La Matinale, sur trensmissions.
Je me suis dit que le texte étant accessible au plus grand nombre, je pourrais le partager ici.
Ce que vous lisez a été le mercredi précédent, cependant certains passages peuvent être inédits (selon les aléas et contraintes du direct) !
Des humains en science
Chère auditrice, cher auditeur. Cette semaine je n’avais pas envie de choisir un sujet et de vous le présenter, comme si c’était simple. Je n’avais pas envie de donner l’impression que mes chroniques sont des exposés, des sortes de concentrés, ou dilution – au choix– , de savoir.
Cette semaine, j’avais envie de m’adonner à une autre activité. J’avais envie de vous montrer comment à partir d’une question en apparence simple, on peut tirer les fils d’une problématique plus large. J’avais envie de vous montrer que cet exercice n’est pas que de forme, et que même en n’allant pas beaucoup plus loin que des questions, on peut déjà en savoir bien des choses.
Alors, voilà, cette semaine je me suis posé la question suivante. Y a-t-il des sciences qui sont humaines ?
Cette question, telle que je vous l’ai posée, va peut-être vous paraître évidente. Oui, certaines sciences sont dites humaines. Par exemple l’histoire, la sociologie ou l’éthnologie sont trois exemples de sciences dites humaines et sociales.
Mais d’ailleurs, qu’est-ce qui fait la différence entre une science humaine et une science de la nature ? Comment se fait-il que l’on distingue les deux ?
C’est le premier sens de ma question. Y a-t-il des sciences qui sont humaines, en opposition à celles de la nature ?
Petit avertissement. J’entends par science de la nature la physique, la biologie, la chimie, et toutes ces sciences qui traitent directement de la nature. Je ne me prononce pas sur des sciences plus formelles comme les mathématiques ou l’informatique. À vrai dire, je ne saurais même pas, moi-même, les classifier.
Ce problème de trouver une différence entre science humaine et science de la nature est difficile. En fait, il est au centre de nombreuses crispations entre les différentes communautés. Comme je n’ai pas envie de déchaîner les passions, je me contenterai du commentaire suivant, dont on retrouvera la source chez Hacking dans Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?.
La remarque est la suivante. Là où en sciences sociales, on peut bouleverser le phénomène que l’on étudie, par la production même de l’étude, ça n’est pas possible en sciences de la nature. Par exemple, l’étude sociologique du statut de la Femme dans notre société peut mener les femmes de notre société à se penser différemment. Ça n’est pas le cas dans les sciences de la nature : l’objet physique que l’on appelle électron n’a pas été affecté par la connaissance scientifique portant sur lui. En d’autres termes : là où les objets des sciences humaines peuvent être affectés par l’étude de ceux-ci, les objets de la nature ne sont pas affectés par les sciences de la nature.
Sans développer plus cette reflexion, qui mériterait à elle seule bien plus qu’une chronique, j’aimerai aborder un deuxième versant de la question initiale. Pour rappel, je me demande cette semaine s’il y a des sciences qui sont humaines.
Une autre façon d’interpréter cette question, c’est de se demander s’il y a de l’humain dans les sciences, c’est-à-dire si la connaissance scientifique est elle-même humaine. On débouche en fait sur la question suivante : la science est-elle socialement construite ?
Les scientifiques aiment penser leur savoir comme objectif, universel et inévitable. N’est-ce pas là une provocation que de chercher à trouver des preuves de l’humanité de ces savoirs ? Ne serait-ce pas une insulte que de chercher à montrer que ces savoirs objectifs, universels sont en fait socialement construits ?
Cette question a été appropriée par les sociologues. Et, bien sûr, une vision sociologique des sciences a provoqué des remous chez les scientifiques. La difficulté est la suivante : pouvons-nous concilier une science objective, comme la physique, avec l’idée d’une science socialement construite ?
Les auditrices et les auditeurs les plus fidèles de ma chronique ne manqueront pas de remarquer que ma précédente chronique proposait une façon de concevoir de l’humain dans les sciences. Il y a deux semaines, je proposais une critique du vocabulaire scientifique en montrant de quelle façon il peut influencer la recherche et la compréhension, sans que les résultats objectifs n’en soient critiqués. Il s’agissait pour moi de montrer que si la science est bien humainement construite, cela n’empêche en rien la création d’un savoir objectif.
En fait, là où l’objectivité des sciences est une question de justification du savoir scientifique, la question de la construction sociale s’adresse au processus de découverte et de compréhension des savoirs scientifiques.
C’est ici que j’aimerais arrêter mon analyse du problème. À présent j’aimerais, si cela est encore nécessaire, vous justifier l’intérêt de cette dernière question.
Aujourd’hui nous sommes dans une crise de confiance. La figure du scientifique est devenue affaire publique. On nous propose le choix de croire ou non en la science, de croire ou non en ce que des experts dits scientifiques nous disent sur les plateaux télé. Des figures politiques sont élues, ou du moins fondées, sur des mouvances populistes remettant en cause le savoir scientifique. Pensez au président Trump ayant mis à la tête de la NASA un certain Jim Bridenstine, climato-sceptique et incompétent sur le terrain scientifique.
Nous sommes dans ce climat incertain pour les sciences, il faut donc réfléchir à ce que l’on peut faire et penser au sujet des sciences dans la société.
Et cela passe donc par penser les sciences comme étant humaines. Parce que l’on ne peut pas soutenir des sciences pour ce qu’elles ne sont pas. On peut en revanche défendre notre savoir, bâti de façon rationnelle et sur une base saine. En comprenant les inquiétudes et non pas en les balayant d’un geste de la main, on y retrouve la légitimité qui est due à la science. Il faut opposer à l’obscurantisme les lumières. Expliquer et comprendre, plutôt que bannir et insulter.