L’archéologie est la science qui a pour objet les sociétés humaines du passé. Pour cela, elle les étudie à travers toutes les traces matérielles que les humains laissent derrière eux. Elle se distingue de l’histoire en cela qu’elle ne se limite pas aux seules sources textuelles. Ainsi, l’archéologie permet d’étudier les sociétés avant l’apparition des premières inscriptions, mais aussi les sociétés qui n’ont pas fait le choix du recours à l’écrit.
En partant de cette définition, je voudrais vous exposer ici quelques notions fondamentales utilisées en archéologie, pour sortir un peu des clichés et poser les bases pour une potentielle série d’articles sur le domaine !
Je vais commencer par vous expliquer pourquoi l’objet n’est pas le plus important en archéologie, mais le contexte. Dans la deuxième partie, je vous expose la fouille comme collecte de données. Enfin, je vais vous dire ce qu’il se passe après la fouille.
- L'importance du contexte : au-delà de l'objet archéologique
- Chroniques d'une destruction : la fouille
- La post-fouille
L'importance du contexte : au-delà de l'objet archéologique
Un des principes fondamentaux de l’archéologie est la notion de contexte. Si l’on a tendance à se focaliser sur les objets en archéologie, pour les chercheurs, ce n’est pas tant l’élément en lui-même qui est le plus intéressant, mais bien sa place et les rapports qu’il entretient avec l’environnement, le contexte, dans lequel il a été trouvé.
Pour être plus claire, je vais faire le parallèle avec une enquête de police : face à une scène de crime, l’enquêteur va relever toutes les informations contextuelles qu’il peut déceler afin de reconstituer les évènements qui ont amené à ce qu’il a sous les yeux. Ainsi, où se situent les différents objets, comment ils sont disposés les uns par rapport aux autres, sont autant d’informations essentielles à une bonne compréhension du récit. En archéologie, la recherche est la même : à travers l’étude d’un site, c’est une scène de vie qu’on essaye de reconstituer.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il arrive que la police ou les militaires fassent appel aux archéologues sur certaines de leurs interventions ! Il existe même une branche de l’archéologie des scènes de crime : l’archéologie forensique ! Ce n’est pas le sujet de cet article, mais je pourrais vous en reparler une autre fois si le sujet vous intéresse.
Le contexte de l’artefact (c’est-à-dire l’objet, l’indice) trouvé par un archéologue est donc une information extrêmement précieuse pour le chercheur puisqu’elle permet de reconstituer un espace.
Imaginez que vous arrivez dans une habitation inconnue : comment déduiriez-vous la fonction des différentes pièces que vous rencontrez dans votre visite ? De la même façon qu’un réfrigérateur vous signalera la cuisine et un lit une chambre, de même les vestiges archéologiques peuvent nous apprendre la fonction d’un site… à condition que l’objet n’ait pas été déplacé après son dépôt et qu’on ait pensé à enregistrer l’emplacement de sa découverte ! Si j’enlevais les meubles de l’habitation que vous allez visiter, vous auriez bien du mal à deviner où se trouve la chambre ou le salon !
De même, si je vous amenais, disons une épingle à nourrice sans vous dire où je l’ai trouvée, vous ne pourriez sans doute pas me dire grand-chose dessus autre que ce que vous pouvez observer sur l’objet lui-même : sa forme, son usure, le matériau employé, éventuellement son lieu de provenance…
Mais si je vous disais maintenant que j’ai trouvé cette épingle à nourrice à côté d’un squelette au niveau de l’épaule, sur un site à Toulouse… Il se pourrait que d’un coup cette « épingle à nourrice » se révèle être une fibule de style wisigothique (observation directe de l’objet), qu’il s’agît donc vraisemblablement d’un accessoire pour attacher un vêtement, porté par le défunt et que cette fibule permette donc de donner une datation de la tombe (contexte de sa découverte) comme étant de la période où Toulouse a été la capitale du royaume wisigoth, au début du Moyen Âge !
Vous voyez qu’un objet seul ne revêt qu’un intérêt limité, tandis qu’un objet dont on connait l’emplacement de découverte se révèle être une source d’informations beaucoup plus riche.
Chroniques d'une destruction : la fouille
Maintenant que nous avons posé ce principe de base, on va pouvoir s’intéresser à la manière dont procède l’archéologue pour récupérer ces informations sur le contexte. Nous allons bien évidemment parler de l’activité emblématique de l’archéologie, c’est-à-dire la fouille de terrain.
Il s’agit en effet d’un moment important de l’étude archéologique, car elle correspond au temps de la collecte de données. Cette collecte de données est opérée de manière extrêmement méthodique et documentée. Elle est d’autant plus documentée que la fouille est une opération destructrice. Je vais essayer ici de vous expliquer pourquoi ça l’est, et comment on y remédie.
Un site archéologique est un espace qui a vu se succéder plusieurs évènements au cours du temps, en cela il est complexe à lire et à comprendre. Bien identifier chacun de ces évènements et l’ordre dans lequel ils sont intervenus est crucial pour comprendre le site.
Imaginez que votre site archéologique est un mille-feuille. Chaque couche de pâte est une couche de sol qui s’est déposée naturellement en l’absence d’activité humaine. Chaque couche de crème est un moment où un groupe humain s’est installé. Faire une fouille, c’est comme si vous mangiez votre mille-feuille couche par couche : vous commencez par enlever une première couche de sol naturel, le glaçage. Vous tombez sur une première couche de pâte. Vous creusez encore et vous arrivez enfin sur une première couche de crème, peut-être un village. Puis vous continuez et retrouvez à nouveau un sol, puis une nouvelle occupation, peut-être un cimetière, etc. À la fin, vous avez épuisé toutes vos couches et vous atteignez une dernière couche de pâte, qui est le sol géologique naturel.
Vous avez bien dégusté votre gâteau et savourez chacune de ses couches. Mais maintenant il n’existe plus, il n’est plus possible de revenir en arrière pour l’étudier et peut-être découvrir ses subtilités. Si un ami le lendemain vous demande combien il y avait de couches à ce gâteau, si la troisième était colorée en bleu et la cinquième en rouge, vous seriez bien en peine de lui répondre. Comme que vous l’avez mangé couche par couche, vous n’avez pas pu observer ce mille-feuille de profil pour en avoir une vision globale.
Sur une fouille donc, c’est un peu le même problème. C’est comme si nous avions un livre à lire, mais que nous en brûlions les pages en avançant dans notre lecture. C’est pourquoi nous nous efforçons d’en faire une copie au fur et à mesure de notre lecture avec des croquis, des schémas, des photographies, des relevés topographiques, etc. C’est grâce à cette copie, que nous sommes ensuite en mesure une fois retourné dans nos bureaux de recherches, d’étudier le site et les liens entre les différents vestiges observés qui nous avaient parfois échappé sur le terrain.
Ces archives de fouilles sont autant des données collectées que les objets ou les vestiges que vous trouvez lors de la fouille ; elles vous permettront de faire votre réel travail de chercheur une fois la campagne de fouille terminée, à savoir l’analyse de vos données.
La post-fouille
L’enquête archéologique continue dans les bureaux de recherches. Vous avez vos objets d’un côté, nettoyé, conservé et enregistré dans un inventaire. De l’autre, vous avez toutes votre documentation de fouille. Il va falloir maintenant observer, identifier, comparer, interpréter pour aboutir à l’analyse complète de votre site et émettre une hypothèse de reconstitution, qui sera remise sous la forme d’un rapport de fouille. Tout ce processus d’étude est ce qu’on appelle dans le milieu la post-fouille. C’est véritablement à ce moment-là que l’archéologue fournit le plus gros de son travail.
Pour étudier tout ce qui a été trouvé, il faut bien savoir s’entourer, un archéologue est en effet le plus souvent spécialisé : sur une culture, un type d’objet, une période historique, une technique, etc. Comme dans toute science, l’archéologue travaille donc en équipe. Chacun apporte sa pièce au puzzle. Cependant, c’est le contexte qui va servir à lier tout ça et permettre de faire l’assemblage.
Voici quelques exemples de domaines particuliers en archéologie.
L’archéoanthropologue se spécialise dans l’étude des restes humains. Si vous avez affaire à des os humains, c’est lui qui pourra les faire parler. Âge de l’individu, son état de santé, éventuellement son sexe sont autant d’informations qu’il sera en mesure de vous fournir. Certaines pathologies laissent des traces sur les os, de même que certaines activités répétitives : par exemple, les archers anglais qui utilisaient le fameux arc « longbow » notamment pendant la guerre de Cent Ans sont souvent atteints de scoliose 1 ! Pour l’étude d’un site funéraire (un cimetière quoi), l’étude systématique des restes humains peut donner un aperçu de l’état sanitaire de la population enterré là et partant, des conditions de vie.
Le numismate est le spécialiste des pièces de monnaie. Au-delà de leur valeur pécuniaire, les monnaies sont une mine d’informations ! Grâce aux figurations sur leur avers et revers (pile et face), on est en général capable de donner la date d’émission de celles-ci. La date d’émission, c’est la période à laquelle a été fabriquée la monnaie. Elle ne doit pas être confondue avec la période de circulation de celle-ci, beaucoup plus difficile à évaluer, je ne pense pas vous apprendre qu’une monnaie peut rester en circulation très longtemps ou même être conservée (on dit parfois « trésoriser ») bien après qu’elle est finie d’être utilisée. Les monnaies sont en outre un support idéologique très important : leurs faces servent à véhiculer un message, le plus souvent politique. Ces images sont donc très intéressantes pour qui essaye de retracer le règne d’un dirigeant, ou étudier l’influence d’une cité à une époque donnée.
Le céramologue est le spécialiste de la poterie 2. Certes, un pot cassé n’est peut-être pas très sexy au premier abord, mais en réalité, il s’agit du type d’objet archéologique le plus répandu. L’invention de la poterie est assez ancienne, elle date du néolithique, et se retrouve dans la majeure partie des sociétés anciennes, l’argile étant une matière première qui se retrouve quasiment partout. En outre, elle a pour avantage de ne pas se décomposer au cours du temps, à l’inverse des matières organiques, ce qui explique qu’on la retrouve facilement. L’argile qui sert à la poterie est en général originaire de l’environnement immédiat de son lieu de production, et sa composition est parfois caractéristique d’une aire géographique. C’est pourquoi en étudiant de près la composition de l’argile d’un morceau de poterie (on appelle ça un tesson en archéologie), on peut parfois retracer des échanges à grande distance : penser aux amphores grecques ou romaines qu’on retrouve partout sur le pourtour méditerranéen ! Les spécialistes sont également parfois capables, à partir d’un tesson, de reconstituer la forme générale du récipient dont il provient. Or, certaines formes, de même que certaines techniques employées pour le façonnage ou le décor de ces objets, sont caractéristiques de certaines cultures ou périodes ! C’est pourquoi la céramique est un outil précieux à la fois pour identifier la société à laquelle appartient le site fouillé, mais aussi de datation !
L’environnement est un autre domaine d’étude en archéologie. On est capable de reconstituer le paysage d’un espace-temps donné à travers l’étude de restes végétaux et animaux. L’archéologie environnementale mériterait tout un article à elle seule tellement elle regroupe tout un tas de spécialités : sédimentologie (étude des sédiments), carpologie (étude des graines et des pollens), anthracologie (étude des charbons), malacologie (étude des mollusques et coquillage), etc.
Je ne vais pas vous faire ici le catalogue de toutes les spécialités en archéologie. Chacun peut faire l’objet de son propre article. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que chaque type d’objet, chaque société humaine fait l’objet d’un domaine d’étude précis en archéologie. Il n’existe donc pas un type d’archéologue. On se retrouve tous cependant sur une même base méthodologique qui passe par l’étude des données de fouilles, et un même but : reconstituer le passé.
Avec cet article, j’espère vous avoir fait comprendre ce qu’était l’archéologie : une grande enquête sur le passé. Si vous deviez garder une image en tête de l’archéologue, j’aimerais que vous pensiez davantage à un épisode des Experts qu’à Indiana Jones !
J’espère que vous avez pris plaisir à découvrir cet article et que je vous ai titillé la curiosité pour d’autres à venir ! N’hésitez pas à poser des questions ou faire des suggestions de thèmes à aborder en commentaire, je me ferais un plaisir d’y répondre, et qui sait, d’en faire un prochain article !