De sa fondation à nos jours, l’Union Européenne a connu sept vagues d’élargissements, donnant suite à des années de négociations avec les concernés. L’Union Européenne repose sur des valeurs partagées qui justifient une coopération étroite, et plus elle s’éloigne de ses origines géographiques, plus le travail de transition sur un socle commun s’alourdit.
Pourtant, l’Union Européenne n’a cessé au cours de son histoire de chercher à s’étendre, vers l’est notamment et les pays qu’elle considère comme géographiquement européens. De la Serbie en passant par le Monténégro ou l’Ukraine, il reste encore une poignée de pays qui pourraient rejoindre l’Union Européenne dans les prochaines décennies.
Alors, quels critères pour de nouvelles adhésions, quels enjeux, et à travers quel processus ? Ce sont à ces questions que cet article s’attellera.
Un grand merci à @Celll, @Renault, @Arius et @Amaury pour leurs contributions !
Critères d'adhésion à l'Union
L’Union Européenne
L’Union européenne se fonde sur des valeurs, et il est donc normal que les partager soit le critère premier pour discuter d’une adhésion. Ces valeurs sont énoncées dès le début du traité fondateur sur l’Union Européenne et ses révisions, à l’article 2.
L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.
Et c’est déjà beaucoup ! Car en dehors des mœurs des dirigeants d’un pays lors de leur demande d’adhésion, il s’agit d’être capable de démontrer l’application de ces valeurs. On lit par exemple ici qu’il est question de démocratie, qui en fait donc un critère politique, et d’État de droit, ce qui implique un système judiciaire développé.
Les conditions d’adhésion à l’Union Européenne sont ensuite énoncées dans l’article 49 du Traité sur l’UE (plus souvent appelé Traité de Maastricht où la première version fut signée en 1992) d’où vient sa forme actuelle.
Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. […] Les conditions de l’admission et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l’Union, font l’objet d’un accord entre les États membres et l’État demandeur.
On note ici qu’il n’est pas seulement question d’accepter des valeurs, mais aussi de les promouvoir activement !
De plus, il est question d’un critère géographique important : être situé en Europe. C’est d’ailleurs ce critère par exemple qui a entraîné le refus de la candidature du Maroc dans l’Union.
Les critères de Copenhague
Des critères plus spécifiques quant aux États candidats sont établis lors du Conseil Européen de Copenhague en 1993. On y lit donc ce qui suit et qui s’est depuis imposé comme base pour les adhésions.
L’adhésion requiert de la part du pays candidat qu’il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection, l’existence d’une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union. L’adhésion présuppose la capacité du pays candidat à en assumer les obligations, et notamment à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.
La capacité de l’Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l’élan de l’intégration européenne constitue également un élément important répondant à l’intérêt général aussi bien de l’Union que des pays candidats.
Récapitulons donc les critères :
- Un critère politique : être une démocratie, avec des institutions viables garantissant l’État de droit.
- Un critère juridique : adhérer à l’acquis communautaire (droits et obligations qui lient les membres)
- Un critère économique : avoir un marché viable, capable de faire sa place dans le marché européen, accepter de rejoindre l’euro
- Un critère social : adhérer aux valeurs communes et les promouvoir
- Un critère externe : la capacité de l’Union à absorber le nouvel entrant
On notera une forme de flexibilité de l’UE sur certains critères, puisque certains pays ayant rejoint l’Union ne les respectaient pas tous au pied de la lettre, notamment en ce qui concerne la présence d’institutions viables.
Et l’Euro dans tout ça ?
Ce n’est un secret pour personne que la Zone Euro ne veut pas dire UE. La Suède ne l’a toujours pas adopté. Et ce n’est pas le seul. Et pourtant, l’article 49 parle bien d’Union Monétaire, ce qui implique une même monnaie et une même politique monétaire commune. C’est donc bien une obligation de rejoindre l’Euro (exception négociée pour le Danemark et le Royaume-Uni à l’époque).
Rejoindre la Zone Euro nécessite également de remplir certains critères techniques, dont de rejoindre pendant 2 ans le mécanisme MCE II pour assurer que la monnaie suive le cours de l’euro sans problèmes. Mais cela demande un engagement volontaire, un État européen peut ne pas y adhérer et de fait il n’obtiendra pas l’euro. La contrainte reste de ce fait assez théorique, ni sanction ni calendrier n’est établi pour forcer la main à un État membre d’avoir l’euro.
Processus d'adhésion
La première chose à retenir, c’est que pour qu’un État puisse rejoindre l’Union, il aura besoin de l’accord unanime des États membres.
Le processus, dont les étapes sont décrites dans l’article 49 du Traité sur l’UE, se découpe de cette manière
- Un État demande le statut de candidat
- Une fois devenu candidat, l’État entreprend des mesures pour se conformer aux critères de Copenhague
- Quand ce processus est sur de bonnes voies, des négociations sur un traité d’adhésion commencent
- Le traité est ensuite approuvé et ratifié par l’ensemble des parties
Voyons maintenant plus en détails comment cela se passe.
Devenir État candidat
Le pays qui souhaite entrer dans l’UE commence par formuler sa demande au Conseil (qui regroupe les chefs d’États). Le Conseil demandera alors à la Commission de déterminer si l’État peut être ou non candidat, en émettant un avis sur la capacité au pays à remplir les critères d’adhésion. Si (et uniquement si) cet avis est favorable, le Conseil pourra alors décider par la suite d’accorder le statut d’État Candidat au pays si l’unanimité du Conseil y consent.
La capacité d’un pays à remplir les critères de Copenhague prend du temps à évaluer : on va chercher à évaluer la fiabilité du gouvernement, des institutions, sa politique économique…
Lors des votes à l’unanimité du Conseil, les abstentions ne sont pas bloquantes.
En pratique, il est commun qu’avant de déposer sa candidature, un pays ai déjà un accord d’association avec l’UE afin d’avoir une zone de libre échange économique et permettre l’alignement des normes juridiques avec celles de l’Union.
Se conformer aux critères
Le pays entreprend ensuite de répondre aux critères de Copenhague avec lesquels il n’est pas en conformité. Pendant cette période, il bénéficie de financements et d’aide logistique pour l’aider à atteindre ces objectifs. Cette aide, l’IAP (Instrument d’aide de pré-adhésion) est réévaluée par l’UE toutes les quelques années. Actuellement l'IAP III a débloqué 14 milliards d’euros pour la période 2021–2027 pour aider les pays candidats dans leur processus de transition.
Il s’agit notamment de se mettre en règle vis-à-vis de la règlementation européenne. Et avec un corpus juridique parfois radicalement différent, c’est un travail conséquent et de longue haleine. Le pays doit également adapter son administration, faire parfois des réformes économiques ou adapter son système judiciaire.
Aujourd’hui divisé en 35 chapitres, l’acquis communautaire qui regroupe donc l’ensemble du corpus juridique communautaire pourrait dans le futur être redivisé en 6 catégories plus lisibles.
Le statut peut-être gardé jusqu’à ce que la transition se termine ou que l’un des parties décide d’arrêter le processus. Cela peut durer très longtemps. La Turquie est reconnue comme candidat depuis 1999 ! Et est plus proche d’arrêter le processus que de le finir. Mais malgré le coût que représente l’IAP pour l’UE, garder la Turquie dans ce processus est un moyen de pression sur l’autre pour les deux parties qu’aucun ne souhaite perdre.
Négocier
Une fois que le pays est en bonne voie pour remplir les critères, la Commission rend au Conseil un avis favorable au début de négociations, qui ouvrent la voie à un Traité d’adhésion à l’UE.
Mais de quoi parlent ces négociations exactement ?
- De la représentation du pays dans les institutions européennes : par exemple le nombre de sièges au parlement européen
- Les contributions à apporter aux institutions et aux fonds européens
- Éventuellement des périodes de transition ou de dérogations à l’acquis communautaire, lesquelles sont exceptionnelles et très limitées
- Des statuts spéciaux éventuels pour ses territoires ultramarins
Approbation et ratification du traité
Une fois un traité d’adhésion négocié, il doit être validé par le Conseil à l’unanimité, par le parlement Européen à la majorité absolue, puis signé par les États et ratifié par l’ensemble des pays membres et le pays Candidat. Dès que cela est fait, le traité entre en vigueur et le candidat est désormais membre de l’UE !
Historique et perspectives
Historique
Commençons par un rappel rapide des différents élargissements de l’Union.
- 1958 : Création de l’UE avec la France, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas ;
- 1973 : le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni ;
- 1981 : la Grèce ;
- 1986 : l’Espagne et le Portugal ;
- 1995 : l’Autriche, la Suède, la Finlande ;
- 2004 : Chypre, Malte, la Slovénie, la Hongrie, la Lituanie, la Slovaquie, la Pologne, la Tchéquie, l’Estonie, et la Lettonie ;
- 2007 : la Bulgarie et la Roumanie ;
- 2013 : la Croatie.
Plus le retrait en 2020 du Royaume-Uni.
Par le passé, les critères de Copenhague n’ont pas toujours été respectés à la lettre. D’ailleurs, certains pays membres s’en sont éloignés ces dernières années, notamment sur la question de l’État de droit. Aujourd’hui, en dehors des politiques de l’UE de promotion des valeurs européennes, peu de choses sont faites pour faire respecter ces critères qui sont pourtant le socle commun du projet de l’Union.
De plus, la diversité des formes des États membres a parfois nécessité certains ajustements. On pense par exemple au fait qu’il y a six monarchies dans l’Union et des répartitions des responsabilités du gouvernement qui dépendent étroitement de l’histoire de chaque pays. Mais aussi à la présence de territoires associés à l’Union Européenne qui dépendent de pays présents dans l’UE, mais sont (Guyane, Guadeloupe…) ou non (Groenland, Saint Barthélemy) membre de l’Union. Ils bénéficient parfois de régimes spéciaux (pas de TVA, ne fait pas partie de l’espace SCHENGEN…) pour s’adapter à leurs particularités notamment géographiques.
On pourrait également parler de l’occupation du nord de Chypre (membre de l’UE) par la Turquie, mais on retiendra surtout l’idée principale qu'il n’y a pas de formule sur étagère aux adhésions à l’Union Européenne, et que cette dernière a du faire preuve d’une grande flexibilité au cours de son histoire pour permettre son développement.
Les élargissements successifs ont toujours été ratifié par l’intégralité des pays de l’UE, sans pour autant bien sûr que cela ne signifie qu’aucune réserve n’existe concernant ces élargissements. En particulier, l’élargissement de 2004 a été considéré par beaucoup de spécialistes comme trop rapide (le processus ayant pourtant duré dix ans pour certains pays). Plus le nombre de pays augmente, plus les négociations se complexifient sur les sujets importants. Et plus l’Union augmente ses compétences, plus la transposition du droit européen devient complexe et long.
Perspectives
Dans le futur, l’application permanente des critères de Copenhague (pour les pays déjà dans l’UE) pourrait devenir une règle, comme l’avait notamment proposé l’Institut de recherche européen Jacques Delors.
Aujourd’hui, la Macédoine du Nord est le pays le plus proche de son adhésion, devant la Serbie et le Monténégro qui devraient encore être en procédure pendant de nombreuses années. La trajectoire de l’Albanie fait qu’elle ne devrait pas être intégrée avant plusieurs décennies, et en l’État des choses personne n’envisage que la Turquie rejoigne réellement l’UE.
Quant aux États qui demandent le statut de candidat, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine, ces derniers pourraient tarder. Et quand bien même ils auraient le statut, les périodes de transition risqueraient d’être très longues. Les différences de richesses entre les pays peuvent poser problème dans le cadre de l’intégration au marché unique, pour des questions de compétitivité. Le PIB/habitant de l’Ukraine par exemple est 9 fois inférieur à la moyenne de l’UE, 7 fois moins élevé pour la Moldavie ou la Géorgie. Le régime politique, la corruption, l’écart législatif entre l’UE et ces États sont aussi des freins importants à la réussite d’un tel processus.
De plus, cette différence de richesse implique également que la répartition des aides de l’UE irait beaucoup plus en faveur de ces nouveaux pays. De quoi faire réfléchir les pays qui en bénéficient actuellement et dont l’accord est requis pour faire entrer ces arrivants.
Ceci étant dit, ne pas pouvoir adhérer immédiatement à l’Union n’empêche absolument pas d’avoir des traités renforcés avec l’UE, comme c’est par exemple le cas avec l’Ukraine depuis 2014. C’est d’ailleurs également un bon moyen de commencer les transitions nécessaires.
L’élargissement de l’Union Européenne n’est pas une sinécure. Entre la nécessité de trouver un consensus avec un nombre de parties toujours plus grand, avec des histoires parfois très différentes, et la difficulté à mettre en place des politiques correspondant à des réalités de terrains tout aussi différentes, le travail est ardu.
Les pays européens ont pourtant tout intérêt à s’allier pour peser sur la scène internationale, et c’est dans cet objectif que le processus continu et continuera dans les prochaines décennies.